Quelles sont les jurisprudences confirmées par le code de la commande publique ?

L'articulation entre marchés publics et sous-traitance

[vc_row][vc_column][vc_column_text]Dans La Lettre de la DAJ n°227 parue en 2017, le Conseiller d’État Bertrand Dacosta et le Maître des requêtes au Conseil d’État Sophie Roussel avaient déclaré « le codificateur n’est (…) pas habilité à simplifier, adapter ou encore compléter les règles à codifier, que celles-ci soient écrites ou d’origine jurisprudentielle » et donnaient ainsi une définition plus précise de la codification dite à « droit constant ». En filigrane, l’on comprenait alors qu’une codification des jurisprudences était admise par le Conseil d’État, si et seulement si les solutions retenues par les juges étaient codifiées en l’état. Cette interprétation dépasse la définition initiale qui voulait qu’une codification à « droit constant » ne constitue qu’un simple regroupement de textes.

Le 5 décembre dernier, le Code de la commande publique est finalement paru au Journal officiel.  La directrice des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, Laure Bédier, l’avait dit et redit : ce nouveau code sera à « droit constant ». Toutefois, force est de constater que certaines jurisprudences ont été codifiées, sous l’impulsion du Conseil d’État. Quelles ont été les jurisprudences mises à l’honneur ?

Des jurisprudences codifiées pour les contrats administratifs : vers une plus grande sécurité juridique ?

Les jurisprudences principales relatives à la passation de marchés publics et de concessions sont codifiées ans le livre I sur les dispositions générales de la commande publique.

Au Titre V, Chapitre II, Section 2 « Offres anormalement basses », les articles L. 2152-5 et L. 2152-6 reprennent la définition de l’offre anormalement basse telle que précisée par la jurisprudence du 29 mai 2013, Ministre de l’intérieur c/ Société Artéis. En effet, le Conseil d’État avait établi que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, le pouvoir adjudicateur constatant qu’une offre apparaissait anormalement basse devait solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si toutefois, les précisions et justifications apportées n’étaient pas suffisantes, compromettant possiblement la bonne exécution du marché, il appartenait alors au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre, sauf si cela portait atteinte à l’égalité de traitement des candidats. Afin d’aiguiller le juge du référé précontractuel dans son contrôle du caractère anormalement bas d’une offre, le Conseil d’État déclare que ce dernier ne peut se limiter à relever le seul écart de prix important entre l’offre remise en question et les autres faites pour le même marché. L’article L. 2152-6 du nouveau code de la commande publique reprend ainsi la jurisprudence Artéis : « L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsqu’une offre semble anormalement basse, l’acheteur exige que l’opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. »

En outre, le nouveau code de la commande publique a permis la codification de nombreux principes jurisprudentiels encadrant la passation, l’exécution et la vie juridique des marchés publics et concessions.

En effet aux articles L. 2194-1 et L. 2194-2, on retrouve le principe de modification unilatérale des contrats administratifs et le droit au maintien de l’équilibre financier. Ces principes ont été modelés et développés par la jurisprudence depuis de nombreuses années.

Le pouvoir de modification unilatérale des clauses du contrat administratif constitue une prérogative de puissance publique, ou « PPP », soit une dérogation au principe de droit civil selon lequel un contrat ne peut être résilié que par consentement mutuel des parties. Ainsi, les contrats administratifs peuvent être unilatéralement modifiés par l’administration, même sans faute du cocontractant. Afin d’encadrer cette prérogative pouvant mettre en péril la sécurité juridique des marchés, deux limites ont été posées : le cocontractant doit être intégralement indemnisé et l’objet du contrat ne peut être modifié.

Reconnu explicitement à l’occasion d’un arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 1910 « Compagnie générale française des tramways », le pouvoir de modification unilatérale de l’administration est initialement accepté pour les délégations de services publics. Cette prérogative préserve l’une des finalités principales de la personne publique, soit la bonne gestion du service public. Par la suite, ce pouvoir fut étendu à l’ensemble des contrats de droit publics comprenant ainsi les concessions et les marchés publics (CE, 2 février 1983, Union des transports publics urbains et régionaux, n°34027).

Toutefois, cette prérogative de puissance publique ne reste que peu utilisée, parce que très encadrée, par l’administration pour les marchés publics. Ce pouvoir n’est pas discrétionnaire : il ne peut se fonder que sur des changements de circonstances des conditions de passation initiales du marché et être justifié par des motifs d’intérêt général.

Le principe de résiliation unilatérale des contrats administratifs pour faute d’une gravité suffisante et pour motif d’intérêt général est codifié aux articles L. 2195-1 à L. 2195-6. Lorsqu’elle n’est pas imposée par l’impossibilité pour le titulaire du contrat de poursuivre l’exécution, la résiliation peut être provoquée par la personne publique. La fin anticipée du contrat administratif imposée par la personne publique peut se faire sous couvert de deux modalités : pour des motifs d’intérêt général ou pour sanctionner une faute du titulaire.

Toute personne publique peut résilier le contrat de marché public ou de concession pour motifs d’intérêt général. Ce droit de résilier consacré par la jurisprudence du Conseil d’État, rendue en Assemblée, du 2 mai 1958 « Distillerie de Magnac-Laval » pour les marchés publics et par la jurisprudence du Conseil d’État du 2 février 1987 « Société TV6 » pour les contrats de concession est contrebalancé par le droit à l’entière indemnisation du titulaire n’ayant commis aucune faute.

L’autre cas de figure est la résiliation pour faute d’une gravité suffisante du titulaire, selon la jurisprudence « Société Environnement services » du Conseil d’Etat en date du 26 février 2014.

Enfin, la résiliation pour force majeure des contrats administratifs également dénommée résiliation de plein droit est constituée lorsque le titulaire dudit contrat se trouve dans l’impossibilité absolue d’en poursuivre l’exécution. La résiliation de plein droit se retrouve aux articles L. 2195-1 à L. 2195-6 du nouveau code de la commande publique. Deux hypothèses peuvent être développées, dans la première le titulaire du marché ne peut poursuivre l’exécution du contrat pour des raisons indépendantes de sa volonté et d’obstacles ne pouvant être surmontés comme établi par la jurisprudence Bouxin du Conseil d’État en date du 7 août 1926, dans la seconde hypothèse le titulaire a disparu (décès, incapacité civile ou faillite).

Une juridiction administrative à la compétence élargie

Dans un tout autre registre, le code de la commande publique permet la codification de décisions plus spécifiques. C’est notamment le cas d’une jurisprudence codifiant les modalités de contrôle d’une sentence d’arbitrage international. La prise en compte des conséquences de la jurisprudence Fosmax du Conseil d’Etat rendue en assemblée 9 novembre 2016 offre la possibilité au Conseil d’État, d’exercer son contrôle sur une sentence rendue en matière d’arbitrage international. En l’espèce, le Conseil d’État, renforcé par une décision rendue par le Tribunal des Conflits, s’est ainsi assuré que le litige pouvait faire l’objet d’un arbitrage et que la sentence arbitrale était fondée.

En définitive, ce nouveau code de la commande publique à « droit constant » a toutefois permis à ses acteurs d’y faire entrer des jurisprudences nécessaires à l’évolution du droit des contrats administratifs.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]