La pratique des VEFA publiques après la réforme du droit de la commande publique

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

[vc_row][vc_column][vc_column_text]Autorisé pour les organismes HLM depuis la loi d’orientation pour la ville de 1991, le contrat de VEFA a très tôt permis la construction d’ouvrages par des personnes privées pour des personnes publiques. Ce montage a favorisé la réalisation de bâtiments souvent complexes regroupant, dans un même immeuble, des équipements destinés au service public, mais également des équipements privés comme des logements. Cette imbrication se traduit par des copropriétés entre acteurs publics et privés.

La pratique ancienne des VEFA publiques

La pratique des VEFA par les personnes publiques est ancienne, notamment au regard de son intérêt financier. En effet, la conclusion d’un contrat de VEFA par une collectivité ou par un acteur public au sens large lui permet de n’avoir pas à supporter le portage financier de l’opération. Cela lui permet de différer l’investissement et d’échelonner le paiement des travaux.

De plus, et c’est également un avantage important, la VEFA permet à la personne publique de gagner un temps considérable dans la mesure où l’acquisition foncière n’est pas séparée de l’opération de travaux. En d’autres termes, la personne publique n’a pas à devoir introduire une procédure de mise en concurrence pour les travaux ni même à prospecter en matière foncière.

Ce contrat, utilisé depuis fort longtemps par les personnes publiques, a ainsi permis la réalisation d’un grand nombre de bâtiments publics comme un hôtel de région, le siège de juridiction, un parc public de stationnement, un auditorium public, des halles de marchés, des crèches, etc.

Pour mémoire : la VEFA est un contrat de vente d’immeubles à construire dont les dispositions ont été codifiées à l’article 1601-3 du code civil. Cet instrument permet le transfert immédiat de la propriété du sol et progressif de la propriété des ouvrages réalisés, à l’acquéreur. Le paiement est échelonné, au fur et à mesure de la réalisation des travaux ; la maîtrise d’ouvrage appartient au vendeur jusqu’à la réception des travaux. Son mécanisme opérationnel permet ainsi à l’acquéreur de bénéficier d’une situation plutôt favorable.

L’encadrement jurisprudentiel des VEFA publiques

Avant la réforme du droit de la commande du publique du 1er avril 2016 (Ord. 2015-899 23-7-2015 ; Décret 2016-360 du 25-3-2016), l’utilisation de la VEFA par ces opérateurs s’appréciait au regard de l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique issue de la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée dite loi MOP.

Pour rappel, la loi MOP impose aux personnes morales de droit public et certaines personnes morales de droit privé de garder la maîtrise d’ouvrage publique lorsqu’elles font construire un ouvrage, en fonction de leurs besoins, sur un terrain qui ne leur appartient pas.

Afin de rationaliser et surtout de rassurer les acteurs publics quant à son utilisation, le juge administratif (CE sect. 8-2-1991 n° 57679 : Lebon p.41)  a reconnu la légalité du recours à des VEFA de gré à gré, sous réserve que l’objet du contrat ne porte pas sur la construction d’un immeuble et ne vise que l’acquisition d’une partie de l’immeuble ; que si l’opération est engagée à l’initiative du vendeur, elle ne soit donc pas conçue exclusivement en fonction des besoins propres de la personne publique. Le Conseil d’État impose enfin une condition supplémentaire tenant à ce que le terrain appartienne bien à la personne privée.

Par ailleurs, avant la réforme du droit de la commande publique, la qualification en droit interne de marché de travaux était liée à la maîtrise d’ouvrage publique (code des marchés publics art. 1 ancien, abrogé par l’ord. 2015-899 du 23-7-2015 art. 102). Ainsi, l’utilisation de la VEFA sous maîtrise d’ouvrage privée excluait la qualification de marché de travaux en droit interne.

La réduction du champ de la VEFA de gré à gré par la réforme de la commande publique

L’ordonnance du 23 juillet 2015, le décret de 2016 et désormais le code de la commande publique (CCP) ont profondément modifié cette définition interne du marché public de travaux. Ainsi l’article L. 1111-2 du CCP prévoit : « qu’un marché de travaux a pour objet : 1° Soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste figure dans un avis annexé au présent code ; 2° Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception. Un ouvrage est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique ».

On le voit, il n’existe plus de connexion entre le marché public de travaux et la maîtrise d’ouvrage publique. En conséquence, tous les contrats visant la réalisation de travaux ordonnés par des personnes publiques sont susceptibles de qualification en marchés public de travaux, quand bien même ces derniers ne seraient pas réalisés sous maîtrise d’ouvrage publique.

Désormais, en principe, seule une opération immobilière purement privée dont l’acheteur public n’est pas à l’initiative n’est pas soumise au droit de la commande publique.

Dans les autres cas, les personnes publiques doivent procéder à une procédure conforme au CCP en prévoyant les mesures adéquates de publicité et de mise en concurrence pour acquérir ou faire construire un immeuble répondant à leurs propres besoins. À défaut, l’opération sera illégale et le contrat entaché de nullité.

L’exception de l’article R. 2122-3 2° du code de la commande publique

Reprenant peu ou prou les dispositions de l’article 30 3° b) du décret du 25 mars 2016, l’article R. 2122-3 du CCP prévoit une exception aux exigences de publicité et de mises en concurrence. En effet, sur ce fondement, les acheteurs publics peuvent conclure un marché négocié de travaux sans publicité ni mise en concurrence dans la seule et unique hypothèse où les travaux ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, notamment lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire.

Ces raisons ne peuvent être invoquées que lorsqu’il n’existe objectivement aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public.

Sous réserve du respect de ces quatre conditions, et que l’acheteur public soit en capacité de prouver en toute objectivité l’ensemble de ces éléments, il pourra conclure un marché de travaux négocié sans publicité, ni mise en concurrence.

La mise en œuvre de la VEFA en pratique aujourd’hui

Le recours à la VEFA reste donc aujourd’hui un sujet aussi délicat que pertinent.

En effet, et les acheteurs publics se posent véritablement la question : quel usage faire de la VEFA ? Comment y avoir recours et l’articuler avec le dispositif du CCP ?

Les avantages notamment financiers et en termes de gains de temps de la VEFA subsistent pour les collectivités, elles auraient tort de se priver d’un tel outil juridique. Cependant, les collectivités ne peuvent, ni ne doivent se risquer à entrer en contradiction avec les nouvelles règles du droit de la commande publique.

Même si les certitudes manquent et si la jurisprudence n’est pas encore venue donner davantage de précisions sur le nouveau dispositif dérogatoire du CCP, il semble possible de fixer une ligne claire de répartition entre l’usage de la VEFA du code civil et le marché négocié de travaux sans publicité ni mise en concurrence. Sous réserve de ce que pourrait dire le juge, le recours à la VEFA de droit privé reste parfaitement envisageable dans l’hypothèse où le volume de l’immeuble à acquérir constitue la partie majoritaire d’un immeuble qui n’est pas entièrement destiné à l’acheteur public et sur lequel ce dernier n’a exercé aucune influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ouvrage, ni que celui-ci ait été conçu en fonction des besoins de l’acheteur public.

En revanche, si l’acheteur a exercé une influence déterminante et que le volume de l’immeuble à acquérir représente une partie minoritaire de l’ouvrage, alors le recours au marché négocié sans publicité ni mise en concurrence sera préféré. Il conviendra alors de justifier de son utilisation au regard des critères posés par le code au stade de la passation du marché de travaux et de s’assurer dans la rédaction des instrumentum de l’opération immobilière, de la clarté de la situation. Dans ces conditions, le recours aux VEFA doit être encouragé auprès des acteurs publics et privés.

Retrouvez Marie Knittel et Pascal Touhari pour une conférence sur ce thème au Salon des Maires le 19 novembre 2019 à 10h.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »10px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][ultimate_heading alignment= »left » el_class= »extra-height-bloc-citation » margin_design_tab_text= » »]Marie Knittel
Responsable du Pôle Droit Public Immobilier
Lacourte Notaires

 

 

 

 

Pascal Touhari
Directeur juridique de la Ville de Villeurbanne
Chargé d’enseignement à la Faculté de droit de l’Université de Montpellier
Directeur de la chronique collectivités du Journal du droit administratif[/ultimate_heading][/vc_column][/vc_row]