Le droit d’entrée dans les concessions de service public – mode d’emploi

Marchés privés de travaux et commande publique

Fanny Vandecasteele
Avocat of Counsel
Département Droit Public des Affaires
LexCase

Assimilé dans l’esprit collectif comme un « ticket d’entrée » ou « un pas de porte » librement négocié entre les parties et qui doit être acquitté par le nouvel entrant en vue de pouvoir bénéficier d’un investissement préexistant, le droit d’entrée en matière de droit des concessions renvoie à une notion non définie par la loi ou par la jurisprudence.

Le code de la commande publique consacre à ce jour deux articles spécifiques à cette notion :

  • L’article L. 3114-4, qui impose en tout premier lieu de justifier dans le contrat de concession le montant et le mode de calcul du droit d’entrée.
  • L’article L. 3114-5, qui interdit quant à lui la fixation d’un droit d’entrée en matière d’eau potable, d’assainissement et de traitements des déchets.

Ces dispositions ne permettent toutefois pas de répondre à une question essentielle pour les praticiens. Que peut-on intégrer dans le montant du droit d’entrée ?

Des premiers éléments de réponse ont été apportés par le Conseil d’État dans son avis du 19 avril 2005 rendu sur les contrats de concession de service public relatifs à l’exploitation des remontées mécaniques (cf. CE, Avis, 19 avril 2005, n° 371.234).

À cette occasion, le Conseil d’État a en effet pu rappeler que les droits d’entrée se doivent « d’être conformes à l’objet de la délégation » et qu’à ce titre « ils ne pourraient induire ceux des frais d’une résiliation qui seraient la conséquence d’une faute de la collectivité à l’égard du précédent délégataire » en considérant que de tels frais sont par nature étrangers à l’objet du nouveau contrat.

Ce même avis précise en revanche que les droits d’entrée peuvent comprendre le montant des biens de retour et de reprise mis à disposition du concessionnaire dans le cadre du futur contrat.

Sur cette base, plusieurs questions peuvent alors se poser :

En cas de résiliation anticipée d’un contrat de concession pour motif d’intérêt général, le montant de l’indemnité de manque à gagner versée au concessionnaire par l’autorité concédante peut-elle être incluse dans le montant du droit d’entrée du contrat suivant ?

Le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé précisément sur ce sujet.

À notre sens, l’intégration d’une telle indemnité dans le droit d’entrée du contrat suivant serait très vraisemblablement censurée par le juge administratif pour les raisons suivantes :

  • Premièrement, la solution dégagée par le Conseil d’État s’agissant de la résiliation irrégulière pourrait facilement être transposée à la résiliation pour motif d’intérêt général.

Outre que les sommes dues au concessionnaire sont identiques dans les deux hypothèses (pertes subies et gains manqués), il est également constant que l’indemnité de manque à gagner due à la suite de la résiliation d’un contrat pour motif d’intérêt général concerne là encore uniquement le contrat résilié et non pas le futur contrat de concession.

Une telle indemnité n’apparaît pas comme « conforme » à l’objet du futur contrat de concession ainsi que l’exige le Conseil d’État. Un tel droit d’entrée serait par ailleurs contraire aux dispositions de l’article L. 3114-1 du code de la commande publique qui rappellent expressément que le contrat de concession « ne peut contenir de clauses par lesquelles le concessionnaire prend à sa charge l’exécution de services, de travaux ou de paiements étrangers à l’objet de la concession. »

  • Deuxièmement, il est également constant que dans les faits la prise en charge par le nouveau délégataire de l’indemnisation du manque à gagner de son prédécesseur sera nécessairement répercutée sur les tarifs du service.

Or, s’agissant des services publics industriels et commerciaux, une telle pratique se trouverait en totale opposition avec le principe selon lequel les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers (cf. CE, 31 juillet 2009, Ville de Grenoble, n°296964).

Le Conseil d’État a ainsi pu censurer par le passé le tarif d’une concession de service public incluant le coût d’un droit d’entrée excédant la valeur des prestations fournies par l’autorité concédante et sans contrepartie directe pour l’usager du service (cf. CE, 30 septembre 1996, Société Stéphanoise des Eaux, n°156176).

Or, il est bien constant que l’usager du service concerné ne bénéficiera d’aucune contrepartie en lien avec l’indemnité de manque à gagner versée au précédent concessionnaire.

  • Troisièmement, au surplus, un tel mécanisme interrogerait sur le maintien de l’égalité de traitement entre les candidats potentiels à l’attribution du nouveau contrat de concession.

Le concessionnaire sortant qui souhaiterait se porter candidat à l’attribution du nouveau contrat serait nécessairement avantagé par rapport à ses concurrents directs, puisque le versement d’un montant correspondant à l’indemnisation du manque à gagner ne constituera pour lui qu’un simple jeu d’écriture comptable. L’indemnité de manque à gagner reçue par l’autorité concédante permettra de financer directement le montant du droit d’entrée. L’opération sera nulle.

Pour un nouvel entrant, il sera nécessaire de financer cette charge supplémentaire sans aucune contrepartie économique. Contrairement à l’incorporation dans le droit d’entrée de la valeur non amortie des biens de retour ou du prix des biens de reprise, aucun bien ou moyens matériel ne lui sera remis en contrepartie du paiement de la somme demandée.

Le montant du droit d’entrée doit-il correspondre à l’euro près au montant des biens de retour et de reprise mis à disposition du futur concessionnaire ou un « pas de porte » peut-il être sollicité par l’autorité concédante ?

En tout premier lieu, il sera utilement rappelé qu’en matière d’eau potable, d’assainissement et de traitement des déchets, l’article L. 3114-5 du code de la commande publique prohibe les droits d’entrée à la charge du futur concessionnaire. Néanmoins, la portée exacte de cette interdiction reste à arrêter du fait de l’absence de définition légale de la notion de droit d’entrée. Il semblerait en effet possible de considérer que les indemnités versées au concessionnaire sortant au titre des biens de retour non totalement amortis ou des biens de reprise pourraient ne pas tomber sous le coup de cette interdiction (cf. Instruction n°10-029-M0 du 7 décembre 2010 adoptée par le Ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État).  Ce point n’a toutefois pas encore été tranché en jurisprudence, de sorte que l’autorité concédante a aujourd’hui intérêt à limiter les sommes en jeu. Il appartiendra donc à cette dernière d’être particulièrement vigilante sur la rédaction des clauses liées à la restitution des biens de retour (notamment sur la pratique des amortissements), mais aussi sur l’exécution même du contrat.

Pour les autres secteurs, le montant du droit d’entrée mis à la charge du futur concessionnaire ne saurait, à notre sens, excéder le strict montant de la valeur des biens mis à disposition de ce dernier par l’autorité concédante (valeur nette comptable pour les biens de retour et valeur de rachat pour les biens de reprise). En effet, un droit d’entrée qui excéderait ces montants n’apparaîtrait pas justifié, puisqu’il mettrait nécessairement à la charge du concessionnaire des charges extérieures à son contrat de concession.

Le droit d’entrée ou « redevance initiale de mise à disposition des biens » doit être traitée comme une dépense d’investissement mise à la charge du futur concessionnaire qui doit être prise en compte pour déterminer la durée de la concession (cf. CE, 31 octobre 2014, Commune de Fontainebleau, n°487995).

Aucune limite n’est posée quant au montant du droit d’entrée pouvant être mis à la charge du concessionnaire dès lors qu’il est justifié. Il reste néanmoins qu’un droit d’entrée dont le montant serait très important par rapport à l’économie globale du contrat pourrait poser des difficultés en termes de liberté d’accès et de libre concurrence des opérateurs.

Il en en effet certain qu’un droit d’entrée élevé pour un contrat de courte durée, voire de très courte durée, n’est pas une situation favorable en termes d’ouverture de la concurrence. Le droit d’entrée doit être appréhendé dans sa globalité en corrélant son montant global à la durée du contrat et à l’état des biens remis. On pourrait admettre un droit d’entrée élevé qui s’explique par la transmission d’équipements récents, en très bon état, impliquant des investissements qui n’auront pas à être réalisés par le nouvel entrant.

Le droit d’entrée ne peut ainsi être totalement décorrélé de l’exécution du contrat précédent, et plus particulièrement du bon suivi de plan d’investissement. Aux autorités concédantes de faire une bonne application de leur pouvoir de contrôle et de suivi !