Marchés globaux, une famille recomposée et unie

Olivier OrtegaOlivier Ortega
Avocat Associé
Lefèvre Pelletier & associés, Avocats
Maître de conférences à Sciences Po Paris

Benoit LouisBenoit Louis
Avocat
Lefèvre Pelletier & associés, Avocats

L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics consacre la place des marchés publics globaux dans le droit de la commande publique tout en stabilisant leur régime juridique.

1. Des marchés publics globaux confortés

Le droit positif issu de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics distingue désormais deux grandes familles de marchés publics globaux.

Les marchés publics globaux « classiques », sans préfinancement privé des investissements ou travaux d’une part, et les marchés publics globaux à paiement différé, appelés « marchés de partenariat » et destinés à succéder aux contrats de partenariat issus de l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004 d’autre part.

Cette distinction a pour principal objectif de simplifier le paysage contractuel et de réduire, sinon de supprimer, tout risque de « surqualification »[1], voire de requalification de certains montages contractuels utilisés jusqu’alors.

En effet, il n’est désormais plus loisible aux acheteurs publics de recourir à certains montages contractuels complexes associant une autorisation d’occupation temporaire du domaine public constitutive de droits réels (AOT) ou un bail emphytéotique administratif (BEA) à une convention de mise à disposition des ouvrages réalisés. L’article 101 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 modifie les articles L. 2122-6 et L. 2341-1 du Code général de la propriété des personnes publiques – s’agissant des AOT et BEA conclus par l’État – ainsi que les articles L. 1311-2 et L. 1311-5 du Code général des collectivités territoriales de telle sorte qu’une AOT ou un BEA ne peut avoir pour objet « l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestations, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation ».

Désormais, le marché de partenariat est la seule solution contractuelle envisageable par les acheteurs publics désireux de mettre en place un partenariat public-privé, et le recours à l’AOT ou au BEA dans le cadre d’opérations de réalisation de travaux ou de prestations de fournitures et/ou de services ne peut revêtir qu’un caractère accessoire au marché public, en fonction de la nécessité éventuelle, pour le titulaire du marché public, d’occuper le domaine, d’assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux et de bénéficier de droits réels sur les dépendances considérées : « Dans le cas où un tel bail serait nécessaire à l’exécution d’un contrat de la commande publique, ce contrat prévoit, dans le respect des dispositions du présent code, les conditions de l’occupation du domaine. »[2]

S’il serait certainement exagéré de soutenir que le BEA ou l’AOT disparaissent totalement du champ de la commande publique, il n’est pas douteux que leur usage sera, à l’avenir, restreint à des opérations de rénovation ou d’amélioration des bâtiments et ne pourront plus être utilisés à titre principal comme bases de montages contractuels à préfinancement privé, le marché de partenariat étant appelé à remplir désormais cette fonction.

2. Des marchés publics globaux rénovés

L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 facilite le recours aux marchés dits « REM » et « CREM », sans en modifier le régime financier, et assouplit légèrement le régime du marché de partenariat.

Facilitation du recours au REM/CREM

L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 élargit les possibilités de recours aux marchés de réalisation, exploitation et maintenance (REM) ou de conception, réalisation, exploitation et maintenance (CREM), créés par le décret n°2011-1000 du 25 août 2011 modifiant certaines dispositions applicables aux marchés et contrats de la commande publique. Si l’article 34 de l’ordonnance subordonne, comme l’article 73 actuel du Code des marchés publics, la conclusion de REM ou de CREM à la condition que des « objectifs chiffrés de performance définis notamment en termes de niveau d’activité, de qualité de service, d’efficacité énergétique ou d’incidence écologique » soient stipulés et que ces marchés « comportent des engagements de performance mesurables », sous réserve des termes de la loi MOP, plus aucune condition n’est exigée par le droit de la commande publique pour associer l’entrepreneur à la conception des ouvrages puisqu’il n’est plus nécessaire ni que le marché prévoie la réalisation d’engagements de performance énergétique dans un ou des bâtiments existants, ni que soit démontrée l’existence des motifs d’ordre technique susceptibles de justifier le recours aux marchés publics de conception-réalisation.

Au moment même où, par exemple, les outils numériques dans la construction, la rénovation ou les usages des bâtiments se développent, l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 et son futur décret d’application qui devrait créer le « partenariat d’innovation » offrent aux acheteurs publics, ainsi qu’aux opérateurs, des possibilités accrues de développer et de mettre en œuvre, sur l’ensemble du cycle de vie de l’immeuble, leurs propositions d’innovation au-delà du seul champ de la performance énergétique.

En revanche, l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 demeure prudente, voire excessivement conservatrice, s’agissant des modalités de règlement du prix des marchés publics globaux puisque l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics – y compris désormais leurs offices publics de l’habitat, antérieurement soumis à l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 – se voient toujours refuser la possibilité d’y insérer un quelconque mécanisme de paiement différé. L’article 60 de l’ordonnance précise en outre qu’« en cas de marché global ayant pour objet la réalisation et l’exploitation ou la maintenance d’un ouvrage, la rémunération des prestations d’exploitation ou de maintenance ne peut contribuer au paiement de la construction ».

En d’autres termes, les marchés de partenariat sont désormais les seuls marchés soumis à l’ordonnance permettant aux acheteurs publics d’étaler le paiement des investissements et de la construction.

Rénovation légère du contrat de partenariat

L’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 n’apporte que des amendements limités au contrat de partenariat, désormais appelé « marché de partenariat », en ce qui concerne principalement l’objet de ces contrats. Cet outil contractuel y gagne toutefois en souplesse.

Alors que les textes antérieurs issus de l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004 imposaient aux pouvoirs adjudicateurs de confier à leurs cocontractants une mission globale étendue à « l’entretien, la maintenance, l’exploitation ou la gestion » des ouvrages ou biens immatériels objets du contrat de partenariat, cette mission d’entretien, de maintenance, d’exploitation ou de gestion est désormais retirée de la mission de base du marché de partenariat, et peut en conséquence être soit conservée par les acheteurs publics, soit confiée à un tiers dans le cadre d’un marché public classique. Cette innovation quant au périmètre des prestations, de nature à reporter sur l’acheteur public certains risques d’interface, ne manquera pas de modifier les montages contractuels et opérationnels mis en œuvre à l’avenir ainsi que la physionomie des acteurs du marché des PPP.

Une autre innovation quant à l’objet des marchés de partenariat réside dans la possibilité nouvelle de confier à leurs titulaires « la gestion d’une mission de service public ou des prestations de services concourant à l’exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée »[3]. Cette disposition, qui tranche une vieille querelle, évitera certes aux acheteurs publics de s’interroger longuement sur le périmètre des prestations de services qu’ils peuvent confier à leurs cocontractants et les risques d’interface subséquents, mais les conduira certainement à examiner avec attention la distinction entre la concession et le marché de partenariat.

Il n’est toutefois pas certain que ces assouplissements, joints aux légers aménagements de la possibilité pour les personnes publiques de concourir au financement des investissements, suffisent à donner une vigueur nouvelle à un instrument de la commande publique gelé depuis 2014 par le contexte financier.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Olivier Ortega lors de notre formation Réforme de la commande publique les 15 et 16 mars 2016 à Paris.

[1]Guylain Clamour, « Règle de passation des baux emphytéotiques administratifs », CMP n° 2, Février 2012, comm. 35.

[2] Article 101 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

[3] Article 67 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015.

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