Le projet de directive « concession de services »

Jacques Dabreteau
Avocat à la Cour

1) Où en est-on de la proposition de directive adoptée par la Commission européenne le 20 décembre 2011 ?

À la suite de la publication de la proposition de directive « sur l’attribution de contrats de concession », concomitante à la publication de deux propositions abrogeant et refondant les directives « marchés » 2004/17 et 2004/18, le calendrier initial visait l’adoption de la directive en Assemblée plénière d’ici la fin de l’année 2012, précisément le 13 décembre.

Depuis lors, deux principales étapes ont jalonné la discussion du texte : l’examen préliminaire de la proposition de directive et l’étude d’impact devant la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, suivis d’une série d’auditions (« hearings ») tenues les 29 février et 21 mars 2012.

Il est désormais prévu que le rapporteur du texte, en l’occurrence le député européen Philippe Juvin, remette son rapport le 26 juin 2012, pour une traduction disponible le 10 juillet suivant.

En l’état actuel du calendrier d’adoption de la proposition de directive, la date limite de dépôt des amendements est fixée au 3 octobre 2012, avec une étude de ces derniers au cours du mois de novembre.

S’ensuivrait l’adoption du texte par la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs vers la mi-décembre 2012. L’adoption en Assemblée plénière devrait, quant à elle, intervenir au mois de février 2013, au plus tôt.

Le décalage de calendrier résulte vraisemblablement des âpres discussions, y compris au sein des États membres, sur la forme et le contenu du texte. En témoignent le document de travail du rapporteur du texte en date du 20 février 2012 faisant état de la « levée de boucliers » suscitée par la proposition de directive ou encore l’activité intense des groupes de travail mis en place par les fédérations professionnelles françaises.

2) Transparence, non-discrimination… quels sont les principaux objectifs de la future directive ?

Ce texte fait ressurgir un débat ancien, celui de l’encadrement, en droit de l’Union, des concessions de services, initialement exclues du champ d’application des directives « marchés ».

Il était attendu car la Commission avait annoncé, dans une communication du 13 avril 2011 (Acte pour le marché unique), sa volonté d’élaborer une initiative législative sur les concessions de services, « cadre législatif [permettant selon elle] une sécurité juridique accrue pour accompagner ces partenariats ».

Rappelons que l’attribution des concessions de travaux est soumise à un nombre limité de dispositions issues du droit dérivé (essentiellement de la directive 2004/18) et que les concessions de services sont uniquement couvertes par les règles fondamentales du traité en général, et les principes de non-discrimination en raison de la nationalité et d’égalité de traitement en particulier (impliquant une obligation de transparence garantissant un degré de publicité adéquat et le contrôle de l’impartialité des procédures d’attribution).

Or, la Commission a considéré que de telles règles étaient à la fois insuffisantes pour favoriser l’essor du marché des concessions et à l’origine d’une trop grande insécurité juridique.

L’objet de la proposition de directive est donc d’instituer un régime juridique clair, propre aux concessions et distinct de celui applicable aux marchés en vue d’assurer « une convergence et l’équité des conditions de concurrence dans l’Union européenne ».

Ainsi qu’il résulte du préambule de la proposition de directive, ce régime juridique poursuit deux objectifs principaux : renforcer la sécurité juridique lors de l’attribution des contrats de concession et garantir à toutes les entreprises européennes un meilleur accès au marché des concessions.

Toutefois, en dépit de son titre, la proposition de directive ne se contente pas de fixer les règles applicables à la passation des contrats de concession mais comprend également des dispositions régissant leur exécution.

3) Comment les élus français et la DAJ ont-ils réagi à cette proposition ?

Même si le texte était attendu, les élus français et la DAJ se montrent – au moins jusqu’à aujourd’hui – fermement opposés au contenu de la proposition de directive présentée par la Commission.

Il est vrai qu’un cadre juridique léger et adapté aux particularités de ces contrats était annoncé par la Commission, qui avait d’ailleurs initialement choisi d’insérer les dispositions propres aux concessions dans un projet de directive modifiant les directives « marchés ».

Or, loin de consacrer la « light approach » annoncée, la proposition de directive est considérée par les élus français et la DAJ, sans doute à juste titre, comme allant bien au-delà d’un cadre allégé en instituant au contraire un régime juridique complet et détaillé portant sur la passation et l’exécution des concessions.

Cette désapprobation du texte s’est d’ailleurs traduite par l’adoption d’une résolution européenne par le Sénat le 13 mars 2012 dans laquelle ce dernier « déplore l’initiative de la Commission ».

Plusieurs sujets cristallisent l’opposition des pouvoirs publics français, à savoir principalement un régime juridique trop calqué sur celui des marchés publics, le fort encadrement de la procédure de passation de nature à remettre en cause la liberté de négociation des offres autorisée par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 dite loi Sapin, l’absence, selon eux, de prise en compte des spécificités de certains secteurs (services culturels, distribution d’électricité, distribution de gaz naturel), ou encore le seuil – jugé trop faible – de 5 millions d’euros à partir duquel les concessions entrent dans le champ d’application de la directive (article 5).

Au-delà de la réaction des élus français et de la DAJ, les fédérations professionnelles françaises se sont quant à elles organisées, dès la parution de la proposition de directive, pour suivre de près et éventuellement influencer l’évolution du texte lors de sa discussion et ce, afin de préserver au mieux les intérêts des entreprises qu’elles représentent.

4) Que pensez-vous de ces nouvelles exigences encadrant un contrat public-privé ?

Il apparaît tout d’abord judicieux de vouloir élaborer un cadre juridique pour les concessions qui soit distinct de celui des marchés, compte tenu des différences substantielles entre ces deux catégories de contrats.

De même, l’initiative européenne permet de s’assurer d’un cadre homogène et cohérent applicable aux concessions dans tous les États membres.

Enfin, un certain nombre de dispositions figurant dans le texte proposé par la Commission répondent assurément aux objectifs de sécurité juridique et d’essor du marché des concessions.

Il en va ainsi de la consolidation de la définition de concession, de l’obligation de publicité préalable à leur attribution au-delà d’un seuil, du champ des activités couvertes (même si de nombreuses exceptions sont, par ailleurs, prévues) ou encore de l’information des candidats pendant la procédure de passation (communication sur les étapes de la procédure et les délais, information sur les critères d’attribution et leur pondération, information en cas de rejet de la candidature ou de l’offre…).

En revanche, le texte pose, en l’état, certaines difficultés – en partie relevées par le rapporteur – tenant principalement à trois causes : d’une part, la reprise d’un (trop) grand nombre de dispositions des directives « marchés » tout à fait inadaptées à la nature juridique des concessions (ce que révèle, par exemple, la référence au « prix du contrat »), d’autre part, l’utilisation à plusieurs reprises d’un vocabulaire source d’interrogations car procédant vraisemblablement d’une traduction impropre de termes anglo-saxons, telle la notion de « risque opérationnel » et enfin, une reprise de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui, parfois, ne se borne pas à une simple « codification » mais ajoute à cette dernière (relation in house, cession de contrat, modification de contrat…).

D’autres dispositions gagneraient en outre à être améliorées, par exemple celles sur la durée du contrat (qui excluent en l’état les contrats d’affermage) ou celles relatives à la procédure de passation (la négociation n’apparaît pas clairement comme une procédure de principe).

Enfin, certaines dispositions du texte régissant l’exécution des concessions, en particulier celles liées aux modifications de contrat, présentent – si elles devaient être conservées en l’état – de réelles difficultés d’interprétation qui ne faciliteront pas leur mise en œuvre.

Analysée au prisme du droit français des délégations de service public, la proposition de directive ne constitue certes pas une révolution, mais n’en demeure pas moins un cadre juridique nouveau – le premier propre aux concessions – et devrait entraîner des adaptations sensibles du droit et de la pratique. Le fragile équilibre patiemment construit sur lequel repose ces derniers explique, sans doute, l’accueil mitigé réservé au texte.

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