Le financement des contrats publics

Jérôme Pentecoste & Éric Villateau
Avocats Associés – Équipe PPP – Financement de projet

1) Quels sont les principaux symptômes de la crise actuelle du financement des contrats publics ?

La première difficulté est liée à la réduction des durées de maturité des dettes bancaires désormais déconnectées de la durée d’amortissement des actifs, ainsi que la durée des contrats d’exploitation.

En deuxième lieu, le renchérissement significatif des marges bancaires traduit un double phénomène de surcoût de la liquidité disponible et d’accroissement du risque du crédit souverain.

En troisième lieu, le niveau et l’étendue des garanties et sûretés demandées aux industriels sont de nature à brouiller les frontières traditionnelles entre financement de projet et financement corporate.

Enfin, les dispositifs juridiques permettant d’immuniser les financements des risques liés au recours défient parfois le bons sens : le temps consacré à la gestion des recours et des cas d’annulation est le signe d’un dysfonctionnement du marché financier des PPP, même s’il s’inscrit dans un contexte nouveau de multiplication des recours contre les contrats et/ou les autorisations de construire. Cette multiplication des recours impacte non seulement la mise à disposition des crédits eux-mêmes, retardant les projets, mais également les procédures de fixation des taux d’intérêt et nourrit ainsi la tendance à l’inflation des garanties demandées aux industriels.

2) Comment peut-on neutraliser le critère financier dans les consultations de type PPP ?

Les réponses apportées jusqu’à présent ont eu pour objectif de réduire les coûts de financement des offres, mais aussi de neutraliser au moins partiellement le critère financier dans la compétition entre les candidats. À ce titre, peuvent être distinguées les mesures temporaires (garantie d’État, mécanisme de l’offre ajustable), des bonnes pratiques de marché plus ou moins suivies (obligation de « libération » des prêteurs de leur clause d’exclusivité après désignation de l’attributaire pressenti, DDOF assorti d’un financement ferme inférieur à 100 %, réduction des délais de validité des offres finales, possibilité de funding competition, clauses de refinancement avec partage des gains…).

Toutefois, ces solutions sont limitées et partielles pour des raisons à la fois pratiques et juridiques : ainsi, le fait que le financement des investissements constitue un volet obligatoire du contrat global de partenariat, et donc un des critères de la compétition entre les candidats, ne milite pas en faveur d’un « écrasement complet » des différenciations des offres de financement, sous peine de fausser la mise en concurrence.

3) Quelles sont les nouvelles tendances du financement bancaire des projets publics ?

La conjoncture est favorable au développement de formules PPP affranchies du financement bancaire de très long terme.

Plusieurs idées sont avancées dont certaines sont en cours d’expérimentation : tout d’abord, le financement public partiel peut être privilégié, avec deux variantes selon que les fonds publics ont pour objet de préfinancer le projet ou de financer uniquement le paiement immédiat des travaux à la mise à disposition des équipements, le financement public prenant le relais d’un préfinancement bancaire privé. Il est vrai que la frontière entre PPP à paiement public « à la livraison » et marchés de conception-réalisation-exploitation-maintenance (contrats globaux dit « CREM ») est assez ténue ; la différence essentielle résidant dans la nature privée ou publique de la maîtrise d’ouvrage et par suite, dans le degré du transfert des risques.

Ensuite, un financement bancaire avec amortissement intégral sur une durée inférieure à celle du PPP ne paraît nullement interdit en droit positif. Sous réserve de sa soutenabilité budgétaire, cette formule mériterait d’être prévue dans les documents de la consultation, ne serait-ce qu’en vue du jugement des offres puisqu’elle viendra mécaniquement améliorer la valeur actualisée nette (VAN) du projet par l’économie d’intérêts financiers qu’elle engendre.

Enfin, il faut mentionner les financements bancaires à maturité moyenne assortis d’une valeur de sortie (« balourd » ou balloon) correspondant à l’encours du prêt restant dû qu’il faudra refinancer au terme du contrat de crédit. Cette solution connue sous le nom de soft ou hard mini-perm est désormais proposée – et parfois acceptée – dans les contrats publics à financement privé. Elle pose évidemment la question de l’allocation du risque de refinancement du balloon puisque le financement arrive à maturité au cours de l’exécution du contrat de PPP. Cette allocation se concrétise dans la valeur de résiliation applicable en cas d’échec des tentatives de refinancement et dans les modalités du refinancement (« fenêtre » plus ou moins ouverte pour refinancer, nombre de refinancements autorisés, maturité minimale du prêt de refinancement…).

4) Un contrat de type PPP ou DSP peut-il avoir une durée inférieure à la durée d’amortissement des biens financés par le cocontractant ?

Jusqu’à une décision très récente du Conseil d’État, la réponse semblait négative s’agissant de la durée d’amortissement des équipements édifiés dans le cadre d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine (AOT), car l’amortissement « ne peut être pratiqué sur une période excédant la validité du titre restant à courir » selon l’article R. 2125-5 du CG3P. Toutefois, il est permis de penser que cette interdiction ne trouve application que pour les besoins du calcul de l’indemnisation de l’occupant en cas de retrait de son titre.

Quoi qu’il en soit, le Conseil d’État vient de juger, par un considérant de principe, qu’une DSP peut « légalement prévoir le montant de l’indemnisation due au titre des investissements non encore amortis au terme du contrat » (CE 4 juillet 2012, CA Chartres Métropole).

S’agissant des contrats de partenariat, une solution identique s’impose. Le texte de l’ordonnance du 17 juin 2004 est, à cet égard, assez permissif puisqu’il détermine la durée du contrat « en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou (souligné par l’auteur) des modalités de financement retenues » (article 1er I).

Cela ne signifie pas que la personne publique soit autorisée à prendre le risque de valeur résiduelle du bien (lorsque celui-ci est susceptible d’être revendu comme c’est le cas pour certains équipements mobiliers). Du reste, il importe que la valeur de cette indemnisation correspondant à la valeur non amortie des investissements au terme normal du contrat, soit portée, s’agissant des collectivités locales, à la connaissance des élus en vue de recueillir leur approbation du contrat.

5) Comment évaluer la bancabilité juridique d’un projet ?

De manière macrojuridique, la bancabilité d’un projet PPP ou DSP s’apprécie à l’aune des deux mots-clés suivants : certitude et transparence.

Degré de certitude offerte aux prêteurs en termes de rémunération/indemnisation de l’emprunteur par la personne publique (logique de détermination précise et/ou de plancher) et en termes de pénalités-autres compensations par la personne publique (logique d’exclusion et/ou de plafond).

Degré de transparence des risques pris par l’emprunteur (le plus souvent, une société de projet) et rebasculés sur ses partenaires industriels par le biais des sous-contrats (logique de back to back et de if and when, plafonds de responsabilité).

Concrètement, l’analyse juridique de bancabilité du projet conduit à examiner très attentivement le package de sûretés octroyées aux banques, les accords directs et conventions tripartites associant les banques et la personne publique et bien évidemment, les clauses dites financières du contrat principal dont le spectre est en définitive très large : structuration de la rémunération (loyers, préloyers, subventions, recettes tierces), pénalités de retard et de performance, causes légitimes exonératoires, procédure de mise à disposition, prise d’effet des actes d’acceptation Dailly, déclenchement du loyer (cas de retard, loyer de « rattrapage », durée fixe d’exploitation…), procédures et sanctions coercitives (mise en régie, déchéance), cas et valeurs de résiliation (prise en compte des coûts/gains de rupture des swaps, des coûts obligatoires ou additionnels…), modalités de fixation du taux d’intérêt (notamment avant mise à disposition et/ou en cas de recours pendant), clauses de refinancement, clauses de gestion des recours des tiers et mesures de retrait (indemnisation, poursuite ou non du contrat…).

6) En quoi les recettes annexes sont-elles une source d’optimisation du financement en contrat de partenariat ?

Notre expérience sur des projets récents, de taille très importante comme de petite taille, nous enseigne que la bonification de l’opération, par le truchement de recettes tierces, est souvent réduite, sinon illusoire. Le principe de base qui consiste à maximiser l’utilisation, au profit de clients tiers, des investissements accomplis pour les besoins de la personne publique est assurément excellent. Toutefois, les projets à recettes tierces substantielles sont peu nombreux, soit parce que l’objet du contrat ne s’y prête guère (prisons, universités, bâtiments administratifs…), soit parce que le niveau des recettes prévisionnelles est trop incertain pour que les opérateurs privés prennent un risque de trafic ou de commercialisation conséquent.

De plus, sur les grands projets susceptibles de générer un potentiel élevé de recettes tierces (stades, bâtiments publics avec possibilité de valorisation immobilière…), les montages mis en place se sont heurtés à une complexification sensible du projet. Il a en effet été nécessaire, pour les besoins du financement, d’assurer une étanchéité maximale entre les deux parties du projet. Aussi, pour les PPP à valorisation immobilière du foncier public, l’approche juridico-financière des catégories d’investisseurs et de prêteurs est très différente selon qu’il s’agit du « projet public » répondant aux besoins de la personne publique (financement du projet) ou du « projet privé » répondant aux besoins de clients tiers (financement immobilier).

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