Faut-il mieux évaluer pour mieux légiférer ?

L'articulation entre marchés publics et sous-traitance

Après l’adoption du code de la commande publique, du décret de Noël 2018, du décret du 12 décembre 2019 et à l’aune de la rédaction de la future réforme des CCAG, la question de l’évaluation et de la performance des normes se pose.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15 avril 2009, un projet de loi est obligatoirement accompagné d’une étude d’impact. De quoi s’agit-il ? L’étude d’impact apporte l’éclairage du Gouvernement sur les avantages et les inconvénients du texte de loi qu’il dépose devant le Parlement. Or, en pratique, le dispositif d’évaluation des normes est infiniment plus complexe et ne nécessite « rien de plus que penser ce que nous faisons » selon la célèbre formule de Hannah Arendt.

Éclairer le parlement, réduire l’inflation législative, améliorer la qualité des normes, renforcer l’efficacité des politiques publiques, répondre aux exigences de transparence de l’action du Gouvernement et du Parlement, tant d’objectifs auxquels les études d’impact doivent répondre pour apporter une réponse à la crise de confiance des français vis-à-vis de leurs décideurs.

La naissance d’une culture de l’évaluation économique

Les études d’impact éclosent dans les années 1970 à l’initiative des pays anglo-saxons, avec une finalité essentiellement économique qui consistait à évaluer ex ante tous les avantages et les coûts des nouvelles normes.

Ces états pionniers se servirent des études économiques comme de véritables outils d’aide à la décision, visant à la fois à intégrer une culture de l’évaluation des politiques publiques ; à légitimer l’intervention de l’État comme régulateur (ce qui n’était pas chose aisée aux États-Unis) et à répondre aux plaintes des entreprises face à l’inflation normative en matière environnementale, sanitaire ou sécuritaire.

L’analyse coûts-avantages en quelques mots 

Cette méthode permet de quantifier les effets de la réforme et de les comparer à la situation dite contre-factuelle pour en mesurer l’impact, qui est ensuite traduit en unités monétaires. Lorsque la quantification est impossible, les décideurs se tournent vers l’analyse coût-efficacité (notamment en matière de santé ou de sécurité).

L’impulsion néolibérale qui prévalait à cette époque reposait, et repose d’ailleurs toujours, sur l’importance d’évaluer l’intérêt de la norme, en proposant des alternatives valables (qui comprend le maintien du statu quo normatif). Dans ce cas de figure, il ne s’agit pas de légiférer pour montrer que le pouvoir politique en place est au travail, mais de se pencher sur le sens donné à chaque norme.

Le système d’études d’impact américaines a ouvert les valves de la transparence du fonctionnement institutionnel (qu’elles aient été établies ex ante ou ex post) grâce à l’examen de la qualité des études réalisé par un organisme de contrôle indépendant.

L’institutionnalisation de l’évaluation des politiques publiques arrive en Europe grâce au Royaume-Uni qui adopta sa première procédure d’étude d’impact en 1985 lors du lancement du New Public Management (souvenez-vous de ce concept tendant à refuser de différencier la logique de gestion publique de la gestion privée).

Le Royaume-Uni, en tant que leader de l’étude d’impact européenne calcula les coûts-avantages de toutes les réglementations susceptibles d’avoir un impact sur les entreprises, les fondations ou les associations du pays en prenant en compte : le budget national, la concurrence, l’ouverture du marché, l’environnement, la santé, les aspects sociaux, les droits de l’Homme, la justice.

Les études d’impact plébiscitées par l’OCDE et par l’UE

S’inspirant des pays anglo-saxons, l’OCDE considère dès 1997 que ces études préalables reposent sur des « méthodes permettant d’examiner systématiquement un texte et de communiquer les informations aux décideurs ». L’organisation internationale, dans le cadre de la standardisation des études d’impact, indique aux pays membres que « dans l’idéal, une étude d’impact doit comporter une analyse des impacts positifs et négatifs de la réforme envisagée et une étude d’options ».

La Commission européenne n’est pas en reste. Souhaitant impulser une dynamique au niveau européen, elle réalise des analyses d’impact, en tenant compte des incidences économiques, sociales et environnementales de ses projets de texte, dont la qualité est ensuite vérifiée par le Comité d’Éxamen de la Réglementation qui émet un avis. Chaque étude d’impact est rendue publique, puis transmise à la fois au Conseil et au Parlement. Ce dernier peut réaliser une analyse d’impact parlementaire lorsque la proposition législative initiale a été profondément modifiée.

L’émergence des études d’impact en France

Le climat national est devenu plus favorable à une réflexion sur l’efficacité des politiques publiques à partir de 1995. Lors du premier mandat du Président Jacques Chirac, la culture de l’évaluation s’est plutôt tournée vers une logique de simplification des normes, jugées trop complexes par les administrés.

Rappelons toutefois que c’est à l’initiative du Gouvernement de Michel Rocard, en 1990, que le Conseil Scientifique de l’Évaluation est créé. L’institutionnalisation de l’évaluation des politiques publiques est alors lancée.

La circulaire du Premier ministre, Alain Juppé, du 26 juillet 1995 introduit pour la première fois l’obligation pour l’État central devant « échapper à la dictature du court terme, de fonder ses analyses sur une appréciation plus complète et plus précise des réalités en prolongeant son action par l’évaluation systématique des résultats de ce qu’il entreprend ». Cette même circulaire recommandait par ailleurs d’accompagner tout projet de texte nouveau d’une proposition d’abrogation des dispositions équivalentes.

Un bilan amer lié la mise en place des études d’impact avant 2009

Si ces premiers mouvements sont encourageants, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) amorce néanmoins un bilan amer de la pratique des études d’impact en France dans les années 2000.

La densité et la qualité des études d’impact sont très inégales à cette époque. Sans oublier que les études d’impact interviennent généralement après l’arbitrage du Gouvernement, ce qui justifie l’accusation d’études d’impact considérées comme des plaidoyers pro domo.

Le rapport Warsmann Simplifions nos lois pour guérir un mal français conclut pour sa part à un échec de la pratique de l’étude d’impact en France pour trois raisons :

  1. Les circulaires n’ont pas ou peu de caractère contraignant, et ce même si elles émanent du cabinet du Premier ministre.
  2. La notion d’étude d’impact était floue, ce qui a donné lieu à des interprétations diverses et biaisées.
  3. L’absence de culture de l’évaluation et par conséquent l’absence d’organisation des administrations centrales face à ce dispositif reste palpable.

Le rapport d’activité du Conseil d’État de 2006 préconisait pour sa part de recourir à un instrument juridique de rang plus élevé que la circulaire pour fixer le cadre de l’évaluation préalable de l’impact d’une réforme.

Si ces recommandations furent entendues au moment de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, elles faillirent demeurer ignorées par le projet de loi constitutionnelle initial. Fort heureusement, Jean-Luc Warsmann déposa un amendement proposant de modifier l’article 39 de la Constitution et renvoyant à une loi organique adoptée ultérieurement.

L’avènement de la loi organique du 15 avril 2009

Selon l’article 39 de la Constitution « la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique ». Adoptée le 15 avril 2009, la loi organique prévoit que « les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact » et énonce que « les documents rendant compte de cette étude d’impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d’État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent ».

L’étude d’impact est désormais un outil d’évaluation et d’aide à la décision des parlementaires dans le cadre du dépôt d’un projet de loi, qui s’articule aux nouvelles missions confiées au Parlement lors de la révision constitutionnelle de 2008, puisque les deux assemblées votent les lois, contrôlent l’action du Gouvernement et évaluent les politiques publiques.

À ce stade, il apparaît nécessaire de faire la distinction entre une étude d’impact qui doit évoluer durant l’élaboration du projet de loi et une évaluation préalable qui sert uniquement de document d’orientation et de traduction de l’action politique du Gouvernement.

Quelles sont les conditions de mise en œuvre des études d’impact ? 

La loi organique du 15 avril 2009 a fixé les règles encadrant le contenu, le périmètre et le champ d’action des études d’impact. L’article 8 précise que chaque étude d’impact doit, de façon complète, objective et factuelle :

  • Définir les objectifs poursuivis par le projet de loi pour s’assurer de sa clarté et de son intelligibilité.
  • Recenser les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles, ce qui comprend l’adoption d’éléments contractuels, de documents d’orientation ou encore de chartes librement consenties. Ces options étant parfois tout aussi efficaces qu’un outil législatif qui appesantirait l’ordre normatif.
  • Exposer la situation de fait et les motifs du recours à une nouvelle législation qui excluent la systématisation du recours à la loi pour justifier la mise en œuvre une décision publique.

Il ne s’agit nullement, sur le papier en tout cas, de justifier une solution prédéterminée mais d’apporter des éléments d’appréciation pertinents, en amont de l’arbitrage définitif des principales dispositions du projet de loi.

Cette démonstration d’opportunité politique, juridique et économique constitue un numéro d’équilibriste pour le pouvoir politique en place qui doit à la fois répondre à des objectifs d’intérêt général, prendre en compte les différents intérêts en présence et suivre la ligne programmatique qu’il s’est fixé en début de mandat.

L’articulation du projet de loi avec le droit européen doit également être justifiée dans l’étude d’impact, tout comme les modalités d’application dans le temps des dispositions, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées.

Chaque étude comprend une évaluation des conséquences directes et indirectes au niveau :

  • Économique (croissance, compétitivité, balance commerciale, PIB, inflation)
  • Social (emploi, relations individuelles/collectives, conditions de travail, organisation du marché du travail)
  • Environnemental (climat, biodiversité, coût carbone, modification des modes de production)

Viennent par ailleurs s’ajouter les coûts et les bénéfices financiers attendus pour chaque catégorie d’administration publique et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue.

La circulaire du 15 avril 2009 impose en parallèle, pour les projets de loi applicables aux collectivités territoriales, l’avis consultatif du Conseil National d’Évaluation des Normes, accompagné d’une fiche d’impact qui comprend l’évaluation financière de la réforme soumise à l’avis préalable du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG).

Sur la forme, l’étude d’impact doit être proportionnée à l’importance de la réforme portée par le Gouvernement, à la matière sur laquelle elle porte ou encore à son incidence sur les opérateurs économiques ou les particuliers qu’elle est susceptible de toucher.

C’est le Conseil d’État qui apprécie la conformité des études d’impact aux obligations fixées par la loi du 15 avril 2009. En tant qu’organe institutionnel, il examine le caractère suffisant des arguments avancés par le Gouvernement, sans étendre son contrôle à la pertinence, ni à la cohérence des études d’impact.

Des critiques émanant de toutes parts

Un plaidoyer pro domo

La Cour des Comptes s’interroge sur l’objectivité des études d’impact. Ces dernières étant généralement rédigées en fin de processus décisionnel par le ministère qui porte le projet.

La version initiale de l’étude d’impact adressée au SGG, qui fournit son appui méthodologique et valide les études en fin de course, est ensuite envoyée aux ministères concernés pour recueillir leurs observations et leurs réserves. Ce processus permet de s’assurer que la réforme bénéficie d’un consensus suffisant de la part des différentes administrations centrales, pour ensuite discuter de considérations politiques, plutôt que techniques, qui sont tranchées à ce stade.

L’étude d’impact est un document évolutif complété au gré du processus législatif

Pour lutter contre l’inflation législative, améliorer la qualité des normes et éclairer le Parlement, une étude d’impact doit être rédigée en amont de la préparation d’une réforme, puis complétée au fil du processus de rédaction de la loi, que ce soit en administration centrale, comme au Parlement.

La fabrique de la loi en fonction de l’actualité politique

Lorsque les outils législatifs servent les temps politiques, ils contribuent à la complexification de l’ordre normatif, créant une insécurité juridique pour les opérateurs économiques, les collectivités ou les administrés.

In fine, les études d’impact sont très souvent considérées comme un outil justifiant le bien fondé d’un projet de loi, notamment lorsque ce dernier constitue la réponse politique à une actualité ou à un fait divers.

Un échec trouvant ses justifications

Pour le CESE, il existe plusieurs facteurs explicatifsà l’échec de la culture de l’évaluation. Les études d’impact sont élaborées en circuit fermé ; le délai de rédaction est contraint par un temps politique court ; le recours à l’expertise externe n’est pas suffisant ; le contrôle porte uniquement sur les obligations posées par la loi organique de 2009, sans que la cohérence ou la pertinence de l’étude d’impact ne soient remises en cause ; les études d’impact ne sont pas actualisées quand le projet de loi a fondamentalement évolué.

L’évaluation continue des politiques publiques est un impératif démocratique plébiscité par toutes les catégories de personnes morales ou physiques concernées. La rédaction plurielle des normes par le public ou par les experts et l’amplification du champ de contrôle des études d’impact par un organe institutionnel indépendant permettraient, possiblement, de retisser les liens de confiance qui unissent les citoyens, les opérateurs économiques, les élus et les administrations.