En attendant le décret relatif aux marchés publics…

Anne ConstantiniAnne Constantini
Avocat Associé
Solon Avocats

 

Yves PonsYves Pons
Avocat Associé
Solon Avocats

Plus de trois mois après l’adoption de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 transposant les directives européennes du 26 février 2014 sur les marchés publics (secteurs classiques et secteurs spéciaux), la Direction des affaires juridiques de Bercy a mis en ligne et soumis à consultation jusqu’au 4 décembre 2015 le projet de décret tant attendu relatif au marchés publics, achevant ainsi la transposition des directives précitées. Son entrée en vigueur est prévue au 1er avril 2016.

1. La consécration du recours au sourcing

La pratique du sourcing est consacrée à l’article 3 du projet de décret qui autorise les acheteurs à y procéder préalablement à la passation d’un marché, et dans le respect des grands principes de la commande publique, aux fins d’optimisation des achats bien sûr.

Si l’initiative doit être saluée, relevons toutefois que l’article 4 dudit projet fait obligation aux acheteurs de veiller à ne pas fausser la concurrence du fait de la communication d’informations, notamment lors de la présentation d’une offre spontanée ou dans l’hypothèse où l’opérateur aurait participé à la préparation de la procédure de passation, ou alors en raison de sa qualité de titulaire d’un marché antérieur similaire.

Tout porte donc à croire que la pratique du sourcing s’avèrera au mieux un exercice (très) subtil pour les acheteurs, au pire une simple déclaration principe.

2. Une plus grande souplesse dans le choix des procédures de passation

Dans la droite ligne de l’ordonnance du 23 juillet 2015, l’article 25 du projet de décret rappelle que les procédures formalisées sont l’appel d’offres, la procédure concurrentielle avec négociations et le dialogue compétitif et précise les cas de recours aux deux dernières.

Conformément à ce que l’ordonnance laissait d’ores et déjà présager, la possibilité de recourir à la procédure négociée et au dialogue est considérablement étendue puisque, parmi les six cas de recours énumérés par le texte, on peut citer, à titre d’illustration, l’hypothèse selon laquelle le marché comporte des prestations de conception ou encore le cas où une négociation s’avère nécessaire du fait de la nature du marché, de sa complexité, de son montage juridico-financier ou encore des risques qui y sont associés.

Le recours à la négociation est donc sensiblement facilité.

3. Une procédure de concours au champ d’application réduit

Contrairement à d’autres professions, il semblerait que les architectes aient obtenu gain de cause, à tout le moins partiellement. En effet, toute crainte liée à la disparition de la procédure de concours peut être dissipée : elle est maintenue aux articles 85 et 86 du projet de décret.

Relevons toutefois que l’obligation de recourir à la procédure de concours ne saurait désormais valoir que pour l’État, ses EPIC, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, sauf dans quelques cas précis dont l’attribution d’un marché relatif à « la réalisation d’un projet urbain ou paysager », exception de taille. De même, les autres acheteurs ne sont pas contraints de recourir à la procédure de concours (article 87).

4. L’encadrement du régime des avenants

L’article 134 détaille le régime applicable aux avenants qu’il intitule « modifications des marchés publics en cours d’exécution ». Le texte énumère notamment six cas de modifications, d’intérêt inégal.

Dans un premier temps, on relèvera que le projet de décret consacre le mouvement initié par l’arrêt de la CJUE Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, rendu le 19 juin 2008, (aff. C-454/06) en précisant que les documents de la consultation peuvent prévoir, sous réserve de certaines conditions, des avenants, et ce quel qu’en soit le montant.

En outre, le projet de décret rappelle qu’un avenant peut être conclu à la condition que la modification ne soit pas substantielle, mais, et c’est nouveau, la notion de modification substantielle est ici largement définie.

On relèvera également, nouveauté encore, que les seuils au-delà desquels les avenants ne peuvent être conclus sont ici indiqués : 10% du montant du marché initial pour les marchés de services et de fournitures et 15% pour les marchés de travaux.

5. L’encadrement du recours aux marchés de partenariat

Autre innovation attendue depuis la publication de l’ordonnance du 23 juillet, le recours aux marchés de partenariat est désormais subordonnée à une condition de seuil minimal : 5 M€ pour les biens immatériels, systèmes d’information ou équipements autres que des ouvrages, 10 M€ pour les ouvrages d’infrastructure de réseau et les ouvrages de bâtiment lorsque le marché n’inclut ni l’entretien-maintenance, ni la gestion du service public (ou des prestations associées) et 20 M€ dans les autres cas.

L’obligation d’intégrer un seuil minimum pour le recours aux marchés de partenariat avait, on s’en souvient, été imposé au gouvernement par le Conseil d’État dans le cadre de l’avis rendu par ce dernier sur le projet d’ordonnance.

L’intégration de seuils minimum répond très certainement à l’obligation de cantonner le recours à ce type de contrat, qui comme l’avait précisé tant le juge constitutionnel (décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003) que le Conseil d’État (CE, 29 octobre 2004, Sueur et autres, req. n° 269814), doivent demeurer des « dérogations aux droit de la commande publique », alors même que les conditions d’urgence et de complexité ont désormais disparues, ne laissant subsister que la condition du « bilan favorable » (ou « efficience »).

Le niveau, élevé, de ces seuils semble toutefois susciter dès à présent certaines critiques de la part des professionnels, y voyant déjà une condamnation du recours à ce type de montage.

Reste que, sans se prononcer sur le niveau des seuils qui sera finalement retenu à l’issu de la concertation, il convient d’ores et déjà de noter que ces seuils minimaux ne s’imposent pas pour les marchés de partenariat comportant des objectifs chiffrés de performance énergétique et une rémunération déterminée en fonction de l’atteinte de ces objectifs.

Est-ce à dire que l’ensemble des marchés de partenariat, notamment « bâtimentaire » qui intègrera, ce qui est désormais classique, des « objectifs de performance énergétique », sera exonéré du respect de ces seuils ?

Seul l’avenir nous le dira…

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