Réforme des marchés publics et des concessions : améliorations ou complications de la commande publique ?

Raphaël ApelbaumRaphaël Apelbaum
Avocat Associé
LexCase

 

 

Alain de BelenetAlain de Belenet
Avocat Associé
LexCase

1. Après la refonte du droit des marchés publics par les ordonnances de transposition des directives, quel est le nouveau panorama des contrats de la commande publique et comment s’articulent-ils ?

Si le panorama des contrats publics en droit français est réorganisé, cela n’est pas le cas du point de vue du droit de l’Union européenne. Par exemple, depuis toujours, le contrat de partenariat à la française est considéré comme un marché public au sens des directives européennes. Cela explique notamment que les procédures de passation qui étaient prévues étaient similaires à celles du Code des marchés publics de 2006.

En réalité, le droit interne est désormais adapté pour être davantage en cohérence avec nos règles européennes et avec la dichotomie marchés/concessions.

Le premier objectif de la réforme engagée est de clarifier et simplifier le droit de la commande publique sur le plan macro juridique pour sortir de cette pollution des contrats de la commande publique qui s’était développée depuis le début des années 90 avec la multiplication de montages dits « complexes » pour éviter le cadre du Code des marchés publics. Au lieu de rechercher à moderniser notre Code, on cherchait simplement à s’en extraire… La démarche n’était pas saine et surtout elle n’était pas durable sur le long terme. Pour illustrer cette volonté de clarifier les choses, on notera par exemple la nouvelle règle : tous les marchés publics passés par des personnes morales de droit public sont qualifiés de « contrats administratifs » et cette règle concerne donc tous les EPIC.

Désormais, on retiendra deux grandes catégories de contrats de la commande publique : les concessions et les marchés publics (la disparition de la notion de maîtrise d’ouvrage publique comme critère de définition des marchés de travaux permet aux « marchés de partenariat » (ex-contrats de partenariat, dits PPP) d’entrer dans la catégorie des marchés publics français).

À noter aussi que les anciens BEA ne disparaissent pas en tant que tels (par exemple, l’article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales est maintenu dans une version légèrement modifiée), mais sont exclus du champ de la commande publique. Il est en effet désormais expressément prévu que de tels contrats ne peuvent avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur. C’est donc ici la mort du montage BEA aller-retour et si la collectivité souhaite commander des travaux, il faudra s’inscrire dans le cadre logique du Code des marchés publics.

Pour les concessions l’objectif affiché de la réforme est de mettre en cohérence les notions européenne et nationale de « concession » et de compléter le droit interne concernant les concessions de service. La grande avancée de la réforme avec un projet d’ordonnance et de décret concession (en cours de publication à ce jour) est justement de proposer un cadre juridique unique pour toutes les formes de montages reposant sur une logique concessive (travaux, services, comprenant ou non une activité de service public, et cela pour tous les secteurs y compris en matière de défense et sécurité).

2. Le marché de partenariat est-il le contrat clé de la réforme ? Quels sont ses avantages ?

On retrouve dans le marché de partenariat l’ex-PPP connu et développé en France depuis 2004.

On aurait pu apprécier que l’ordonnance n°2015-899 relative aux marchés publics simplifie aussi ces contrats complexes en laissant le soin aux acteurs privés et publics de faire vivre ces montages.

La fonctionnalité des marchés de partenariat recouvre celle utilisée pour les ex-PPP : une mission globale pouvant couvrir le financement, la conception, la construction et la maintenance d’ouvrages publics ou de biens immatériels nécessaires au service public ou à l’exercice d’une mission d’intérêt général. On lui accorde aussi les dérogations nécessaires : pas d’allotissement, pas de système d’avances ni d’acomptes, mais un mécanisme de loyers sans interdiction de paiement différé.

Le nouveau texte de l’ordonnance précise que cette mission globale peut même couvrir la gestion du service public. Ce dernier point avait pu faire débat ces dernières années. Personnellement, nous considérions que confier la gestion du service public dans le cadre d’un ex-PPP ou d’un prochain marché de partenariat n’était et n’est toujours pas une bonne chose. Au-delà de la possibilité juridique qui est désormais clarifiée, se pose ici une question plus importante de gestion contractuelle du service public sous l’angle de la souplesse et de la facilité de suivi. Sur cette question, il sera toujours plus simple, pour la personne publique, de piloter sa gestion contractuelle de manière séparée soit par un marché de service, soit par une concession. Surtout et au-delà du découpage contractuel, cela permet aussi de sélectionner véritablement le meilleur opérateur en matière de gestion du service public et de ne pas brouiller cette sélection dans un groupement au sein duquel se retrouveraient financiers, architectes, constructeurs et mainteneurs…

Si l’objet du marché de partenariat assure une continuité par rapport aux ex-PPP, on retrouve toujours l’idée selon laquelle ce montage bien qu’intégré dans le Code des marchés publics demeure un contrat dérogatoire.

Le gouvernement souhaite donc le réserver aux opérations qui seraient supérieures à un seuil/des seuils qui sera/seront fixé(s) cet hiver par décret d’application. L’idée est intéressante : réserver ces montages qui demeurent multifonctionnels et qui engagent un paiement différé aux seules grosses opérations et exiger également une évaluation préalable et une étude de soutenabilité budgétaire qui appréciera notamment les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits. À noter que cette étude de soutenabilité devra faire l’objet d’un avis des services de l’État, même pour les projets des collectivités territoriales.

3. Le Conseil d’État a été saisi d’un recours contre l’ordonnance du 23 juillet 2015 par le Conseil national des Barreaux, de la Conférence des Bâtonniers et de l’Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris pour transposition non conforme de la directive marchés en ce qui concerne les services juridiques. Quel est votre avis sur cette question ?

L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics est plus stricte que la directive 2014/24 sur ce sujet, dès lors qu’elle exclut de la procédure de passation des marchés publics uniquement les prestations juridiques qui concernent les notaires, les administrateurs légaux, les tuteurs ou prestataires désignés par les juridictions ou la loi et les services liés à l’exercice de la puissance publique (par exemple : mission d’ingénierie publique, mission d’appui aux partenariats publics/privés). Elle ne reprend ainsi qu’en partie les exclusions prévues par la directive européenne et on voit bien que l’attente était ailleurs et bien au-delà. C’est donc décevant.

Décevant car la directive accordait plus de souplesse et de liberté en laissant certaines (pas toutes) prestations juridiques en dehors du jeu d’une mise en concurrence impersonnelle et parfois aveugle.

La France a justifié sa position adoptée dans l’ordonnance du 31 juillet 2015 en affirmant que les marchés de représentation en justice et les marchés de conseil juridique étroitement liés à un contentieux en cours ou à venir demeurent soumis aux règles de concurrence, car aucun motif d’intérêt général ne permet, en droit interne, de les soustraire aux principes fondamentaux de la commande publique. On voit mal en quoi l’argument ferait foi puisque d’autres prestations demeurent bien exonérées de mise en concurrence. Le principe connaît donc déjà des exceptions. Ici la directive donnait clairement l’opportunité de le faire. Cela n’a pas été suivi et c’est regrettable pour plusieurs raisons.

Premièrement, la liberté proposée par la directive était raisonnable dans son périmètre (libre choix de son avocat pour se défendre devant une juridiction, et non pas pour le conseil). Mais cette liberté était aussi raisonnable dans son esprit, car cette nouvelle liberté aurait très bien pu s’exercer en parfaite harmonie avec les grands principes du droit public et les règles du droit pénal pour éviter, si besoin, les abus de liberté dans les pratiques d’achat.

Deuxièmement, l’absence de formalisme et de règles pour la sélection n’impose pas automatiquement des pré-carrés et des abus. Il y a toujours eu et il y aura toujours une concurrence naturelle et saine entre avocats auprès de leurs clients. On assiste aujourd’hui aux effets pervers d’une concurrence à tout prix dans le cadre des prestations de services juridiques avec des pratiques faciales de low cost déraisonnables de la part de certains prestataires et des analyses aveugles de certains acheteurs accordant une prime aux moins-disants.

Troisièmement, on retombe (ou on persiste) dans une banalisation des services juridiques en refusant d’y voir la particularité accompagnant le choix de son avocat par un client privé ou public : la confiance. Elle ne se mesure pas, elle ne valorise pas, mais c’est bien elle qui devrait guider le choix de l’homme ou de la femme qui va porter la robe pour défendre et conseiller les intérêts publics et ceux de la collectivité.

Pour plus d’informations sur le sujet, inscrivez-vous aux Journées du BJCP qui auront lieu les 2 et 3 décembre prochains à Paris.

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