Un nouveau décret en matière de commande publique

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

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1. Pourquoi ce nouveau décret alors que le code de la commande publique vient tout juste d’être publié ? 

La quatrième tentative fut effectivement la bonne, après les échecs de 1997, 2004 et 2009, le droit de la commande publique est enfin doté de son texte fondateur.

Le code de la commande publique regroupe et organise, de manière ambitieuse, l’ensemble des règles régissant la préparation, la passation et l’exécution des contrats de la commande publique. Ce sont plus de trente textes qui viennent ainsi d’être abrogés pour que les acheteurs et opérateurs économiques puissent bénéficier d’un unique outil de référence. Toutefois, afin de leur permettre de s’approprier dans les meilleures conditions ce nouvel outil, le code de la commande publique n’entrera en vigueur que le 1er avril 2018.

Deux raisons militaient donc pour que ce décret suive de près le nouveau code.

Il comporte en effet des mesures de nature à accroître l’efficacité de l’achat public et à renforcer l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) à la commande publique. Il aurait été inconcevable d’attendre le 1eravril et de ne pas en faire bénéficier les acheteurs et entreprises le plus tôt possible. C’est le cas, par exemple, en matière de dématérialisation mais aussi d’exécution financière des marchés publics. Le code à lui seul ne l’aurait pas permis, même si la plupart des dispositions de ce décret avaient naturellement vocation à le rejoindre. C’est la raison pour laquelle ce décret, s’il porte effectivement de nouvelles mesures, les codifie également en partie.

En partie seulement, car certaines de ses dispositions ne pouvaient en tout état de cause être codifiées. Au regard des canons de la codification à la française, seules les dispositions pérennes peuvent être codifiées, ce qui exclut les dispositions transitoires ou expérimentales. Or, le chapitre 1er du décret du 24 décembre 2018 crée une expérimentation en matière d’achats innovants d’une durée de trois ans. Son caractère expérimental faisait obstacle à toute codification. De ce point de vue encore, un vecteur autonome simposait donc.

2. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce dispositif expérimental ?

Concrètement, pendant une période de trois années, les acheteurs vont pouvoir, à titre expérimental, passer avec des entreprises un marché public portant sur des « achats innovants », sans publicité ni mise en concurrence préalables.

La création de ce dispositif repose sur un constat : lachat public est aujourdhui insuffisamment orienté vers linnovation. Le rapport Villani a posé un diagnostic assez préoccupant en la matière relevant notamment une aversion au risque juridique dans l’exploitation, par les acheteurs, de la règlementation actuelle et au risque opérationnel.

Si les textes de transposition des directives 2014/24/UE et 2014/25/UE avaient favorisé la diffusion d’une culture de l’innovation dans l’achat public, avec notamment la reconnaissance du sourcingou la création du partenariat d’innovation, l’enjeu était ici de doter les acheteurs d’un outil plus aisément mobilisable, dans les limites autorisées à la fois par le droit de l’Union européenne et les principes constitutionnels de la commande publique.

C’est pourquoi ce dispositif demeure en-deçà des seuils européens, reposant sur un seuil de 100 000 € HT. Même si l’on dispose encore de peu d’informations consolidées concernant l’achat innovant, ce seuil n’a pas été retenu au hasard. Il correspond au double de la valeur moyenne des marchés publics dits « innovants » attribués à des petites et moyenne entreprises (PME) dans la sphère État.

La définition des achats innovants correspond à celle des directives européennes, déjà transposée à l’article 25 du décret du 25 mars 2017 et bien connue des acheteurs. Autorisés à se dispenser de publicité et mise en concurrence, ceux-ci devront toutefois veiller à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec le même opérateur lorsqu’une pluralité d’offres existera.

Ces différents garde-fou – le respect de cet encadrement minimal, le ciblage du dispositif sur l’innovation et pour un montant circonscrit tout comme son caractère expérimental – lui permettent de respecter les principes constitutionnels : justifié par un motif d’intérêt général, ce dispositif est proportionné à l’objectif poursuivi.

Il se veut aussi plus efficace que son prédécesseur. En effet, l’article 26 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie s’était déjà essayé à la promotion de l’innovation : il prévoyait, à titre expérimental, la faculté pour les acheteurs de réserver des marchés publics de haute technologie de recherche et de développement et d’études technologiques d’un montant inférieur aux seuils des procédures formalisées à certaines PME, afin de stimuler le tissu productif et la croissance des entreprises. Ce dispositif n’avait toutefois pas démontré son intérêt, compte tenu de la difficulté à suivre ce type de contrat.

Aussi les acheteurs recourant à cette nouvelle expérimentation seront tenus d’en faire la déclaration auprès de l’Observatoire économique de la commande publique, ce qui permettra de faciliter son évaluation à l’issue de la période de trois ans.

3. Vous évoquiez le renforcement de l’accès des PME aux marchés publics. Dans quelle mesure ce nouveau décret prend-il davantage en compte les problématiques des PME ?

La commande publique représente aujourdhui près de 8% du PIB et les marchés publics, près de 80 milliards deuros chaque année. Elle constitue un levier stratégique pour l’économie et un fort potentiel de croissance pour les PME. Or, alors que la France compte près de 4 millions de PME, celles-ci représentent encore moins de la moitié du montant total des contrats conclus par les collectivités territoriales (47,5%) et moins du quart du montant total des contrats conclus par l’État (21,4%).

Faciliter laccès des PME à la commande publique est donc une préoccupation majeure. Cet objectif suppose de prendre en compte les difficultés particulières auxquelles ces entreprises se trouvent confrontées, qui constituent autant de freins à l’accès à la commande publique. L’un des plus importants tient aux tensions pesant sur leur trésorerie : en raison d’un besoin en fonds de roulement plus important que d’autres catégories d’entreprise, les PME peuvent plus difficilement avancer les sommes nécessaires au commencement d’exécution d’un marché public sans recourir au crédit bancaire, l’offre de crédit leur étant toutefois plus limitée que les autres catégories d’entreprise.

Le relèvement du taux minimum des avances en faveur des PME de 5 à 20% constitue une réponse à ces contraintes spécifiques. Elle s’inspire d’une première expérience menée en 2009 par l’État qui avait encouragé ses acheteurs, par une circulaire du 19 décembre 2008, à relever le montant des avances versées dans le cadre des marchés publics dont le montant initial était supérieur à 20 000 € HT et inférieur à 5 millions d’euros. L’avance, qui correspond au paiement partiel fait au titulaire du marché public avant tout commencement d’exécution du contrat, est en effet un levier de préfinancement efficace. Elle s’impose à l’acheteur, en vertu de l’article 110 du décret du 25 mars 2016, lorsque le montant initial du marché public est de 50 000 € HT et que le délai d’exécution est supérieur à deux mois. Grâce à cette nouvelle mesure énoncée à l’article 7 du décret, les PME titulaires ou sous-traitantes admises au paiement direct de tels marchés publics passés par l’État bénéficieront d’une avance de 20%.

La diminution du taux de retenue de garantie, qui passe de 5 à 3% du montant du marché public, participe du même objectif. Elle s’applique là encore aux marchés publics conclus par l’État avec des PME, lesquelles verront donc croître le montant des paiements partiels dus effectués en cours d’exécution du contrat par l’acheteur.

4. Trois mois après l’entrée en vigueur de l’obligation de dématérialisation, ce décret comporte de nouvelles dispositions en la matière. Pourquoi ?

Le 1eroctobre 2018 marque la généralisation de la dématérialisation des marchés publics. Depuis cette date, tous les acheteurs doivent recourir à la dématérialisation pour passer leurs marchés publics répondant à un besoin égal ou supérieur à 25 000 € HT, sous réserve des exceptions prévues à l’article 41 du décret du 25 mars 2016.

Selon la Commission européenne, le recours à la dématérialisation permettrait ainsi de réduire de 5 à 20% les dépenses engagées par les acheteurs pour les besoins de la passation de leurs marchés publics. Plus qu’une simple obligation juridique, la dématérialisation est donc une opportunité pour rendre lachat public plus efficace et plus performant. Mais encore faut-il, pour cela, accompagner les acteurs de la commande publique dans leur transition numérique. La dématérialisation ne doit pas être un parcours d’obstacles pour les entreprises.

Dans le prolongement du plan de transformation numérique de la commande publique (PTNCP), le décret du 24 décembre 2018 affine le cadre de la dématérialisation tout en posant des jalons pour l’avenir.

Parmi les mesures les plus notables, signalons l’introduction au profit de l’acheteur de la faculté de régulariser une candidature qui lui aurait été présentée en méconnaissance de l’obligation de dématérialisation. En effet, si l’acheteur disposait de la faculté de régulariser une offre ne satisfaisant pas à cette obligation – une telle offre s’analyse comme une offre irrégulière et, en pareille hypothèse, l’acheteur peut, s’il le souhaite, inviter le soumissionnaire à la régulariser en vertu de l’article 55 du décret du 25 mars 2016, il ne bénéficiait pas de la même latitude au stade de la candidature. Cette lacune était particulièrement dommageable en cas d’inversion des phases lors d’un appel d’offres ouvert, aboutissant à priver d’effet utile la régularisation qui aurait été demandée par l’acheteur au stade de l’analyse des offres. L’article 6 vient heureusement pallier cette difficulté.

À cela s’ajoutent deux dispositions plus mineures qui ne font en réalité qu’accompagner le processus de dématérialisation : la fixation à 25 000 € HT du seuil à compter duquel la mise à disposition des documents de la consultation est obligatoire (article 5) et la faculté de signer électroniquement un contrat de concession, au demeurant déjà autorisée dans le silence du décret du 1er février 2016 (article 11).

Mais le décret se veut aussi prospectif. Il pose ainsi le principe d’une harmonisation à venir des avis de publicité concernant les marchés publics dont la valeur estimée du besoin est égale ou supérieure à 90 000 € HT demeurant inférieure aux seuils européens. Cet effort d’uniformisation des pratiques, qui s’inscrit dans le cadre de l’axe « Simplification » du PTNCP dont il constitue une action prioritaire (https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/dematerialisation/plan-transform-numeriq-cp/Plan-Transfo-Num-CP.pdf). Ce modèle, en cours d’élaboration, s’imposera aux acheteurs à compter du 1er janvier 2022. En harmonisant les pratiques, il donnera davantage de lisibilité à l’achat public, au profit notamment des opérateurs économiques.

*Céline Frackowiak est ancien chef du bureau de la réglementation de la commande publique à la Direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »10px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][ultimate_heading alignment= »left » el_class= »extra-height-bloc-citation »]

Céline Frackowiak
Administratrice civile*

 

 

 

 

 

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