Dix ans de PPP, un modèle à restaurer

Charlotte RouxelCharlotte Rouxel
Avocate, droit public des affaires
www.rouxelavocats.fr

1) Quel bilan peut-on faire à l’occasion de l’anniversaire des dix ans des partenariats public-privé ?

Dès leur création en 2004, les partenariats public-privé (PPP) ont suscité un engouement rapide et important. Ce sont plus de cent cinquante PPP de dimensions différentes et dans des secteurs très variés qui ont été conclus depuis 2004, et ce à près de 80 % par les collectivités locales.

Les raisons de cet engouement ont tenu principalement aux innovations permises par ce contrat global de longue durée, à savoir un partage des risques entre le public et le privé et des modalités de rémunération innovantes (rémunération étalée dans le temps, déclenchée uniquement à compter de la livraison, susceptible d’intégrer des recettes annexes aux missions de service public confiées et liée à des objectifs de performance ou de disponibilité, et non aux seules prestations délivrées ou aux résultats d’exploitation). C’est ainsi la possibilité d’instaurer un véritable partenariat sur le long terme qui a séduit les acteurs publics.

Cependant, les conditions strictes posées pour le recours à cet outil – par nature dérogatoire au droit de la commande publique – n’ont pas toujours été bien appréciées. S’agissant du critère de l’urgence et de celui de l’efficience économique, cela peut être imputable à leur caractère peu circonscrit. En revanche, en ce qui concerne le critère de la complexité, il est patent – à la lumière de la jurisprudence récente – qu’il a souvent été considéré comme satisfait sans que des arguments suffisants n’aient été retenus, c’est-à-dire sans qu’il n’ait été fait la démonstration que le projet ne pouvait être réalisé selon un autre montage existant. Ceci a conduit à la remise en cause de certains PPP conclus et à leur résiliation. En témoigne – notamment et à titre d’exemple – l’injonction très récente faite par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (6 novembre 2014, req. n° 1205030) au ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie de résilier le contrat de partenariat conclu en vue du financement, de la conception, de la construction, de l’entretien, de la maintenance et de la gestion de soixante-trois centres d’entretien et d’intervention.

En outre, les spécificités inhérentes aux PPP, notamment en phase d’exécution, ont parfois été sous-estimées et mal anticipées. Cet écueil provient principalement d’une architecture contractuelle complexe et parfois difficilement appréhendable, du caractère peu dissuasif des sanctions prévues, de la faiblesse des garanties proposées par le partenaire privé, d’un montant de redevances peu lisible et dont le versement est souvent mal anticipé dans les budgets publics, de l’insuffisance des études conduites en amont sur les finances publiques et sur la « soutenabilité budgétaire » au long terme, mais également d’un suivi d’exécution des contrats conclus pas assez soutenu. De fait, les attendus principaux des PPP (respect des délais et des coûts, économies d’échelle et meilleur gestion à terme du projet global) n’ont pas toujours été satisfaits.

Pour autant, ce n’est pas tant l’outil qui est susceptible d’être critiqué, mais plutôt l’utilisation qui en a parfois été faite, et qui n’a pas pleinement permis de révéler toute l’utilité des PPP.

Il est à relever que les études de faisabilité multicritères préalables – pourtant nécessaires à la détermination du montage le plus pertinent – n’ont pas toutes été assez approfondies.

De plus, les acteurs publics ne se sont pas toujours suffisamment entourés – en termes de compétences – pour conduire les procédures de PPP et notamment le dialogue compétitif, créant ainsi un rapport de force en faveur des entreprises privées plus rompues à l’exercice. De la même façon, les acteurs publics n’ont pas encore tous consentis, à ce jour, les investissements requis pour assurer un suivi efficient des PPP conclus.

Ce faisant, si certains PPP se révèlent a posteriori légitimes et ont été conclus à l’issue d’un dialogue garant des intérêts des deux parties et de l’intérêt général, nombre d’acteurs publics qui ont eu recours aux PPP sont tenus par des contrats relativement déséquilibrés, porteurs d’engagements à long terme rigides et coûteux dont les conditions de sortie ne leur sont pas – nécessairement – favorables.

2) Que pensez-vous du rapport des sénateurs Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli ?

Le rapport d’information sur les PPP ne fustige nullement l’outil, mais souligne qu’il convient de mieux circonscrire les conditions à satisfaire pour y avoir recours. Il invite également à ce que soit conduite en amont une réflexion plus large, passant notamment par un audit des finances des acteurs publics et une projection financière à long terme intégrant l’ensemble des projets et besoins de l’acteur public en cause. En outre, il préconise que l’évaluation préalable soit repensée, aux fins qu’elle constitue un véritable outil d’aide à la décision et non un simple outil de validation.

Ce faisant, il s’agit – pour les acteurs publics – d’acquérir une vision plus éclairée de ce que leurs finances leur permettent à moyen et long terme, tout en se dotant des moyens suffisants pour passer et exécuter les PPP. Les sénateurs, dans leur rapport, en appellent au réalisme financier et à la responsabilité des acteurs publics, au regard des enjeux induits en termes d’engagements par l’outil PPP.

Les treize recommandations du rapport constituent de réelles pistes d’amélioration pour l’usage du PPP.

Celle relative à la fixation d’une part minimale de l’exécution du PPP aux PME et artisans mérite une attention particulière, tant le caractère global du PPP et l’ingénierie financière et juridique à déployer n’ont laissé effectivement que peu de place et un poids très faible à ces entreprises. En effet, le seul critère obligatoire de la part d’exécution du contrat que le candidat s’engage à leur confier ne suffit pas si sa pondération n’est pas suffisante et surtout si le recours pérenne à ces PME et artisans n’est pas contractuellement garanti et assorti de sanctions dissuasives en cas de manquement(s). Il apparaît donc essentiel que le législateur ou le pouvoir réglementaire impose une part d’intervention réservée aux PME et artisans dans les PPP.

Une autre recommandation est d’importance, celle relative à l’exclusion du choix de l’équipe d’architecture du champ du PPP. En effet, inclure le choix du parti architectural au sein du PPP induit (i) qu’il soit privilégié au détriment de toutes autres considérations et générateur d’un PPP peu efficient ou (ii), à l’inverse, occulté en raison des autres considérations (notamment financières) du PPP et laissé ainsi aux mains du groupement retenu. Or, les acteurs publics ne peuvent se déposséder de ce choix d’importance tant pour le geste architectural attendu pour l’équipement, que pour la configuration fonctionnelle de celui-ci. Il semble donc véritablement opportun de recourir à un contrat distinct du PPP pour le choix du parti architectural aux fins de garantir l’indépendance de l’équipe d’architectes retenue et une meilleure satisfaction des attentes des acteurs publics sur ce point.

3) Est-il compatible avec la volonté de Manuel Vals de faire des PPP un outil de relance de l’investissement public et privé ?

Les sénateurs estiment, dans leur rapport, que le législateur se doit, non pas d’abandonner le PPP, mais de le revisiter en maintenant son caractère exceptionnel, en précisant les critères à satisfaire, en définissant une véritable doctrine pour y avoir recours (secteurs, dimension de projet, santé financière des acteurs publics), en renforçant l’information que les acteurs publics doivent recueillir en amont et en s’assurant que ces acteurs se doteront des moyens nécessaires pour dialoguer et exécuter les PPP aux fins d’être sur un pied d’égalité avec les partenaires privés. Si cet encadrement est mis en place, le PPP est susceptible de constituer un outil de relance de l’investissement public et privé.

Pour autant, il s’agira toujours d’un outil parmi d’autres, la réalisation des projets pouvant s’opérer par les autres contrats publics, mais également par l’intermédiaire d’entreprises publiques locales (SEM, SEMOP, SPL) garantes, quant à elles, de l’entière maîtrise publique des projets.

4) Quel sera l’avenir des PPP après la transposition des directives ?

Le PPP restera un instrument d’exception. Il sera, après la transposition des directives, une catégorie de marché public dont les conditions de recours auront été précisées et devront être appliquées strictement afin qu’il conserve son caractère dérogatoire.

L’architecture contractuelle des PPP devra être simplifiée, les garanties de réalisation rendues plus certaines et plus équilibrées, tout comme les clauses de sortie.

Pour que cet outil soit efficient, il importe, avant tout, que les acteurs publics s’assurent de la soutenabilité budgétaire des engagements qu’ils souscrivent et se garantissent une visibilité sur leurs finances. Le coût réel et le coût final du projet devront être ainsi mieux mesurés et comparés. Les avantages du PPP afférents aux délais d’exécution rapide et au paiement différé et étalé dans le temps ne devront primer sur un financement public, que dans une certaine limite en termes de surcoûts, limite qui reste à définir.

Enfin, toujours et surtout, les acteurs publics devront se doter effectivement des compétences requises pour dialoguer efficacement avec le privé pendant la procédure et parvenir ainsi à la conclusion de PPP équilibrés et garants avant tout de l’intérêt général. Ils devront être tout autant convaincus de la nécessité d’investir pour assurer le suivi des contrats conclus.

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