Le décret n°2019-1344 du 12 décembre 2019 modifiant certaines dispositions du code de la commande publique relative aux seuils et aux avances

Jacques Dabreteau
Avocat associé
Responsable du département droit public
Ashurst LLP

À chaque Noël ses cadeaux ! Il y a près d’un an, c’était la veille du 25 décembre qu’était publié un décret portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique comprenant des dispositions destinées, notamment, à accroître l’attractivité des marchés publics pour les PME (relèvement de 5% à 20% du taux minimum d’avances versées aux PME titulaires (ou sous-traitantes admises au paiement direct) de marchés publics conclus avec l’État, diminution du montant maximal de la retenue de garantie, ou encore dispense de publicité et de mise en concurrence pour la passation des marchés de moins de 100.000 euros visant l’acquisition de produits innovants).

Pour la seconde année consécutive, c’est à l’approche des fêtes qu’est publié un décret qui, à la lumière de la fiche d’impact sur le projet correspondant, vise tout à la fois à faciliter l’accès des PME à la commande publique et à simplifier la conclusion de marchés publics répondant à un besoin de faible montant.

Si l' »avènement » du décret du 12 décembre 2019 était annoncé depuis plusieurs mois – le projet de décret ayant été mis en ligne en septembre dernier –, il n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2020. Les nouvelles dispositions seront ainsi applicables aux marchés publics pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication à compter de cette date.

Ce décret comprend deux mesures d’inégale portée :

D’une part, le relèvement du seuil de la valeur du besoin en-deçà duquel un acheteur peut conclure un marché public sans publicité ni mise en concurrence préalables (1) ;

D’autre part, le doublement du taux des avances versées aux PME titulaires de marchés publics conclus avec certains acheteurs (2)

LE RELÈVEMENT DU SEUIL DE DISPENSE DE PROCÉDURE POUR LES MARCHÉS PUBLICS DE FAIBLE MONTANT

Sur ce premier point, le nouveau décret poursuit le mouvement initié depuis une dizaine d’années tendant au relèvement du seuil de dispense de procédure de publicité et de mise en concurrence préalables pour les marchés publics de faible montant.

La logique, compréhensible, du relèvement progressif du seuil de dispense de procédure repose sur le souci de faciliter la conclusion des marchés publics de faible montant. Comme le relève la DAJ dans sa fiche explicative, « [p]our les achats de faible montant, le formalisme d’une procédure de publicité et de mise en concurrence peut s’avérer être une contrainte disproportionnée aux enjeux de l’achat envisagé, tant pour les acheteurs que pour les entreprises« .

Cette logique de relèvement, outre qu’elle permet désormais de situer la France dans la moyenne européenne pour les marchés de services, peut également s’avérer bénéfique pour les PME qui, pour certaines, ne disposent pas nécessairement des moyens (humains ou matériels) de concourir à une procédure de publicité et de mise en concurrence.

On rappellera que le seuil de dispense de procédure, initialement fixé à 4.000 € HT dans le Code des marchés publics de 2006 (article 28 in fine), a été progressivement relevé :

D’abord de façon temporaire à 20 000 € HT entre 2008 et 2010, avant que le décret correspondant (décret n°2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif au relèvement de certains seuils du code des marchés publics) soit annulé,

Puis à 15 000 € HT en 2011 (décret n°2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant certains seuils du code des marchés publics),

Et enfin à 25 000 € HT en 2015 (décret n°2015-1163 du 17 septembre 2015 modifiant certains seuils relatifs aux marchés publics).

On se souvient, en effet, que le Conseil d’Etat avait censuré le relèvement, de manière générale, du seuil de        4 000 à 20 000 € HT en précisant que si les principes fondamentaux de la commande publique (liberté d’accès, égalité de traitement des candidats, transparence des procédures) ne s’opposaient pas à ce que le pouvoir réglementaire permette au pouvoir adjudicateur de décider que le marché soit passé sans publicité, ni mise en concurrence, ce ne pouvait être que dans les cas où il apparaissait que de telles formalités s’avéraient impossibles ou manifestement inutiles, notamment en raison de l’objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré (CE 10 février 2010, M. Perez, req. n°329100).

C’est pourquoi, en relevant le seuil de dispense de procédure à 15 000 € HT, le décret du 9 décembre 2011 avait notamment pris soin de préciser que, pour les marchés inférieurs à ce seuil, le pouvoir adjudicateur devait veiller à « choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu’il existe une pluralité d’offres potentielles susceptibles de répondre au besoin » (voir également article 118 de la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives).

Le décret du 17 septembre 2015 devait assortir des mêmes garanties la faculté offerte aux acheteurs de conclure directement des marchés publics répondant à un besoin d’une valeur estimée inférieure à 25 000 € HT. C’est au regard de ces garanties que le Conseil d’Etat a ensuite rejeté le recours formé contre le décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, par le requérant qui avait obtenu gain de cause contre le relèvement du seuil à 20 000 € HT (CE 17 mars 2017, M. Perez, req. n°403768 et 403817).

Ces garanties figurent désormais à l’article R. 2122-8 du code de la commande publique (« CCP« ) qui dispose, selon une formulation légèrement retouchée, que « [l]‘acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin« .

À la lumière de ces dispositions, il est fortement recommandé aux acheteurs qui souhaitent utiliser la faculté de conclure directement des marchés publics de faible montant (montant inférieur à 40 000 € HT) de prendre certaines précautions : disposer, par exemple via un sourcing ciblé, d’une bonne connaissance du domaine dans lequel s’inscrit le marché et des opérateurs économiques du secteur, solliciter plusieurs devis pour comparer les propositions, etc. En effet, il leur appartiendra le cas échéant de pouvoir démontrer qu’ils se sont conformés aux exigences précitées, le contrôle du juge étant d’autant plus étroit s’agissant d’une exception aux obligations de publicité et de mise en concurrence. À cet égard, on rappellera que des marchés de faible montant (en l’espèce, un montant inférieur au nouveau seuil) ont pu souffrir d’une publicité insuffisante (CE 7 octobre 2005, Région Nord-Pas-de-Calais, req. n°278732).

Par cohérence avec le relèvement du seuil de dispense de procédure, le décret du 12 décembre 2019 réhausse à 40 000 € HT : le seuil au-delà duquel les données essentielles des marchés de faible montant doivent être mises à disposition sur le profil d’acheteur (article R. 2196-1 du CCP).

Cet allègement s’accompagne toutefois d’une obligation de transparence pour les marchés publics dont le montant est compris entre 25 000 € HT et 40 000 € HT. Pour ces derniers, les acheteurs ont le choix soit de se soumettre volontairement à l’obligation précitée de mise à disposition des données essentielles, soit de publier annuellement au cours du premier trimestre et sur un support de leur choix (exemple : site internet) la liste des marchés de faible montant conclus l’année précédente en précisant leur objet, leur montant hors taxes, leur date de conclusion, ainsi que le nom et la localisation de l’attributaire.

Le seuil de déclenchement des obligations de dématérialisation, autrement dit le seuil au-delà duquel les documents de la consultation sont obligatoirement mis à disposition des opérateurs économiques sur le profil d’acheteur (article R. 2132-2 du CCP).

En revanche, l’obligation de conclure par écrit les marchés publics d’un montant égal ou supérieur à 25 000 € HT demeure inchangée.

Précisons, en dernier lieu, qu’à la suite de ce décret, trois seuils de dispense procédure seront désormais applicables : le seuil général de 40 000 € HT, un seuil spécial de 100 000 € HT pour les marchés publics portant sur des travaux, fournitures ou services innovants, et un seuil spécial de 90 000 € HT pour les marchés publics de fournitures de livres non scolaires conclus par certains acheteurs pour leurs besoins propres ou pour l’enrichissement des collections des bibliothèques accueillant du public.

LE DOUBLEMENT DU MONTANT DES AVANCES VERSÉES AUX PME TITULAIRES DE MARCHÉS PUBLICS CONCLUS AVEC CERTAINS ACHETEURS

Sur ce deuxième point, et là aussi en cohérence avec les textes antérieurs, le décret du 12 décembre 2019 revalorise le taux minimum des avances versées aux PME titulaires de marchés publics ou sous-traitantes admises au paiement direct.

Il s’agit ici de ménager la trésorerie des PME qui bénéficieront ainsi d’un règlement anticipé d’une partie plus importante du marché, tout au moins s’agissant des marchés pour lesquels le versement d’une avance est obligatoire (à savoir ceux dont le montant est supérieur à 50 000 € HT et dont le délai d’exécution excède deux mois).

Ce seuil, on l’a dit, avait déjà été relevé de 5% à 20% pour les marchés publics passés avec l’Etat, quadruplant ainsi le montant minimum d’avances susceptibles d’être versées aux PME.

À compter du 1er janvier 2020, ce même seuil de 5% sera porté à 10% pour les marchés publics conclus avec les acheteurs publics locaux (collectivités territoriales notamment) et les établissements publics administratifs de l’Etat (autres que les établissements publics de santé) majeurs, en l’occurrence ceux dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d’euros par an. Ce dernier seuil a, en effet, été introduit afin de ne pas mettre dans une situation financière compliquée les acheteurs de moindre envergure.

Au total, ces nouvelles règles de passation (relèvement du seuil de dispense de procédure) et d’exécution (doublement du montant des avances versées aux PME) reflètent le souci de simplifier et de faciliter l’accès à la commande publique, et par là-même d’en accroître l’efficacité.