Commande publique : retour sur l’automne-hiver, en attendant la collection printemps-été 2020

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Vincent Brenot
Avocat-associé
Cabinet August Debouzy

Charles Maurel
Avocat
Cabinet August Debouzy

Le décret n° 2019-1344 du 12 décembre 2019 modifiant certaines dispositions du code de la commande publique relatives aux seuils et aux avances (le « Décret de 2019 ») vient clore une année 2019 marquée par l’entrée en vigueur du code de la commande publique (1eravril). L’année 2020 ne devrait pas être en reste, avec la réforme, annoncée pour le printemps, des cahiers des clauses administratives générales (les « CCAG »). Retour sur cette actualité particulièrement riche qui témoigne de la vivacité d’un droit de la commande publique en permanente adaptation.

Les modifications issues du décret de 2019

Le Décret de 2019 poursuit louablement le double objectif de simplifier la conclusion des marchés publics de faible montant et de promouvoir l’accès des PME à ces derniers.

À cet effet, le décret contient deux principales mesures à savoir le relèvement du seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence préalables à la passation d’un marché public et l’augmentation, en faveur des PME, du taux minimal de l’avance pour les marchés publics conclus par certains acheteurs publics.

S’agissant de la première mesure, le DAJ de Bercy indique que : « Le formalisme d’une procédure de publicité et de mise en concurrence peut s’avérer être une contrainte disproportionnée par rapport aux enjeux de l’achat envisagé, tant pour les acheteurs que pour les entreprises. En ce sens, il pourrait même être regardé comme contraire à l’objectif d’efficacité de la commande publique que les principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement et de transparence des procédures tendent à atteindre. »

En d’autres termes, imposer pour la passation de petits marchés le déploiement d’un lourd formalisme peut induire des coûts excessifs pour la personne publique et décourager certains opérateurs de se porter candidats, réservant de facto ces marchés à des entités qui disposent de la capacité (humaine, technique et financière) d’industrialiser leur process de réponse aux procédures de la commande publique en jouant sur l’effet de volume agrégé.

L’idée de rehausser le seuil de dispense n’est pas nouvelle ; ce seuil, initialement fixé à 4 000 euros, a été successivement relevé à 15 000 euros HT en 2011 puis à 25 000 HT euros en 2015. Il est désormais fixé à 40 000 euros HT par l’article R. 2122-8 du code de la commande publique dans sa rédaction issue du Décret de 2019, ce qui le rapproche des seuils généralement pratiqués par nos voisins européens (qui demeurent souvent nettement plus élevés pour les marchés de travaux).

La liberté de l’acheteur public, même s’agissant de la conclusion des marchés d’un faible montant ne saurait toutefois être absolue. Ainsi, en cohérence avec les grands principes rappelés dans le titre préliminaire du code de la commande publique, l’article R. 2122-8 modifié précise que « l’acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».

Pour s’assurer du respect de cette disposition, le Décret de 2019 impose aux acheteurs, par le biais de l’article R. 2196-1 du code de la commande publique, de satisfaire à une obligation de transparence pour les marchés dont le montant est compris entre 25 000 euros et 40 000 euros HT. Ils sont ainsi obligés soit de mettre à disposition, en accès libre, les données essentielles de ces marchés, soit de publier au cours du premier trimestre de chaque année, sur le support de leur choix, la liste des marchés conclus l’année précédente. En revanche, l’obligation de communiquer les données essentielles des marchés dont la valeur est supérieure au seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence, désormais fixé à 40 000 HT, est maintenue.

Enfin, le Décret de 2019 a modifié l’article R. 2132-2 du code de la commande publique relatif à l’obligation de dématérialisation des documents de la consultation en alignant le seuil de déclenchement de cette obligation sur celui de l’article R. 2122-8 du code de la commande publique. Dorénavant, les acheteurs publics devront mettre à disposition, sur un profil acheteur, les documents de la consultation pour les marchés dont la valeur est égale ou supérieure à 40 000 euros HT.

La seconde mesure édictée par le Décret de 2019, consiste à doubler le taux minimum des avances versées aux PME titulaires de marchés publics conclus avec les collectivités territoriales, leurs établissements publics ou des établissements publics administratifs de l’État, autres que les établissements publics de santé. Toutefois, conformément à l’article R. 2191-7 du code de la commande publique ces dispositions ne s’appliquent qu’aux établissements publics dont les dépenses réelles de fonctionnement constatées au titre de l’avant dernier exercice clos sont supérieures à 60 millions d’euros.

La trésorerie est un enjeu majeur pour les entreprises et l’une des principales causes de faillite en France. Le besoin en fond de roulement est un indicateur important de leur santé financière. Or, les PME sont évidemment particulièrement exposées aux difficultés de trésorerie et se trouvent bien souvent incapables d’avancer les sommes nécessaires à l’exécution d’un marché public, sans avoir recours à l’emprunt. C’est pour pallier cet écueil et faciliter leur accès à la commande publique qu’il a été décidé de leur faire bénéficier, dès l’attribution du marché public, du règlement anticipé d’une partie du montant du marché.

Le taux minimal de l’avance versée aux PME, à l’origine de 5%, a été relevé en 2018 à 20% pour les marchés publics passés par l’État. Le Décret de 2019 rehausse le taux à 10% pour les marchés passés par les acheteurs locaux et pour certains établissements publics administratifs de l’État. L’écart existant entre l’État et les autres acheteurs s’explique, selon la DAJ de Bercy, par le fait que la situation financière des collectivités territoriales et des établissements publics a été prise en compte.

La réforme des CCAG annoncée pour le printemps 2020

Pour mémoire, les CCAG, dont le contenu est fixé par arrêté, sont des documents facultatifs[1]auxquels les acheteurs publics peuvent renvoyer pour définir leurs marchés. Ils servent de guide aux cocontractants pour encadrer leur relation contractuelle et sont un gage de sécurité juridique. C’est pour cette raison que 70% des marchés publics passés par l’État et plus de 99% des marchés passés par des acheteurs locaux y font référence[2].

Il est donc essentiel que ces outils d’aide à la contractualisation publique soient régulièrement mis à jour afin de demeurer en phase avec le droit applicable et la situation socio-économique.

Or, les CCAG sont pour l’essentiel figés depuis 2009. Il devenait urgent de les remanier en profondeur.

Sitôt achevé le code de la commande publique, le ministère de l’Économie et des finances a mené, au premier semestre 2019, une consultation afin de recueillir l’avis des acheteurs, des experts, des entreprises et de leurs fédérations. Un questionnaire a été adressé à quelque 300 destinataires afin de faire émerger des pistes de réflexion. Le 16 septembre 2019, à l’issue de la consultation, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé la publication de nouveaux CCAG pour le printemps 2020.

Les objectifs assignés par le ministère sont multiples. Outre la prise en compte des nombreuses évolutions textuelles et jurisprudentielles intervenues depuis 2009 et la volonté de créer un sixième CCAG dédié aux prestations de maîtrise d’œuvre, la réforme devra améliorer la lisibilité des CCAG, renforcer la sécurité juridique durant la phase d’exécution des marchés publics, adapter les CCAG à l’ère du numérique et de l’ouverture des données, promouvoir les achats durables et, là encore, favoriser l’accès des PME aux marchés publics.

Les CCAG seront actualisés notamment à l’aune du code de la commande publique et du règlement européen 2016/679 du 27 avril 2016 relatif au traitement des données personnelles dit « RGPD ». Par ailleurs, le gouvernement souhaite élargir le mouvement de dématérialisation des marchés publics,engagé par la réforme du 1eroctobre 2018, à l’exécution de ces contrats. Les actes d’exécution tels que les ordres de service (« OS ») ou les bons de commande devraient ainsi être dématérialisés et les modalités de transmission des factures électroniques sur le logiciel Chorus Pro devraient être précisées.

Au-delà de la modernisation des CCAG, diverses pistes d’amélioration sont actuellement étudiées par les groupes de travail mis en place par le ministère de l’Économie et des Finances pour répondre aux objectifs de la réforme.

Si les CCAG ne peuvent que refléter le déséquilibre consubstantiel à la notion même de contrat public, rappelé à l’article L. 6 du code de la commande publique, leur réforme vise néanmoins à l’atténuer notamment en renforçant le dialogue entre les parties.

Le groupe de travail dédié à la prévention des litiges a ainsi dégagé six pistes qui devraient permettre d’aboutir à « diminuer le sentiment d’unilatéralité propre à l’exécution de contrat administratif »[3]à savoir : l’obligation de mettre en demeure le titulaire du marché avant d’appliquer des pénalités de retard afin que qu’il puisse apporter des éclaircissements voire se dédouaner, la mise en œuvre d’une décision d’acceptation implicite lorsque l’acheteur ne répond pas aux observations du cocontractant à la suite de la notification d’un bon de commande, l’insertion d’une clause commune à l’ensemble des CCAG permettant de recourir à des mesures alternatives de règlement des différends comme cela est désormais prévu par l’article R. 2197-1 du code de la commande publique, l’instauration d’une définition claire et précise du mémoire en réclamation et du point de départ du délai pour présenter une réclamation et enfin l’instauration d’un délai de recours de deux mois pour tous les CCAG, exceptés le CCAG-Travaux à compter de la décision de l’acheteur en réponse à la réclamation.

La DAJ de Bercy travaille également à la rédaction de clauses financières plus favorables aux cocontractants des acheteurs publics en s’inspirant de dispositions déjà existantes ou de la jurisprudence.

À titre d’exemple, l’article L. 2194-3 du code de la commande publique, issu de la loi PACTE du 22 mai 2019, prévoit que « les prestations supplémentaires ou modificatives demandées par l’acheteur au titulaire d’un marché public de travaux qui sont nécessaires au bon achèvement de l’ouvrage et ont une incidence financière sur le marché public font l’objet d’une contrepartie permettant une juste rémunération du titulaire du contrat ». La valorisation des ordres de service devrait vraisemblablement être consacrée dans les CCAG.

Une autre piste consisterait à insérer des clauses incitatives « notamment aux fins d’améliorer les délais d’exécution, de rechercher une meilleure qualité des prestations et de réduire les coûts de production »[4].

Enfin, la refonte des CCAG pourrait être l’occasion de graver dans le marbre certaines décisions avantageuses pour le titulaire à l’instar de l’arrêt du Conseil d’État du 20 mars 2013 Centre hospitalier de Versailles[5]qui interdit à l’acheteur public de réclamer des sommes nécessaires à la levée des réserves après l’envoi du décompte général et définitif, conformément aux principes d’unicité et d’intangibilité du décompte général définitif.

Rendez-vous au printemps.

[1]Article R. 2112-2 du code de la commande publique.

[2]DAJ de Bercy, questionnaire relatif à la réforme des cahiers des clauses administratives générales, 3 mai 2019.

[3]DAJ de Bercy, questionnaire relatif à la réforme des cahiers des clauses administratives générales, 3 mai 2019.

[4]Article 17 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics (abrogé).

[5]CE 20 mars 2013, Centre hospitalier de Versailles, n°357636.