Quel avenir pour les contrats publics globaux ?

Olivier OrtegaOlivier Ortega
Avocat, associé
Lefèvre Pelletier & associés
Maître de conférences à Sciences Po Paris

Benoit LouisBenoit Louis
Avocat
Lefèvre Pelletier & associés

La France pratique de longue date les contrats globaux. La concession est utilisée depuis l’Ancien Régime, qui n’hésitait pas à confier le recouvrement des impôts indirects à la Ferme générale, véritable compagnie financière privée, selon des modalités rappelant certaines pratiques ou problématiques contractuelles contemporaines.

Les contrats concessifs ont connu un véritable âge d’or au XIXe siècle dans des domaines aussi variés que les canaux, les routes, les chemins de fer ou le gaz. C’est d’ailleurs à propos de contrats de concession ou d’affermage que la juridiction administrative a peu à peu élaboré le régime juridique des contrats administratifs (théories de l’imprévision, du fait du prince, etc.).

La visibilité des contrats globaux depuis dix ans s’explique essentiellement par le débat, voire la polémique sur les PPP et, plus particulièrement sur les contrats de partenariat introduits en droit français par l’ordonnance du 17 juin 2004[1]. Ce texte a braqué les projecteurs de l’actualité grand public sur un sujet normalement voué à ne pas dépasser le cercle des praticiens de la commande publique. Cette visibilité médiatique, souvent excessive, ne doit néanmoins pas occulter les raisons de fond qui expliquent l’intérêt réel que présentent ces outils spécialisés.

1) Quelles sont les limites des contrats globaux ?

En dépit de leur succès, les contrats globaux demeurent la cible de vives critiques. Il n’est pas rare de lire que les contrats globaux constituent une entrave à l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics que les textes nationaux comme communautaires érigent, au moins en apparence, en objectif principal.

Pour renforcer la concurrence, les pouvoirs adjudicateurs sont en effet encouragés – et bien souvent même contraints – à diviser en lots leurs marchés afin de « susciter une réelle concurrence entre les entreprises, quelle que soit leur taille » et d’étendre le champ de la concurrence « à des entreprises compétitives mais qui ne sont pas nécessairement aptes à réaliser l’intégralité d’un marché, tout particulièrement des petites et moyennes entreprises (PME) »[2].

Pourtant, l’analyse des statistiques en matière de marché public ne permet pas d’établir une réelle corrélation entre l’allotissement des marchés et le développement de l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande. Selon l’Observatoire Économique de l’Achat Public, en 2005 les PME auraient remporté 65% en volume et 68% en valeur des marchés des collectivités territoriales et 55% en volume et 32% en valeur des marchés de l’État. En 2009, plus de trois ans après l’affirmation du principe d’allotissement dans le Code des marchés publics de 2006, les PME ont remporté 65% en volume et 43% en valeur des marchés des collectivités territoriales et 43% en volume et 16% en valeur des marchés de l’État. Depuis 2009, la part des PME dans la commande publique n’a pas guère progressé : selon les dernières statistiques disponibles de l’Observatoire Économique de l’Achat Public, hors sous-traitance, la part des PME dans les marchés de l’État atteignait 50,6% en volume et 18% en valeur, tandis qu’elle n’atteignait que 64,4% en volume et 41,7% en valeur des marchés des collectivités territoriales[3].

La stagnation de la participation des PME dans l’achat public depuis 2006 en dépit de l’introduction du principe d’allotissement dans le Code des marchés publics ne peut donc être imputée au développement des contrats globaux.

Il est également souvent reproché aux contrats globaux d’engager les acheteurs publics sur une durée longue et de créer un risque de rigidification et d’éviction de leurs budgets, en augmentant la part des dépenses inévitables. Cette contrainte n’est en réalité qu’apparente et constitue la contrepartie de la visibilité et de la sanctuarisation d’une dépense publique qui aurait, de toute façon, été engagée et destinée à répondre à une demande sociale en équipements collectifs performants soutenue. En réalité, les difficultés ne surgissent que lorsque ces outils sont dévoyés et que le recours au contrat global – surtout lorsqu’il inclut le préfinancement des investissements et un paiement différé de l’investissement – n’est conçu par l’acheteur public que comme un instrument de facilité permettant d’investir au-delà de ses capacités budgétaires et financières.

Il est désormais de mode de jeter l’opprobre sur les contrats globaux, et de remettre à l’honneur les procédés traditionnels de l’achat public et de la maîtrise d’ouvrage publique. Il reste que l’examen des grands projets immobiliers ou d’équipements publics conduits ces dix dernières années en maîtrise d’ouvrage publique fait ressortir les performances souvent contrastées de ce procédé.

Les rapports de la Cour des comptes fourmillent d’exemples de bâtiments publics ou d’ouvrages d’infrastructures dans les secteurs des transports, de la culture, de l’enseignement, du sport, etc., réalisés selon les modes traditionnels de la commande publique, dont les retards se comptent en années et les dérapages financiers en dizaines ou en centaines de millions d’euros. La Cour des comptes a, par exemple, parfaitement décrit les déboires des opérations de construction ou de rénovation de l’école d’architecture de Paris-Belleville, du musée Picasso, du Grand Palais, des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, etc., pointé les « performances généralement médiocres quant à la programmation des opérations, à la tenue des devis et au respect des délais » et mis en évidence des dépassements de budget souvent supérieurs à 30%, (après actualisation des coûts) ou encore les nombreux retards de livraison (douze à dix-huit mois de retard en moyenne).

Pourtant, la plupart de ces chantiers n’ont pas été réalisés dans le cadre de contrats globaux…

En réalité, les contrats globaux ne méritent pas l’indignité dont on les accable. Ils répondent en effet à un triple besoin.

2) Quels sont les avantages des contrats globaux ?

Les contrats globaux traduisent d’abord la nécessaire remise en cause par les acheteurs publics eux mêmes de la tyrannie du moins disant : les acheteurs ont éprouvé les limites d’un système, certes protecteur de la responsabilité de l’acheteur qui choisit son titulaire sur un critère de prix réputé objectif et moins contestable qu’une notion plus subjective de mieux disant ; tout le monde connaît aujourd’hui la situation malheureusement réelle du gymnase acquis peu cher au travers d’un marché public de travaux, mais dont le coût de chauffage est ahurissant en raison même de la piètre qualité de construction ayant permis d’atteindre le prix bas recherché.

Face à ce syndrome, les acheteurs publics ont bien perçu tout l’intérêt d’adopter un mode de sélection des offres assis sur un coût global et non sur le seul coût de construction. L’approche en coût global suppose par principe que le titulaire s’engage sur les différents coûts du projet, c’est-à-dire que la commande publique porte à la fois sur la réalisation et l’exploitation maintenance de l’ouvrage, soit un contrat global.

Les contrats globaux remplissent alors une fonction d’amélioration de l’arbitrage entre d’une part les coûts de construction (voire de conception construction) et, d’autre part, les coûts d’exploitation maintenance : l’appréciation de cette interface est souvent délicate et les acheteurs publics ne sont pas forcément les mieux placés pour arbitrer de façon optimale.

Le recours à un contrat global permet de trouver une solution alternative qui ne dépossède cependant pas la personne publique de ses prérogatives. En effet, dans un contrat global, le candidat – individuel ou à forme de groupement – propose à la personne publique un arbitrage entre ces deux coûts ; cet arbitrage résulte de discussions souvent très serrées entre les intervenants, dont on peut même dire qu’elles ne sont jamais aussi serrées avec la personne publique.

Pour autant, le rôle de la personne publique n’est en rien diminué, puisqu’elle devra choisir entre les propositions des candidats exprimant chacune un arbitrage entre les coûts du projet.

Enfin, les contrats globaux traduisent vraisemblablement une tendance lourde de nos modes de vie, les acheteurs, quelle qu’en soit la nature, demandant toujours plus d’engagements sur le résultat et se satisfaisant de moins en moins d’une obligation de moyen. La commande publique connaît depuis longtemps les contrats à obligations de résultat et il n’est donc pas surprenant que les acheteurs publics exigent toujours davantage d’obligations de ce type. Il tombe assez facilement sous le sens qu’un acteur économique normalement constitué ne s’engagera sur des performances que s’il a lui-même participé ou contrôlé les phases amont qui déterminent, au moins partiellement, les performances finales dont il sera comptable.

Les contrats globaux, qui sont et doivent demeurer un mode contractuel d’exception, peuvent dans bien des cas constituer une réponse pertinente aux besoins des acheteurs publics, en raison du caractère complexe de nombre de leurs opérations, de l’étude ou de la technicité des équipements mis en œuvre, à condition que les collectivités admettent la nécessité d’un pilotage opérationnel et d’un suivi performants et professionnalisés de leurs contrats.

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[1] Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

[2]Circulaire du 3 août 2006 (NOR : ECOM0620004C), portant manuel d’application du Code des marchés publics, §6.1.

[3] Ces chiffres s’entendent hors sous-traitance, qui constitue un moyen privilégié de participation des PME à l’achat public.

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