Lentement mais sûrement, l’achat public durable s’installe dans la réglementation des marchés publics

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Maxime Büsch
Avocat associé
LexCase
Avec la collaboration de Simon Bechelen, élève-avocat

Voilà plus de vingt ans que le développement durable a fait une première (timide) apparition dans la réglementation des marchés publics, sans toutefois être explicitement désigné (article 14 du code des marchés publics de 2001 : « La définition des conditions d’exécution d’un marché dans les cahiers des charges peut viser à promouvoir l’emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion, à lutter contre le chômage ou à protéger l’environnement. »)

Cette notion a ensuite été explicitement consacrée pour la première fois dans le droit européen des marchés publics en 2004 (directive 2004/18/CE) puis, deux ans plus tard, par le code des marchés publics français de 2006 (article 5 relatif à la détermination des besoins et article 14 relatif aux clauses sociales et environnementales).

Depuis, l’objectif de prise en compte du développement durable s’est peu à peu installé dans le paysage normatif, les acheteurs ayant été de plus en plus incités à en tenir compte. Mais en l’absence de réglementation réellement contraignante, seuls 12,11 % des marchés d’un montant supérieur à 90 000 € HT contenaient, en 2020, une « clause sociale » et seuls 16,85 % contenaient une « clause environnementale » (chiffres OECP).

Les textes les plus récents, dont principalement la loi n°2021-1104 du 22 août 2021, dite loi climat et résilience, devraient toutefois permettre de déployer davantage la prise en compte du développement durable dans les achats de l’administration.

Sans prétendre à être exhaustif, il ainsi est possible de dresser un tableau des dernières évolutions intervenues en la matière, qu’elles soient générales (1) ou propres à certaines catégories d’achat (2).

Règles générales : une transition lente vers des règles plus contraignantes

Tout d’abord, il faut rappeler que depuis 2016, l’État et ses établissements publics n’ayant pas un caractère industriel et commercial sont tenus par l’article R. 2341-1 du code de l’énergie de n’acquérir que des produits à haute performance énergétique.

De même, ces acheteurs sont censés imposer à leurs prestataires de ne recourir qu’à des produits de haute performance énergétique (sauf exception). Enfin, ils ne peuvent acheter et prendre à bail que des bâtiments à haute performance énergétique.

La loi climat et résilience a quant à elle modifié de façon assez significative les règles générales des marchés publics.

En particulier, le recours à un critère environnemental pour le jugement des offres va devenir obligatoire. Le décret n°2022-767 du 2 mai 2022, modifiant l’article R. 2152-7 du code de la commande publique, a toutefois fixé l’entrée en vigueur de cette nouvelle règle au 21 août 2026.

De la même façon, l’article 35 de loi climat et résilience a rendu obligatoire la prise en compte des objectifs de développement durable dans la définition des spécifications techniques. L’acheteur aura également l’obligation de prévoir des conditions d’exécution relatives à l’environnement. Enfin, dans une moindre mesure, c’est-à-dire uniquement pour les marchés d’un montant supérieur aux seuils européens, et sous réserve de plusieurs dérogations, l’intégration de conditions d’exécution relatives au domaine social et à l’emploi sera imposée aux acheteurs (cf. articles L. 2111-2 et L. 2112-2-1 du code de la commande publique).

Mais là encore, l’entrée en vigueur de ces dispositions n’est prévue qu’à l’horizon 2026 (les nouveaux CCAG parus en 2021 sont toutefois déjà compatibles et cohérents avec ces nouvelles règles).

De nombreuses règles sectorielles

Si la progression des règles générales de l’achat public reste lente, il faut en revanche relever l’existence de nombreuses règles sectorielles plus contraignantes et déjà applicables mais qui, du fait de leur dispersion, restent difficiles à appréhender :

Produits manufacturés : l’article 55 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, déjà modifié en 2021, impose aux acheteurs, « dès que cela est possible », de réduire la consommation de plastiques à usage unique et la production de déchets et à privilégier les biens issus du réemploi ou qui intègrent des matières recyclées. Pour cela, ils doivent prévoir des clauses et des critères de jugement des offres adaptés.

En matière de produits numériques, les acheteurs doivent tenir compte pour leurs achats de l’indice de réparabilité (à compter de 2023) et de l’indice de durabilité (à compter de 2026).

Enfin, pour certaines catégories de produits, une part minimale des achats doit être issue des filières du réemploi, de la réutilisation ou du recyclage (dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit, cf. article 58 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire et décret n°2021-254 du 9 mars 2021, non codifiés).

 Véhicules automobiles : les articles L. 224-7 et suivants du code de l’environnement, créés par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et récemment modifiés par la loi climat et résilience, imposent aux acheteurs publics d’acquérir ou de louer une part significative de véhicules à faibles émissions (VFE), voire à très faibles émissions (VTFE : véhicules électriques, à hydrogène, etc.).

Au total, entre les distinctions selon les catégories d’acheteurs, les véhicules légers, poids lourds et autocars, les VFE et les VTFE et les différentes dates butoirs (allant jusqu’au 1er janvier 2030), on dénombre pas moins de 19 catégories et, par conséquent, autant de règles différentes.

À noter également l’obligation pour les acheteurs de l’État de tenir compte du risque de déforestation importée dans leurs achats de véhicules et équipements (décret du 25 avril 2022, cf. infra).

Restauration collective : depuis le 1er janvier 2022, les repas servis doivent comprendre une part au moins égale à 50 % de produits satisfaisant à des exigences environnementales ou de commerce équitable, dont 20% issus de l’agriculture biologique (article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime, modifié par la loi climat et résilience).

De plus, au plus tard le 1er janvier 2024, les viandes et les produits de la pêche doivent représenter une part au moins égale, en valeur, à 60 % de produits satisfaisant à des exigences environnementales, ce taux étant fixé à 100 % dans les restaurants collectifs gérés par l’Etat, ses établissements publics et les entreprises publiques nationales.

À noter là encore l’obligation pour les acheteurs de l’État de tenir compte du risque de déforestation importée dans leurs achats liés à la restauration (décret du 25 avril 2022, cf. infra).

Entretien des espaces verts : le futur article L. 255-13-1 du code rural et de la pêche maritime créé par la loi climat et résilience, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2027, interdit aux personnes publiques d’utiliser ou de faire utiliser des engrais de synthèse pour l’entretien des espaces relevant de leur domaine public ou privé, hors utilisation agricole et entretien des équipements sportifs et des monuments historiques.

Construction et rénovation de bâtiments : l’article L. 228-4 du code de l’environnement dispose que : « à compter du 1er janvier 2030, l’usage des matériaux biosourcés ou bas-carbone intervient dans au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique. »

À noter encore une fois l’obligation pour les acheteurs de l’État de tenir compte du risque de déforestation importée dans leurs achats de matériaux de construction et de rénovation (décret du 25 avril 2022, cf. infra).

Véhicules et équipements, matériaux de construction et de rénovation, combustibles, mobilier, fournitures de bureau, produits d’entretien, restauration : la loi climat et résilience a créé l’article L. 110-7 du code de l’environnement, qui fixe comme objectif à l’État de ne plus acheter de biens ayant contribué directement à la déforestation, à la dégradation des forêts ou à la dégradation d’écosystèmes naturels en dehors du territoire national.

Dans ce cadre, le décret n°2022-641 du 25 avril 2022 (non codifié) impose aux acheteurs de l’État de tenir compte de l’objectif qui leur est assigné notamment au moment de la définition de ses besoins et en privilégiant le recours à des écolabels.

En conclusion, ce rapide tour d’horizon permet de confirmer que la réglementation de l’achat public évolue bel et bien vers une prise en compte plus systématique du développement durable (surtout dans sa composante environnementale), en particulier depuis l’adoption de la loi climat et résilience du 25 août 2021, mais avec parfois un calendrier d’entrée en vigueur que certains pourront considérer incompatible avec l’urgence climatique (mais qui est justifié par le temps nécessaire à l’adaptation des pratiques d’achat).

Quoi qu’il en soit, au-delà même de cette question de calendrier, la difficulté pour les acheteurs publics restera d’identifier et de connaître l’ensemble de ces obligations et de rester au fait de leurs évolutions.