Le décret n°2020-1261 du 15 octobre 2020 relatif aux avances dans les marchés publics

Guillaume DelaloyGuillaume Delaloy
Chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique à la DAJ des ministères économiques et financiers

Pourquoi le Gouvernement a-t-il souhaité modifier le régime des avances dans les marchés publics ?

Dès le début de l’année 2020 et surtout à partir du mois de mars, la propagation rapide de l’épidémie de Covid-19 a créé des situations de tension dans certains secteurs économiques, notamment dans le secteur des équipements de protection individuelle ou de la fourniture de matériel médical. Certains fournisseurs demandaient alors des avances importantes, voire un paiement anticipé total, pour pouvoir honorer les commandes.

Pour les acheteurs qui ne sont pas soumis aux règles d’exécution financière fixées par le code de la commande publique (personnes morales de droit privé, la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignation, les offices publics de l’habitat, les établissements publics de l’Etat à caractère industriel et commercial…), cette situation n’était pas juridiquement problématique.

Pour les autres, en revanche, l’article R. 2191-8 du code de la commande publique ne permettait pas de verser des avances supérieures à 60% du montant du marché ou du bon de commande.

C’est la raison pour laquelle l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, prise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, a temporairement déplafonné le montant des avances pour permettre que celles-ci puissent être supérieures au taux maximum fixé par le code de la commande publique lorsque cela est nécessaire à la bonne exécution des prestations. En corollaire, l’article 5 de l’ordonnance a également supprimé l’obligation d’exiger des entreprises qu’elles constituent une garantie à première demande lorsque l’avance excède 30 % du montant du marché ou du bon de commande.

À la suite de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 par la loi du 11 mai 2020, l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 a étendu l’application de cette mesure pour les marchés publics conclus jusqu’à deux mois après cette date. L’article 5 de l’ordonnance 2020-319 peut donc toujours être mobilisé pour les marchés conclus avant le 11 septembre 2020, contrairement aux autres dispositions qui ne sont susceptibles de s’appliquer qu’aux contrats conclus avant le 23 juillet 2020. En effet, contrairement à ce qui a pu être lu ici ou là, l’application de l’ordonnance n’a pas pris fin avec la fin de l’état d’urgence sanitaire. Ses dispositions sont toujours susceptibles de s’appliquer, dès lors que les contrats ont été conclus avant le 24 juillet – ou avant le 11 septembre pour les avances – et que cela est nécessaire pour faire face aux difficultés nées de l’épidémie ou des mesures prises pour limiter sa propagation.

Compte tenu de la persistance de tensions sur certains marchés et dans une logique de responsabilisation des acheteurs, le Gouvernement a décidé de pérenniser cette mesure en la codifiant dans le code de la commande publique.

Le décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020, publié au Journal officiel du 17 octobre, a ainsi pour objet de modifier plusieurs articles du code de la commande publique qui encadrent le régime des avances obligatoires, c’est-à-dire celles qui doivent être obligatoirement versées par certains acheteurs[1]aux titulaires et sous-traitants admis au paiement direct, dès lors que certaines conditions sont remplies.

Pour rappel, deux conditions doivent être réunies : le montant initial du marché ou de la tranche doit être supérieur à 50 000 euros HT et son délai d’exécution supérieur à deux mois (art. R. 2191-3 et R. 2191-13)[2]. Dans le cas des accords-cadres à bons de commande, la situation est différente selon que l’accord-cadre prévoit ou non un montant minimum : en l’absence de minimum, l’avance est accordée pour chaque bon de commande qui remplit lesdites conditions tandis qu’en présence d’un montant minimum, l’avance est accordée en une seule fois et calculée sur la base de ce montant minimum (art. R. 2191-16 et R. 2191-17).

En quoi les conditions de versement des avances sont-elles simplifiées ?

Le décret assouplit le régime de l’avance obligatoire à deux points de vue : le montant de l’avance est déplafonné et l’obligation de garantie financière est supprimée.

En vertu du nouvel article R. 2191-8 du code de la commande publique, le taux des avances versées par les acheteurs soumis aux règles d’exécution financière n’est plus limité à 60 % du montant initial du marché. Ceci n’est pas inédit en matière de marchés publics puisque, par dérogation au code, les avances versées à l’UGAP par les personnes publiques ne sont pas limitées dans leur montant, tout comme celles versées par l’établissement public à ses cocontractants[3]. L’octroi d’une avance supérieure à 60 % permet, en particulier, de susciter une concurrence plus large grâce aux candidatures de petites entreprises hésitant à soumissionner, eu égard au besoin de trésorerie que pourrait entraîner le commencement d’exécution du marché public.

En outre, le décret supprime l’obligation qui pesait sur les titulaires de constituer une garantie à première demande pour pouvoir bénéficier d’une avance supérieure à 30%. Cela reste cependant une faculté pour l’acheteur qui, au regard des risques qu’il identifie quant à la bonne exécution du marché et malgré le coût que cela représente pour l’entreprise, peut toujours continuer à l’exiger. Il convient de noter que la garantie à première demande à laquelle l’acheteur peut conditionner le versement de l’avance peut ne porter que sur une partie de celle-ci quel que soit son montant. Enfin, les parties peuvent toujours s’entendre pour substituer à cette garantie une caution personnelle et solidaire.

Au passage, le décret en profite pour apporter une modification rédactionnelle mineure destinée à clarifier le texte s’agissant des personnes publiques titulaires de marchés. En précisant que la constitution d’une garantie « ne peut toutefois être exigée » des personnes publiques, alors que le texte antérieur indiquait qu’elle n’était « toutefois pas exigée », les auteurs du décret ont souhaité mettre fin à une ambiguïté qui pouvait laisser penser que, si le code n’impose pas que les personnes publiques constituent une garantie financière en contrepartie d’une avance supérieure à 30%, les acheteurs avaient néanmoins la faculté de le demander. Désormais, le texte pose clairement l’impossibilité faite aux acheteurs d’exiger une telle garantie de la part des personnes publiques.

Les avances à 100 % sont-elles désormais possibles ?

Grâce à ce déplafonnement, des avances d’un montant égal à celui du marché sont donc désormais possibles pour tous les acheteurs publics. Mais dans ce cas, l’acheteur ne pourra pas prélever de retenue de garantie en application de l’article R. 2191-32 puisque, le titulaire ayant déjà perçu l’intégralité du prix du marché, il n’y aura aucun versement à titre d’acompte, de règlement partiel définitif ou de solde.

Toutefois les acheteurs ont toujours la possibilité de demander, en lieu et place de la retenue de garantie, une garantie à première demande. L’article R. 2191-34 prévoit en effet que, « dans l’hypothèse où le montant de sommes dues au titulaire ne permettrait pas de procéder au prélèvement de la retenue de garantie, celui-ci est tenu de constituer une garantie à première demande ». Il peut aussi y substituer, si l’acheteur ne s’y oppose pas, une caution personnelle et solidaire (art. R. 2191-36).

En cas d’avance à 100%, les entreprises devront toujours fournir des factures et les acheteurs doivent demeurer attentifs à l’ordonnancer la dépense à l’issue de la réalisation des prestations même si cela ne donne pas lieu à paiement. En effet, le comptable public doit pouvoir régulariser ses écritures et solder le compte d’avance.

Les modalités de remboursement de l’avance sont-elles modifiées pour tenir compte du déplafonnement ?

Le remboursement des avances s’imputent sur les sommes dues au titulaire du marché par précompte. Jusqu’à présent, ce remboursement débutait, si le marché n’en disposait pas autrement, lorsque le montant des prestations exécutées atteignait 65 % du montant TTC du marché et devait être terminé, dans tous les cas, lorsque le montant des prestations exécutées atteignait 80% du montant TTC du marché.

Or, ces règles ne pouvaient être maintenues en cas d’avances supérieures à 30%. En effet, si le titulaire perçoit le règlement de ses factures à hauteur de 65% des prestations, les sommes qui restent à payées ne sont pas suffisantes pour récupérer la totalité de l’avance, surtout si une retenue de garantie de 5% est appliquée.

C’est pourquoi, si le dispositif reste inchangé pour les avances inférieures ou égales à 30%, le texte prévoit désormais que, lorsque l’avance dépasse 30% du montant TTC du marché, son remboursement commence, dans le silence du marché, dès la première demande de paiement. Le comptable public pourra alors ne rien payer jusqu’à ce que l’avance soit entièrement remboursée ou prélever un pourcentage sur chaque demande de paiement.

De même, les avances supérieures à 80% ne pouvant être intégralement remboursées à 80% de l’exécution du marché, l’article R. 2191-12 prévoit désormais que le remboursement de celles-ci doit être achevé lorsque le montant des prestations exécutées atteint le montant de l’avance accordée. Le remboursement de l’avance suit ainsi l’exécution des prestations.

Il convient enfin de préciser que ces dispositions sont supplétives : elles n’ont vocation à s’appliquer que si les parties n’en ont pas décidé autrement. Les auteurs du décret ont souhaité privilégier la liberté contractuelle tant en ce qui concerne le montant de l’avance que les modalités de son remboursement.

 

[1]L’Etat, ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriels et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, sous réserve des exceptions prévues à l’article R. 2191-1 du code de la commande publique.

[2]Pour les marchés de défense et de sécurité le montant du marché est porté à 250 000 euros et sa durée à trois mois sauf si le titulaire est une PME (art. R. 2391-1 et s.).

[3]Art. 13 et 20 du décret n°85-801 du 30 juillet 1985 relatif au statut et au fonctionnement de l’Union des groupements d’achats publics