La mise à jour européenne des contrats de la commande publique

Guillaume DelaloyGuillaume Delaloy
Docteur en droit
Conseiller de tribunal administratif

L’un des principaux apports des ordonnances du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession est, sans conteste, la rationalisation des catégories de contrats publics d’affaires qu’elles opèrent dans le droit public français.

La restructuration de l’architecture du droit français de la commande publique était en effet un des objectifs annoncés par le gouvernement lors du lancement du chantier de transposition des trois directives européennes du 26 février 2014, dont les champs respectifs dépassaient largement, en droit interne, les seuls marchés publics et délégations de service public.

La transposition de ces directives était donc l’occasion de mettre fin à la « complexité structurelle de la typologie des contrats publics d’affaires », dénoncée depuis longtemps par la doctrine[1], organisée autour d’au moins quatre catégories de contrats : marchés publics, délégations de service public, concessions de travaux publics et contrats de partenariat, auxquelles s’ajoutent les divers « contrats complexes » ou « de troisième type »[2], fondés sur des titres d’occupation domaniale.

Au total, c’est plus d’une vingtaine de textes législatifs ou réglementaires qui ont été abrogés pour laisser place à un droit de la commande publique organisé autour de la distinction consacrée par le droit européen entre marchés publics et concessions.

1.La summa divisio entre les marchés publics et les concessions est-elle enfin consacrée ?

Cette réforme consacre enfin l’idée qu’il n’existe pas de contrats de la commande publique qui ne soient ni des marchés publics, ni des concessions : « Tout ce qui n’est point marché est concession et tout ce qui n’est point concession est marché. »[3]

Pour distinguer entre ces deux catégories de contrats, le critère matériel n’est pas déterminant. Certes, la notion de marché public renvoie à l’idée d’acquisition de fournitures, travaux ou services alors que les contrats de concessions ont pour objet de confier l’exécution de travaux ou de services, mais on sait que la jurisprudence a reconnu que la distinction entre marchés et concessions ne se faisait plus sur le critère de l’objet du contrat (CE Sect. 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, req. n°284736), la gestion d’un service public pouvant être externalisée aussi bien par un marché public que par une délégation de service public[4].

Seul le critère financier permet de distinguer entre les marchés, dans lesquels l’opérateur économique est rémunéré par un prix, quelle qu’en soit la forme (somme d’argent versée par l’acheteur ou par un tiers, abandon de recettes…), et les concessions, dans lesquelles cette rémunération consiste dans le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service concédé, assorti, le cas échéant, d’un prix.

Or, comme l’avaient jugé tant le juge européen que le juge administratif (CJCE 13 octobre 2005, Parking Brixen, aff. C-458/03 ; CE 7 novembre 2008, Département de la Vendée, req. n°291794), l’ordonnance précise que le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service concédé implique le transfert au concessionnaire d’un risque d’exploitation.

Si le texte de transposition ne reprend pas les notions de « risque lié à la demande » et de « risque lié à l’offre » contenues à l’article 5 de la directive 2014/23/UE, il précise néanmoins que « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché ». Ce critère est réputé rempli lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, le concessionnaire n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés au titre de l’exploitation des ouvrages ou services qui font l’objet de la concession.

Ainsi, on peut être face à un marché public, alors même que le titulaire est rémunéré par des redevances versées par des usagers dès lors que celui-ci ne supporte pas le risque d’exploitation de l’activité qui fait l’objet du contrat (CAA Paris 2 juillet 2010, SAGI c/ Centre hospitalier Sainte-Anne, req. n°07PA02268), comme dans les contrats de gérance notamment (CE 7 avril 1999, Commune de Guilherand-Granges, req. n°156008).

Au-delà de cette clarification conceptuelle, l’ordonnance du 29 janvier 2016 complète le paysage contractuel interne par la reconnaissance, à côté de la concession de travaux déjà bien connue, de la concession de services comme catégorie contractuelle à part entière, laquelle englobe désormais les délégations de service public. On observe néanmoins à leur endroit une certaine incohérence : en effet, alors que, fort logiquement, l’article 6 de l’ordonnance fait des concessions de service public des concessions de services comme les autres, le nouvel article L.1411-1 du Code général des collectivités territoriales (issu de l’article 58 de la même ordonnance) continue de mentionner la délégation de service public en tant que telle. Si celle-ci connaît quelques spécificités essentiellement liées à l’intervention des élus locaux et au contrôle de l’activité du concessionnaire, le maintien de la notion de délégation de service public n’était pas nécessaire dès lors qu’elle est définie comme un contrat de concession passé et exécuté comme n’importe quelle autre concession.

La notion de concession de services permet en outre de combler un vide juridique pour les contrats de type concessif portant sur des prestations de services sans délégation de service public. Jusque-là, ces contrats étaient traités de manière aléatoire, souvent qualifiés de délégations de service public, grâce à une interprétation quelque peu extensive de la notion, afin d’éviter qu’ils n’échappent à tout encadrement, tels que les conventions d’exploitation de casinos (CE 19 mars 2012, SA Partouche, req. n°341562) ou les contrats de mise à disposition de moyens de communication aux patients des hôpitaux (CE 7 mars 2014, CHU de Rouen, req. n°372897). Cette nouvelle catégorie juridique pourrait également attirer dans son giron des contrats qui étaient jusqu’ici qualifiés de marchés publics ou de conventions d’occupation du domaine public, tels que les contrats de mobilier urbain (CE 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, req. n°247298 ; CE 15 mai 2013, Ville de Paris, req. n°364593) ou de régie publicitaire (CE 6 novembre 2009, Prest’action, req. n°297877)[5].

2.Quelles sont les différentes formes de marchés publics ?

Au sein même de la catégorie des marchés publics, on peut encore affiner la classification. Si le même texte s’applique désormais à tous les pouvoirs adjudicateurs et toutes les entités adjudicatrices, mettant fin à la dichotomie entre les marchés publics du Code des marchés publics et les marchés de l’ordonnance du 6 juin 2005, différentes formes de marchés publics peuvent être identifiées.

En effet, dans une logique de « boîte à outils », l’ordonnance du 23 juillet 2015 offre aux acheteurs un panel de formules contractuelles au sein duquel ils peuvent, dans les conditions fixées par le texte, opter pour celle qui leur paraît la plus efficiente pour satisfaire leurs besoins.

Ainsi, d’une part, si le principe d’allotissement a été étendu à tous les acheteurs, l’ordonnance leur permet de passer un marché unique s’ils ne sont pas en mesure d’assurer par eux-mêmes les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ou si la dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus couteuse l’exécution des prestations.

D’autre part, l’ordonnance consacre l’existence de deux grandes catégories de marchés publics globaux : les marchés globaux sous maîtrise d’ouvrage publique et les marchés globaux sous maîtrise d’ouvrage privée.

Au sein de la première catégorie, on retrouve, énumérés aux articles 33 à 35 de l’ordonnance, les marchés publics de conception-réalisation, les marchés publics globaux de performance qui succèdent aux anciens marchés de réalisation-exploitation-maintenance (REM) et de conception-réalisation-exploitation-maintenance (CREM) de l’article 73 du Code des marchés publics, et les marchés publics globaux sectoriels qui rassemblent, à droit constant, les multiples contrats globaux qui avaient été créés par diverses lois sectorielles pour répondre aux besoins spécifiques de la santé, de la défense, de la justice, ainsi que de la police et de la gendarmerie nationales.

Ces marchés publics globaux présentent deux caractéristiques communes. D’une part, les acheteurs soumis à la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique (dite « loi MOP ») doivent conserver la maîtrise d’ouvrage des opérations. En effet, même si la nouvelle définition du marché public de travaux, qui figure à l’article 5 de l’ordonnance, ne fait plus expressément référence à cette notion, cette disparition ne remet pas en cause le champ d’application de la loi MOP. D’autre part, ils ne dérogent pas à l’interdiction du paiement différé qui s’impose aux collectivités publiques en vertu de l’article 60 de l’ordonnance et qui s’oppose à ce que le paiement de l’investissement s’effectue en tout ou partie au-delà de la phase de réalisation de celui-ci.

Par rapport à l’état du droit antérieur, seuls les marchés globaux de performance sont assouplis. En effet, alors que l’article 73 du Code des marchés publics soumettait les CREM des acheteurs soumis à la loi MOP aux conditions de recours à la conception-réalisation fixées à l’article 18 de cette loi, le nouvel article 34 de l’ordonnance de 2015 les y soustrait pour ne retenir que le critère de la performance mesurable. L’objectif recherché par les auteurs du texte est d’offrir aux acheteurs une réelle alternative aux contrats qui constituent la deuxième catégorie de marchés publics globaux : les marchés de partenariat.

3.Et à propos du nouveau marché de partenariat ?

Même s’ils sont souvent décriés, les partenariats public-privé répondent à un besoin réel des collectivités publiques, comportant des avantages appréciables. Pour autant, plutôt que d’en faire une catégorie juridique distincte des marchés publics et des contrats de concession, l’ordonnance du 23 juillet 2015 a consacré leur qualification de marché public (CE 29 octobre 2004, Sueur et a., req. n°269814) en créant dans sa deuxième partie une nouvelle formule contractuelle destinée non seulement à succéder au contrat de partenariat, mais aussi à absorber l’ensemble des contrats globaux à financement privé qui répondent à la définition de marché public.

Comme le contrat de partenariat, le marché de partenariat reste, conformément à la jurisprudence constitutionnelle (déc. n°2003-473 DC du 26 juin 2003 et 2008-567 DC du 24 juillet 2008), un contrat dérogatoire au droit commun de la commande publique, dès lors qu’il s’agit d’un contrat global ayant pour objet le financement et la réalisation d’ouvrages ou d’équipements sous maîtrise d’ouvrage privée, avec paiement différé au moyen du versement de loyers pendant toute la durée du contrat (c’est d’ailleurs ce caractère dérogatoire qui justifie l’encadrement des conditions de recours à ce contrat).

Il se distingue toutefois de son prédécesseur par la plus grande modularité de la mission susceptible d’être confiée au titulaire. L’article 67 de l’ordonnance redéfinit en effet l’objet du contrat autour d’un noyau dur constitué des opérations de construction-réhabilitation d’ouvrages, équipements ou biens immatériels nécessaires au service public ou à l’exercice d’une mission de service public et de tout ou partie de leur financement. L’entretien, l’exploitation et la maintenance sont désormais des missions facultatives.

Le texte admet en outre expressément que, à l’instar des marchés publics de service public, le titulaire d’un marché de partenariat puisse être chargé de la gestion d’une mission de service public. La distinction avec la concession est néanmoins plus délicate dans la mesure où le marché de partenariat se définit également par le partage des risques qu’il opère entre l’acheteur et son cocontractant. Pour éviter la requalification en concession, il faudra prendre garde à ce qu’aucun risque d’exploitation au sens de l’ordonnance sur les concessions ne soit transféré au titulaire du contrat.

Cette plus grande modularité est la conséquence de l’absorption au sein du régime du marché de partenariat des montages dits « complexes » qui avaient été créés pour répondre à des besoins sectoriels (BEA et AOT « aller-retour ») et que l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat avait laissé subsister au risque de favoriser les contournements du droit de la commande publique.

En empêchant l’utilisation des titres d’occupation domaniale à des fins de commande publique, l’article 101 de l’ordonnance a pour objectif de cantonner les conventions concernées à ce qui constitue leur vocation première, à savoir l’occupation du domaine, et de sécuriser les contrats des acheteurs en évitant les requalifications jurisprudentielles.

Pour autant, ces dispositions ne remettent pas en cause les conventions complexes combinant marché public ou concession et occupation du domaine, mais elles rétablissent un ordre de priorité que les collectivités publiques avaient tendance à inverser : lorsque celles-ci passent une commande, c’est cette commande qui constitue l’objet principal du contrat et dicte les règles applicables ; l’autorisation ou le contrat d’occupation du domaine n’en est plus que l’accessoire[6].

Elles ne suppriment pas non plus les titres d’occupation du domaine en tant que tels. Ne sont en effet proscrits que ceux qui mettent à la charge de leur bénéficiaire la réalisation d’un ouvrage ou l’exécution de prestations de services pour le compte ou les besoins de la collectivité. En revanche, les collectivités publiques peuvent toujours consentir des AOT et des BEA « purs » autorisant l’occupation privative de leur domaine pour l’exercice de l’activité propre de l’occupant et lui permettant de construire les ouvrages ou équipements nécessaires à cette activité. De même, devraient échapper à l’interdiction, en application des règles relatives aux contrats mixtes prévues au I de l’article 23 de l’ordonnance, les conventions portant sur une opération immobilière comportant à titre accessoire des prestations de travaux ou de services inséparables de l’objet principal du contrat[7].

[1] Voir notamment S. Braconnier, La typologie des contrats publics d’affaires face à l’évolution du champ d’application des nouvelles directives, AJDA 2014, p. 832.

[2] F. Llorens et W. Zimmer, Les marchés publics de travaux du « troisième type » à l’épreuve du droit interne, Contrats et marchés publics, février 2016, repère 2.

[3] F. Llorens, Typologie des contrats de la commande publique, Contrats et marchés publics, mai 2005, étude 7.

[4] D. Moreau, Les marchés de service public : un nouveau mode de gestion des services publics, Le Moniteur, 2005.

[5] Sur cette question, voir notamment, G. Pellissier, Définition de la concession de services et catégories juridiques existantes en droit français, BJCP 2014, n°95 ; C. Frackowiak, Le droit des concessions : ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre… L’ordonnance et le décret relatifs aux contrats de concession, BJCP 2016, n°104 ; K. Ben Khelil et F. Tenailleau, La recomposition du paysage des concessions, JCP A 2016, 2062.

[6] F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Quel avenir pour les AOT et les BEA après l’ordonnance du 23 juillet 2015 ?, Contrats et marchés publics 2016, repère 1.

[7] E. Fatôme et L. Richer, Contrats à objet immobilier et de travaux : le critère de l’objet principal, critère second, AJDA 2015, p. 1577.

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