Résiliation, nullité et fin des marchés

Emmanuel Glaser
Avocat Associé

1) Quelles sont les suites jurisprudentielles de la décision Béziers I et, plus particulièrement, quel sort le juge administratif a-t-il réservé aux moyens tirés de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence ?

L’une des principales interrogations suscitées par la décision Béziers I résidait dans le « notamment » accompagnant l’énoncé du second moyen justifiant que le contrat soit annulé ou écarté et devant, à ce titre, être soulevé d’office par le juge : la décision évoquait, en effet, outre l’illicéité du contrat qui ne pose pas de problème particulier, le « vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ».

Beaucoup craignaient que ce « notamment » fût l’occasion, pour le juge administratif, de reprendre d’une main ce qu’il avait donné de l’autre, en acceptant que les irrégularités liées à la procédure de passation du contrat fussent considérées comme des vices d’une particulière gravité.

Heureusement, il n’en a rien été et le Conseil d’État a jugé que : « Lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat » (CE 12 janvier 2011, M. Manoukian, req. n° 338551, Lebon p. 5, BJCP 75/2011 p. 121 conclusions Nicolas Boulouis).

Sauf circonstances exceptionnelles, proches par exemple de celles qui caractériseraient un dol, une irrégularité de passation d’un contrat ne doit donc pas conduire à l’annulation de celui-ci, lorsqu’elle est invoquée par l’une des parties au contrat.

2) Quelles sont les suites jurisprudentielles de la décision Béziers II ?

La jurisprudence Béziers II a donné lieu, depuis mars 2011, à quelque quatre-vingt jugements de tribunaux administratifs, une vingtaine d’arrêts de cours et sept décisions du Conseil d’État.

Le Conseil d’État a apporté plusieurs précisions intéressantes.

Il a jugé que l’exercice d’un recours administratif préalable contre la décision de résiliation n’interrompait pas le délai de recours contentieux : CE 30 mai 2012, SARL Promotion de la restauration touristique (Proresto), req. n° 357151, à mentionner aux tables du Lebon.

Il a jugé également qu’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision de résiliation d’une convention d’occupation domaniale devait être requalifié en requête en reprise des relations contractuelles (CE 23 mai 2011, Établissement public pour l’aménagement de la région de la Défense, req. n° 328525, à mentionner aux tables du Lebon et CE 11 octobre 2012, Société Orange France, req. n° 351440, à mentionner aux tables du Lebon) et qu’il en allait de même d’un recours tendant uniquement à l’annulation de la mesure de résiliation, comme l’avaient déjà jugé plusieurs cours administratives d’appel (CAA Douai 23 décembre 2011, Société GDF Suez Énergie Services, req. n° 10DA00763 ; CAA Marseille 13 février 2012, Société Yacht Club international de Valinco, req. n° 08MA05289 ; voir pour une solution contraire : CAA Bordeaux 6 mars 2012, SARL Municipalité Service, req. n° 11BX01183).

Il a aussi précisé que le juge devait prononcer un non-lieu sur la requête en reprise des relations contractuelles, dès lors que le contrat était arrivé à son terme (CE 23 mai 2011, Société d’aménagement d’Isola 2000 et Société de gestion d’Isola 2000, req. n° 323468, à mentionner aux tables du Lebon).

Et enfin, que la condition d’urgence, dans le cadre du référé-suspension contre la décision de résiliation, faisait l’objet d’une appréciation stricte, écartant toute présomption d’urgence (CE 9 mai 2012, Région Champagne-Ardenne, req. n° 356209, à mentionner aux tables du Lebon).

Sur le fond, la quasi-totalité des recours n’a pas abouti. Dans la plupart des cas, le juge a considéré la mesure de résiliation comme justifiée (CE 23 mai 2011, EPAD précitée ; CAA Bordeaux 3 mai 2011, Société de revente d’électricité et de gaz, investissement, exploitation et services, req. n° 10BX02297 ; CAA Douai 29 novembre 2011, Société Foure Lagadec Aviation, req. n° 10DA00608 ; CAA Douai 4 octobre 2012, Société Agence Nathalie T’Kint, req. n° 11DA01878 ; CAA Marseille 13 février 2012, Société Yacht Club international du Valinco précitée ; CAA Marseille 15 octobre 2012, M. Ripoll, req. n° 10MA04076 ou CAA Nantes 6 avril 2012, Société Arbre et Aventure des Alpes Mancelles, req. n° 10NT00657).

Plus rarement, il a constaté l’irrégularité de la mesure de résiliation, mais a refusé la reprise des relations contractuelles, soit pour un motif d’intérêt général (CAA Bordeaux 31 janvier 2012, Commune de Rabastens-de-Bigorre, req. n° 10BX02230), soit parce qu’un nouveau cocontractant avait été désigné (CAA Douai 23 décembre 2011, Société GDF Suez Énergie Services précitée).

Au vu de la jurisprudence actuelle, il y a donc bien peu d’espoir pour le cocontractant d’obtenir la reprise des relations contractuelles.

3) Que faut-il attendre, aujourd’hui, du contentieux des contrats ?

Le contentieux des contrats a connu une véritable révolution depuis une dizaine d’années.

Création prétorienne du recours en homologation des transactions : CE Avis Assemblée 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré de l’Haÿ-les-Roses, Lebon p. 433 avec conclusions Gilles Le Chatelier.

Qualification des contrats de mobiliers urbains comme marchés publics : CE Assemblée 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, Rec. CE 2005 p. 478 avec conclusions Didier Casas.

Fixation des obligations s’imposant à l’administration lorsqu’elle recourt au contrat : CE Assemblée 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Rec. CE 2006 p. 272 et CE Section 6 avril 2007, Commune d’Aix en Provence, Rec. CE 2007 p. 155, qui précise également la distinction entre délégation de service public et subvention et incorpore au droit français la jurisprudence communautaire Teckal.

Création d’un recours de plein contentieux contre le contrat ouvert aux concurrents évincés : CE Assemblée 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, Lebon p. 360 avec conclusions Didier Casas.

Clarification de la combinaison des régimes de responsabilité quasi délictuelle et quasi contractuelle : CE Section 10 avril 2008, Société Decaux et département des Alpes-Maritimes, Lebon p. 151 avec conclusions Bertrand Dacosta.

Refonte du régime de recevabilité des moyens dans le cadre du référé précontractuel : CE Section 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, Lebon p. 324 avec conclusions Bertrand Dacosta.

Fixation des modalités d’application de la loi Sapin aux contrats en cours : CE Assemblée 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d’Olivet, Lebon p. 116 avec conclusions Édouard Geffray.

Refonte complète du contentieux contractuel entre les parties au contrat s’agissant des conséquences à tirer de l’illégalité de celui-ci : CE Assemblée 28 décembre 2009, Commune de Béziers, Lebon p. 509 avec conclusions Emmanuel Glaser.

Élargissement et transformation du recours en annulation de la décision de résiliation du contrat ouvert au cocontractant de l’administration en un recours en reprise des relations contractuelles : CE 21 mars 2011, Commune de Béziers, Lebon p. 117 avec conclusions Emmanuelle Cortot-Boucher.

Pour ne citer que les principales décisions rendues…

Mais, il y a fort à parier que cette révolution n’est pas achevée. Le chantier prioritaire aujourd’hui me paraît être la simplification des voies de recours, qui sont trop nombreuses et trop complexes à combiner, ce qui suppose, notamment, de faire un sort à la jurisprudence Tropic Travaux, soit en l’abandonnant, soit en l’ouvrant à tous les tiers lésés, ce qui permettrait d’en finir avec le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables du contrat. S’agissant de ce recours, il serait également souhaitable que le Conseil d’État mette fin à la possibilité de l’introduire contre les décisions prises dans le cadre de la procédure de publicité et de mise en concurrence, qui ne devraient relever que de la voie du référé précontractuel.

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