Projets de loi climat : impacts sur la commande publique

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Maxime Büsch
Avocat of counsel
LexCase

Mélanie Lebon
Élève-avocate

Le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » a été élaboré par le gouvernement à partir des travaux de la désormais célèbre Convention citoyenne pour le climat. Il est actuellement débattu au Parlement et reprend les six grands thèmes de la Convention (consommer ; produire et travailler ; se déplacer ; se loger ; se nourrir ; renforcer la protection judiciaire de l’environnement).

Logiquement, le droit de la commande publique est concerné par ce projet de loi, mais dans des proportions finalement assez limitées. En effet, à ce stade, seul l’article 15 du projet, s’il est adopté dans sa version actuelle, modifiera le code de la commande publique en rendant obligatoire la prise en compte par les acheteurs des considérations environnementales, au stade de la passation (1) et au stade l’exécution (2).

D’un régime incitatif mais facultatif, la réglementation des marchés publics devrait donc basculer, pour les aspects environnementaux, vers un régime partiellement contraignant, mais pas avant 5 ans, sachant de plus que certains contrats publics resteraient non soumis aux nouvelles règles (3).

I. L’obligation de prévoir un critère de sélection relatif aux caractéristiques environnementales de l’offre

Si à ce jour les critères de sélection des offres peuvent porter sur des aspects environnementaux tels que des exigences de performances en matière de protection de l’environnement, il ne s’agit toutefois que d’une simple possibilité laissée à la libre appréciation des acheteurs publics (article R. 2152-7, 2° du code de la commande publique).

L’article 15 du projet de loi conduirait à imposer le recours à un critère environnemental : « au moins un [des critères de jugement des offres] prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre » (modification de l’article L. 2152-7 du code).

L’intention paraît excellente et les possibilités nombreuses. Pour autant, les acheteurs devront rester vigilants dans l’application de cette nouvelle obligation.

Tout d’abord, il faut rappeler que les critères de jugement des offres doivent non seulement être objectifs, précis, non discriminatoires, mais également liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution (article L. 2152-7 du code). Autrement dit, il n’est pas envisageable pour un acheteur de choisir un critère basé, par exemple, sur la politique générale du prestataire en matière gestion des déchets, de modalité de déplacement des salariés ou plus généralement en matière environnementale (cf. par exemple CE, 25 mai 2018, Imprimerie Chiffoleau, n°417.580).

En outre, l’acheteur ne peut tenir compte de caractéristiques des offres pour procéder à leur notation que s’il est en mesure d’en vérifier l’exactitude (CE, 9 novembre 2015, Autocars de l’Ile de Beauté, n°392.785 : « Lorsque, pour fixer un critère d’attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d’une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d’exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats. »)

Il ne sera donc pas possible, pour l’acheteur, de s’en tenir à de simples déclarations de bonne intention de la part des candidats quant à leur gestion environnementale de la prestation.

Enfin, il faut signaler que cette obligation ne manquera pas de poser quelques difficultés pratiques dans certains types de marchés n’ayant pas d’impacts évidents et directs sur l’environnement (marchés d’assurances, de prestations juridiques, d’assistance à maîtrise d’ouvrage, etc.) : quel critère environnemental, lié à l’objet du marché et vérifiable, choisir ?

Par analogie avec les engagements de candidats en matière d’insertion sociale, une des solutions serait d’associer à une condition d’exécution environnementale prévue dans le marché (condition dont l’introduction sera obligatoire, cf. infra), une compétition entre les candidats sur leur niveau d’engagement et, bien sûr à une pénalité contractuelle en cas de non-respect de cet engagement.

Il pourra s’agir, par un exemple, d’un engagement en matière de pourcentage de trajet effectué en transport collectif pour les besoins d’une mission (attention cependant à ne pas formuler un critère « localiste » exprimé en kilomètres ou en bilan-carbone et privilégiant de facto les candidats situés à proximité de l’acheteur).

II. L’obligation d’inclure, dans les conditions d’exécution des marchés publics, des considérations relatives à l’environnement et à l’insertion sociale, la possibilité de réserver une part d’exécution aux entreprises solidaires d’utilité sociale

L’article 15 du projet de loi prévoit par ailleurs de rendre obligatoire l’intégration de conditions d’exécution environnementales dans les marchés publics à procédure formalisée et à procédure adaptée. Les autres considérations listées à l’article L. 2112-2 du code de la commande publique devaient, quant à elles, rester facultatives (économie, innovation, domaine social, emploi, lutte contre les discriminations).

En effet, le gouvernement ne s’était placé que dans une approche strictement écologique au détriment d’une approche plus complète basée sur l’objectif de « développement durable », notion qui permet d’allier tout à la fois un développement écologiquement soutenable, socialement équitable et économiquement efficace.

Lors de la première lecture du texte, début avril, les députés se sont inscrits dans cette perspective plus large en inscrivant également l’obligation d’inclure des clauses relatives « au domaine social et à l’emploi » dans les conditions d’exécution des marchés.

Précisons qu’à ce stade, le texte n’est bien évidemment pas figé (à l’heure où nous écrivons, la première lecture à l’Assemblée nationale n’est même pas encore terminée), et peut encore évoluer.

Cela étant, que cette obligation porte uniquement sur les clauses environnementales ou qu’elle porte également sur les clauses sociales, l’acheteur devra bien évidemment veiller, lors de la rédaction de son cahier des charges, à prévoir des sanctions en cas de non-respect de ses conditions, afin de les rendre effectives.

Celle-ci devrait avoir un effet important, puisque d’après l’Observatoire économique de la commande publique, encore peu de marchés intègrent une clause environnementale (15,8% des marchés publics en 2019) ou une clause sociale (12,5% des marchés publics en 2019).

Enfin, il faut signaler que les députés ont introduit par amendement un dispositif visant à encourager le recours aux entreprises solidaires d’utilité sociale dans le cadre des marchés « poursuivant un objectif écologiquement responsable ». Il s’agirait d’imposer aux titulaires de confier un minimum de 5% du montant prévisionnel du marché à des entreprises de cette catégorie.

III. Contrats exclus et entrée en vigueur

Les marchés publics de défense et de sécurité sont expressément dispensés de ces nouvelles obligations, tandis que les contrats de concessions (travaux et services) n’étaient pas mentionnés par le projet de loi.

Ce silence était regrettable, puisque les contrats de concession représentant une part importante de l’activité publique, s’inscrivent dans un temps long et portent sur des secteurs d’activités dans lesquels la prise en compte de considérations écologiques est particulièrement importante (traitement des déchets, assainissement, transport, aménagement, etc.). Le Conseil d’État n’a d’ailleurs pas omis de le signaler dans son avis rendu le 4 février 2021 sur le projet de loi. Celui-ci a été entendu par les députés, qui ont étendu le dispositif de la loi climat aux contrats de concession.

Ont également été prévues par les députés l’obligation pour les autorités concédantes de prendre en compte des objectifs de développement durable dans leur cahier des charges et celle, pour les concessionnaires, de décrire dans leur rapport annuel les mesures prises en faveur du développement durable.

S’agissant enfin de l’entrée en vigueur de ces dispositions, la circonspection est de mise, puisque celle-ci est prévue pour dans, « au plus tard », cinq ans (date fixée par un décret à intervenir).

La justification donnée par le gouvernement est qu’il convient de laisser le temps aux TPE et PME de s’adapter et que la Convention citoyenne pour le climat avait, quant à elle, fixé comme horizon l’année 2030.

Mais en pratique, il est à craindre que rien ne se passe durant ce délai et que, d’ici là, l’état du droit ait déjà été de nouveau modifié.