Réforme de la commande publique

Emmanuelle-MignonEmmanuelle Mignon
August & Debouzy Avocats
Avocat – Associé – Partner

 

 

Vincent-BrenotVincent Brenot
August & Debouzy Avocats
Avocat – Associé – Partner

1) La réforme tant attendue du droit de la commande publique remplit-elle pleinement les objectifs que ses auteurs se sont assignés ?

En présentant, en juillet 2015, son projet de réforme de la commande publique, le gouvernement avait annoncé trois objectifs : la simplicité, la modernisation et le soutien aux petites entreprises, c’est-à-dire grosso modo les mêmes objectifs que toutes les réformes précédentes !

De tels objectifs sont des habillages. Ils sont au surplus souvent contradictoires entre eux. Par exemple, la généralisation de l’allotissement et les conditions restrictives dans lesquelles il est possible d’y renoncer, favorables aux PME, ne simplifient pas le droit de la commande publique.

La seule question est donc de savoir si la réforme est efficace et permet d’atteindre les objectifs de ce droit – économie des deniers publics et égalité d’accès des opérateurs économiques – avec un niveau de sécurité juridique suffisamment élevé pour ne pas exposer les acheteurs et ceux qui contractent avec eux aux risques juridiques multiples associés à la commande publique.

À cet égard, même si le droit de la commande publique est et sera toujours un droit complexe, l’objectif de la simplification, poursuivi dans un cadre contraint puisque le gouvernement était d’abord tenu de transposer les trois directives communautaires du 26 février 2014, est certainement le mieux atteint.

La clarification/hiérarchisation entre ce qui relève de la loi (actuellement prévu par les deux ordonnances du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et du 29 janvier 2016 relatives aux contrats de concession) et ce qui relève du décret (les deux décrets annoncés d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et celui du 1er février 2016 d’application de l’ordonnance du 29 janvier déjà publié) est un immense progrès.

Simplification aussi avec la qualification de contrat public donnée aux contrats passés par les personnes morales de droit public sur le fondement de l’ancienne ordonnance du 6 juin 2005 désormais intégrée à celle du 23 juillet 2015, et l’uniformisation des procédures applicables aux deux anciens types de marchés, ceux du code et ceux de l’ordonnance de 2005.

Simplification enfin avec le passage de dix-sept textes à cinq dans quelques semaines (les deux ordonnances et les trois décrets), en attendant avec impatience le code de la commande publique qui devient un objectif atteignable. Tant mieux et bravo !

2) Quelles sont les évolutions apportées par l’ordonnance au stade de la passation des marchés publics ayant particulièrement retenu votre attention ?

La généralisation de l’allotissement à tous les marchés d’abord, c’est-à-dire également à ceux qui sont actuellement soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005, et l’obligation faite à l’acheteur de motiver le recours à un marché non alloti. Ces dispositions sont censées favoriser l’accès des PME à la commande publique. La possibilité offerte aux candidats de faire varier le prix de leur offre en fonction du nombre de lots attribués favorise pour sa part les gros opérateurs. Cela démontre, une fois encore, que le droit de la commande publique ne se laisse pas facilement tordre au profit d’autres fins que ce pour quoi il est fait.

La consécration de la procédure concurrentielle avec négociation parmi les procédures formalisées de passation des marchés ensuite, qui n’est pas sans risque juridique, mais qui devrait changer significativement la culture et les modalités de passation des marchés par les acheteurs publics.

La pérennisation, sous différentes formes, des marchés publics globaux, avec financement public ou avec financement privé (marchés de partenariat), pourtant si souvent décriés, constitue également un point intéressant. Le gouvernement a su résister aux diatribes politiques au profit de marchés qui ont fait la preuve de leur intérêt s’ils sont encadrés. Les formules concurrentes aux marchés de partenariat, dites « aller-retour » fondées sur des autorisations ou conventions d’occupation domaniale, sont en revanche abandonnées, ce qui a le mérite de la clarté et de la sécurisation juridique au regard du droit communautaire.

La possibilité d’écarter des candidatures provenant d’États tiers, ou comprenant une part de travaux, fournitures ou services provenant de tels États, lorsque ceux-ci n’ouvrent pas leurs marchés publics aux entreprises de l’Union européenne, est pour sa part prévue par les directives du 26 février 2014. Il s’agit d’un serpent de mer du droit de la commande publique qui connaît ici, parce que le droit européen le permet, une évolution significative.

Les acheteurs publics français pourront recourir aux centrales d’achat situées dans les autres États de l’Union européenne, à condition qu’un tel choix ne soit pas fait dans le but de se soustraire à des dispositions nationales qui intéressent l’ordre public. De même, les acheteurs publics se voient reconnaître la possibilité de constituer un groupement de commandes, en collaboration avec leurs homologues européens. Les membres du groupement devront alors s’accorder sur la répartition de leurs responsabilités, ainsi que sur le droit applicable au marché en cause, choisi parmi les droits des États membres dont ils relèvent. Des groupements de commandes pourront également associer des personnes publiques et des personnes privées non soumises au droit de la commande publique. Si ces différentes facultés sont effectivement utilisées, elles sont susceptibles d’avoir un effet potentiellement important sur les conditions de la commande publique et privée en France.

Notons, à l’inverse, que les deux ordonnances sont muettes sur les conventions d’occupation du domaine public qui permettent l’exercice d’une activité économique, mais qui ne sont ni des marchés publics, ni des concessions. Ces conventions persistent à poser question au regard de l’égalité des opérateurs dans l’exercice de leurs activités économiques.

3) L’exécution des marchés publics ou des contrats de concession se trouve-t-elle affectée par le nouveau régime applicable ?

Oui, sur au moins trois sujets : la sous-traitance, le régime des avenants et l’épineuse question de l’indemnisation du titulaire d’un marché de partenariat ou d’un contrat de concession en cas de disparition juridictionnelle de son contrat.

S’agissant du premier point, il sera désormais possible, pour l’acheteur public, de limiter l’étendue du recours à la sous-traitance et d’interdire son utilisation pour les tâches du marché qu’il considère comme essentielles. Le droit positif permettait jusqu’alors d’interdire uniquement le recours à la sous-traitance intégrale pour exécuter un marché. De plus, le contrôle des offres anormalement basses par l’acheteur sera plus complet, l’article 62 de l’ordonnance de juillet 2015 précisant que la détection d’une telle offre ne se limite plus à une analyse globale du prix proposé, mais s’étend au prix fixé pour chaque prestation sous-traitée. Ainsi, lorsque les justifications apportées par l’opérateur économique apparaissent insuffisantes, l’offre pourra être rejetée si la demande de sous-traitance est concomitante au dépôt de l’offre. Si la demande de sous-traitance est formulée postérieurement au dépôt de l’offre, l’acheteur public sera fondé à écarter le sous-traitant proposé.

Le régime des avenants aux marchés publics et aux contrats de concession devient pour sa part encadré par les textes, et non plus seulement par des principes jurisprudentiels. Les articles 65 de l’ordonnance sur les marchés publics et 55 de celle sur les concessions prévoient ainsi qu’un avenant ne peut modifier la nature globale du marché ou du contrat. Ils renvoient ensuite au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions d’application de ces dispositions. C’est l’objet, pour les contrats de concession, de l’article 36 du décret du 1er février 2016, et, pour les marchés publics, de l’article 134 du projet de décret d’application, qui prévoient dans le détail un certain nombre d’hypothèses. Comme pour toute opération de codification jurisprudentielle, il faudra être attentif à l’interprétation de ces dispositions par le juge, qui pourra considérer, selon les cas, qu’elles changent ou non l’état du droit en vigueur. Notons que, lorsque la modification du contrat entraîne une augmentation du montant de celui-ci inférieure aux seuils européens de recours aux procédures formalisées et à 10% du montant initial du contrat (15% pour les marchés de travaux selon le projet de décret), l’avenant est possible. Notons aussi que la date d’entrée en vigueur de ces dispositions est différente selon les contrats en cause : elles s’appliqueront aux marchés pour lesquels une consultation sera envoyée après le 1er avril 2016 pour les marchés publics, mais elles s’appliqueront à tous les contrats de concession à compter de cette date, même à ceux qui ont été signés sur le fondement des textes antérieurs.

Enfin, les deux ordonnances s’efforcent de sécuriser financièrement le titulaire d’un marché de partenariat ou d’un contrat de concession en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation de son contrat par le juge, en prévoyant la possibilité de l’indemniser des frais financiers liés aux financements mis en place pour l’exécution du contrat. Ce mécanisme d’indemnisation est subordonné à l’insertion, dans les annexes au marché ou au contrat, des clauses liant le titulaire à ses partenaires financiers. Il est intéressant de relever que les deux articles en cause (89 pour les marchés de partenariat et 56 pour les contrats de concession) ne sont pas exactement rédigés de la même manière, ce qui ne manquera pas de donner naissance à des interrogations. Si les modalités de cette indemnisation sont prévues par une clause du contrat, celle-ci est réputée divisible du reste du contrat, ce qui n’interdit pas aux tiers de former contre elle un recours de pleine juridiction.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Emmanuelle Mignon et Vincent Brenot lors de notre formation Réforme de la commande publique les 15 et 16 mars 2016 à Paris.

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