Le sourcing : mode d’emploi

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Actant de la professionnalisation toujours plus accrue des pouvoirs adjudicateurs mués en de véritables « acheteurs publics », l’article 4 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics permet aux acteurs publics d’effectuer des consultations ou de réaliser des études de marchés, de solliciter des avis, d’informer les opérateurs économiques de leur projet et de leurs exigences « afin de préparer la passation d’un marché public ».

L’alinéa 2 de l’article 4 du décret précité précise que les résultats des études et échanges préalables peuvent être utilisés par l’acheteur, à condition « qu’ils n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».

Et son article 5 encadre l’exercice de cette pratique en imposant une véritable obligation de moyens à l’acheteur qui doit prendre « les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché public d’un opérateur économique qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires. Cet opérateur n’est exclu de la procédure de passation que lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens, conformément aux dispositions du 3° de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée ».

On comprend de ces dispositions qu’une fois son besoin défini, l’acheteur peut le confronter aux réalités du marché fournisseur, par différents moyens, dans le respect des principes de la commande publique, en prenant garde de conserver une parfaite traçabilité des échanges (I) qui permettra souvent d’éviter certains écueils et, en cas de contentieux, de rapporter la preuve que celui-ci a pris les mesures appropriées de nature à préserver l’intégrité de la concurrence (II).

 

I. Les modalités de la pratique du sourcing

Quelle que soit la forme de la consultation des opérateurs économiques du marché concerné (A), toutes les étapes du sourcing doivent être rigoureusement consignées par écrit afin de conserver une parfaite traçabilité de cette procédure préalable (B).

A. Sur les formes du sourcing

L’article 4 du décret précité vise de simples consultations, la réalisation d’études de marché ou la sollicitation d’avis, ou l’information des opérateurs du projet envisagé.

On le voit bien, le sourcing couvre un large spectre de situations. Il peut ainsi être mis en œuvre pour informer les opérateurs d’un projet nouveau ou innovant, pour susciter l’appétence des opérateurs dans un marché qui ne serait pas encore structuré et éviter l’infructuosité de la procédure ultérieure ou affiner le besoin préalablement défini pour l’actualiser, le perfectionner en fonction des progrès réalisés par le marché fournisseur concerné.

Quelles que soient les modalités envisagées, l’objectif de cette procédure réside dans la confrontation des besoins de l’acheteur, qui devront avoir été préalablement définis, à la réalité du marché des fournisseurs.

De cette confrontation doit naître une confirmation de l’existence d’offres susceptibles de répondre au besoin ou un perfectionnement de la définition des besoins préalablement établis.

Le réflexe naturel consisterait, pour la plupart des acheteurs, à solliciter les opérateurs qu’ils connaissent. Pourtant, cet exercice prendrait tout son intérêt en consultant plus largement l’ensemble des opérateurs et précisément ceux qui sont inconnus de l’acheteur, seul moyen pour lui de faire évoluer la définition de son besoin parfois figée dans des relations contractuelles routinières avec quelques opérateurs habituels.

Le risque que l’on perçoit immédiatement, et sur lequel nous reviendrons, est de s’inspirer d’une solution technique plus que d’une autre ou de communiquer certaines informations privilégiées, ou encore de se limiter à synthétiser les éléments reçus des opérateurs, qui, pour certains, sont couverts par le secret des affaires.

Afin d’éviter ces écueils, les besoins doivent impérativement être préalablement définis, le résultat du sourcing ne pouvant s’y substituer et l’acheteur doit prendre le temps du recul nécessaire par rapport aux informations collectées. Enfin, la procédure doit être parfaitement tracée (B).

 

B. Sur l’exigence de parfaite traçabilité de la procédure

Les dispositions du décret sont silencieuses sur le niveau de publicité exigé pour lancer une procédure de sourcing.

Toutefois, il nous paraîtrait sage d’observer le même niveau de publicité que celui exigé pour le marché dont la passation est envisagée, et ce, afin d’éviter tout risque de contestation et dans un souci de transparence de la procédure.

Une fois l’avis publié dans les conditions précitées, l’intégralité de la procédure devrait être consignée par écrit.

Un règlement du sourcing succinct pourrait utilement être mis à la disposition des opérateurs qui détaillerait le projet envisagé, ainsi que les conditions de participation au sourcing. Ainsi, devraient, à notre sens, être précisés : le délai de remise éventuel de documents par les opérateurs ; la mention selon laquelle les opérateurs doivent signaler, dans les documents remis, les éléments qui sont couverts par le secret en matière industrielle et commerciale et une renonciation à toute contestation ultérieure sur ce point et les modalités de l’organisation des auditions : durée, lieu, compte-rendu écrit.

Durant les auditions, dont la durée doit être identique pour tous, l’acheteur public doit éviter de communiquer davantage d’éléments relatifs au projet que ceux exposés dans l’avis de publicité et dans le règlement de la consultation, afin d’éviter de communiquer des informations de nature à avantager un opérateur susceptible de participer à la consultation en vue de l’attribution du marché ultérieur.

On pourrait également concevoir que le résultat du sourcing soit joint au dossier de consultation des entreprises du marché projeté, sous réserve du respect du secret en matière industrielle et commerciale. Il conviendrait, dans ce cas, d’en informer les participants à la procédure de sourcing.

Ces modalités permettent d’assurer une parfaite transparence et une égalité de traitement entre les opérateurs et d’en rapporter la preuve en justice en cas de contestation ultérieure.

La parfaite traçabilité de la procédure de sourcing ou de « préconsultation » des opérateurs permet également de se prémunir contre deux écueils principaux sanctionnés par l’article 5 du décret du 25 mars 2016 et par la jurisprudence (II).

 

II. Les deux pièges à éviter

Deux pièges doivent être soigneusement évités dans les procédures de sourcing : la transmission d’informations privilégiées aux participants à la procédure de sourcing, ignorées des autres candidats (A) et la tentation de reprise des éléments techniques proposés par un opérateur qui pourrait tomber sous le coup du délit de favoritisme (B).

 

A. L’obligation d’exclusion d’un candidat destinataire d’informations privilégiées s’il ne peut être remédié à la situation par d’autres moyens.

Le juge administratif a déjà eu l’occasion de censurer des procédures de passation de contrats publics au motif que l’un des candidats disposait d’informations privilégiées transmises par l’acheteur et qui n’avaient pas été transmises aux autres candidats (voir TA Paris, ord. 26 avril 2010, Société TFN Bâtiment, req. n°1006297-3/3). Ce faisant, l’acheteur avait rompu l’égalité de traitement entre les candidats à l’attribution du marché public.

C’est dans ce même esprit que l’article 5 précité du décret (cf. introduction) doit être lu et compris : toutes les informations transmises aux opérateurs participant au sourcing doivent être communiquées aux candidats à l’attribution du marché, sous peine d’irrégularité de la procédure.

La sanction est lourde pour l’opérateur sourcé, puisque s’il ne peut être remédié à l’inégalité d’informations entre les candidats, l’opérateur sourcé détenteur de l’information privilégiée devra être exclu de la consultation.

 

B. L’acheteur doit prendre du recul après réalisation du sourcing afin d’éviter la tentation de reprendre, dans la définition de ses besoins, la solution technique d’un de plusieurs opérateurs sourcés.

Classiquement le juge administratif sanctionne la reprise par un acheteur, dans son cahier des charges, des caractéristiques techniques d’une marque en particulier, même si celle-ci n’est pas citée (CE, 11 septembre 2006, Commune de Saran, req. n°257545).

C’est dans cet esprit également que l’acheteur doit se donner le temps de la confrontation de ses besoins avec les éclairages apportés par les opérateurs sourcés, car la tentation est souvent grande de reprendre purement et simplement les propositions des opérateurs, ce qui peut suffire à constituer le délit de favoritisme.

La conservation de la parfaite et exhaustive traçabilité de la procédure devrait permettre d’éviter cet écueil. En effet, au moment de préparer le document de la consultation, l’acheteur pourra utilement se reporter au contenu des échanges et contrôler ainsi qu’il ne se laisse pas trop influencer par les propositions faites.

Comme toujours, une relecture intégrale, par un juriste qui n’a pas participé à la procédure de sourcing, du dossier de consultation établi offrira aux opérationnels un regard critique extérieur précieux.

Mais tout cela prend du temps et la mise en œuvre d’une procédure de sourcing allonge nécessairement les délais de consultation. Elle implique donc d’anticiper plus encore qu’à la normale le lancement de la procédure de passation du contrat public.

 

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Marie Lhéritier les 30 et 31 mars 2017 à Paris lors des Journées de la commande publique.

 

Marie Lhéritier
Cabinet Lhéritier Avocats
Associé gérant

 

 

 

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