Semop et clause Molière : un arrêt à ne pas manquer !

BJCPonline : Brèves de jurisprudence

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MARCHÉS PUBLICS

Dans une jurisprudence Veolia Eau et Siaap rendue 8 février dernier, le Conseil d’État revient sur les conditions de validité d’une clause Molière et sur les éléments constitutifs d’une société d’économie mixte à opérations unique (Semop).

La confusion : clause Molière et travailleurs détachés

Depuis un amendement à la loi Travail proposé en 2016, la clause Molière peut être ajoutée par une collectivité dans un cahier des charges en vue d’une procédure de passation d’un marché public.

Cette clause permet que l’utilisation de la langue française soit imposée sur les chantiers, notamment afin que chaque ouvrier ait un égal accès aux mesures de sécurité, majoritairement rédigées en français. Une « clause d’interprétariat » dérivée de la première est également acceptée dans un cahier des charges et stipule alors que la présence d’un interprète est obligatoire si les ouvriers venaient à ne pas comprendre le français.

Il ne s’agit pas du premier recours réalisé contre de telles clauses

La clause Molière avait déjà été utilisée pour interdire le recours aux travailleurs détachés, pratique qui avait été jugée illégale (TA Lyon, 13 décembre 2017 n°1704697) ; ou pour imposer un niveau suffisant de maîtrise de la langue française ou le recours à un interprète assermenté pour s’assurer d’une compréhension minimale de la langue, qui avaient été acceptées par le Conseil d’État (CE, 4 décembre 2017 n°413366).

Les conditions d’application de ladite clause ne sont pas les seules à avoir été remises en question : certains dénoncent son principe-même. Gilles Pellissier, rapporteur de la République qualifie cette clause d’illégale car discriminatoire, elle ne serait pas conforme avec le droit de l’Union européenne et s’avérerait constituer une pratique de concurrence illégale.

Les faits d’espèce

En l’espèce, un syndicat (Siaap) souhaitait créer une Semop pour l’exploitation d’une usine d’épuration. Après avoir lancé un appel d’offres, c’est finalement la société Veolia Eau-Compagnie générale des eaux qui sera sélectionnée.

Le préfet de la région Ile-de-France, conjointement à un concurrent évincé la société Suez Service France, saisit alors le juge administratif de l’annulation du contrat et la suspension de son exécution. Le tribunal administratif de Paris suspend le contrat si aucune régularisation n’est faite avant la date fixée par le juge. À la suite d’une demande en appel du préfet, la cour administrative d’appel de Paris suspend, elle, le marché sans effet différé. La société Veolia se pourvoit en cassation.

Sur le motif relatif à ladite clause Molière, le Conseil d’État établit que les « stipulations contractuelles permettent le recours à des sous-traitants et des salariés de nationalité étrangère pour l’exécution des prestations objet du contrat et n’imposent pas davantage, ni directement ni indirectement, l’usage ou la maîtrise de la langue française par les travailleurs étrangers susceptibles d’intervenir. Dans ces conditions, en estimant que le moyen tiré de la contrariété de l’article 8.5 du règlement de la consultation avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne était de nature à créer un doute sérieux sur la validité du contrat, la cour administrative d’appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier ». L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris est ainsi annulé.

Les règles strictes de constitution d’une Semop

Créées par la loi du 1erjuillet 2014, les sociétés d’économie mixte à opération unique ou Semop ont également codifiées dans le code général des collectivités  territoriales aux articles1541-1 à 1541-3 : « la société d’économie mixte à opération unique est constituée, pour une durée limitée, à titre exclusif en vue de la conclusion et de l’exécution d’un contrat avec la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales dont l’objet unique est [1° Soit la réalisation d’une opération de construction, de développement du logement ou d’aménagement ; [2° Soit la gestion d’un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l’acquisition des biens nécessaires au service ; [3° Soit toute autre opération d’intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales ».

Par conséquent, cet outil offert aux collectivités leur permet de choisir un actionnaire constitutif de la Semop et de lui attribuer ensuite le marché public : ce contrat est donc bien attribué à la Semop.

En l’espèce, c’est ce manquement procédural qui avait été souligné par les demandeurs : l’acte d’engagement avait été signé par l’actionnaire lorsque la Semop n’était pas constituée. En première instance, le tribunal administratif de Paris donne un délai de régularisation avant suspension du contrat. Or dans ce délai, Veolia, le Siaap et la société Semop nouvellement constituée signent une convention de régularisation tripartite : le moyen soulevé par les demandeurs est rejeté.

Enfin, étaient reprochés la méconnaissance des dispositions contenues dans l’article L. 1541-2 du CGCT : « en complément des informations obligatoires selon la nature du contrat destiné à être conclu, l’avis d’appel public à la concurrence comporte un document de préfiguration, précisant la volonté de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales de confier l’opération projetée à une société d’économie mixte à opération unique à constituer avec le candidat sélectionné ». Les demandeurs dénonçaient l’imprécision du document de préfiguration et ainsi sa non-validité.

Le Conseil d’État rejette également le moyen au motif que « ces dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la constitution d’une SEMOP ne concernent pas l’offre elle-même de l’actionnaire opérateur économique candidat à la passation du contrat qui, elle, demeure régie, lorsque le contrat destiné à être conclu est un marché public, par les dispositions applicables à cette catégorie de contrat qui excluent notamment la négociation dans le cadre d’un appel d’offres. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu les dispositions du code général des collectivités territoriales n’imposent pas à la personne publique qui entreprend de constituer une société d’économie mixte à opération unique de fixer par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence tous les éléments des statuts de la SEMOP et du pacte d’actionnaires ».

Les brèves de la revue BJCP
L’actualité jurisprudentielle du droit des contrats publics sélectionnée par le comité de rédaction du BJCP.

MARCHÉS PUBLICS

CE 12 septembre 2018, SIOM de la vallée de Chevreuse et société SEPUR, nos420454 et 420512

La détention d’informations privilégiées par un candidat affecte-t-elle l’impartialité de l’acheteur public ?

Passation – Procédure de publicité et de mise en concurrence -Entreprise disposant d’informations privilégiées – Circonstance insusceptible en principe d’affecter l’impartialité de l’acheteur public.

Initialement chef de projet au sein d’une société à laquelle avait été confiée une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage en avril 2017 par une personne publique, un salarié avait rejoint en décembre 2017, préalablement à la remise des offres, la société désignée attributaire du marché correspondant. Si les informations confidentielles que l’intéressé aurait éventuellement pu obtenir à l’occasion de sa mission d’assistant à maîtrise d’ouvrage pouvaient, le cas échéant, conférer à son nouvel employeur un avantage de nature à rompre l’égalité entre les concurrents et obliger l’acheteur public à prendre les mesures propres à la rétablir, cette circonstance était en elle-même insusceptible d’affecter l’impartialité de l’acheteur public.

CE 9 novembre 2018, Société Savoie, n°413533

Un sous-critère de sélection relatif au montant proposé des pénalités de retard est-il légal ?

Passation – Sélection des offres – Critères – Critère relatif à la valeur technique – Sous-critère relatif au montant des pénalités de retard – Sous-critère sans lien avec la valeur technique de l’offre – Illégalité du sous-critère.

Un sous-critère relatif au montant des pénalités à infliger en cas de retard dans l’exécution des prestations ne peut être retenu dès lors qu’il n’a ni pour objet, ni pour effet de différencier les offres au regard du délai d’exécution des travaux et qu’il ne permet ni de mesurer la capacité technique des entreprises candidates à respecter des délais d’exécution du marché, ni d’évaluer la qualité technique de leur offre. En outre, la personne publique n’est pas tenue de faire application des pénalités de retard et le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté.

CE 10 octobre 2018, Société du docteur Jacques Franc, n°410501

Quelle indemnisation en cas de résiliation irrégulière d’un marché à bons de commande ?

Fin des contrats – Résiliation – Indemnité – Indemnisation du titulaire d’un marché résilié irrégulièrement – Indemnisation du manque à gagner – Cas d’un marché à bons de commande prévoyant un minimum en valeur ou en quantité – Indemnisation de ce seul minimum garanti.

Si le titulaire d’un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé, il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice. Dans le cas d’un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti.

CE 9 novembre 2018, Commune de Saint-Germain-le-Châtelet, n°412916

À quelle condition le dysfonctionnement du chauffage d’une salle communale relève-t-il de la garantie décennale ?

Responsabilités post-contractuelles – Garantie décennale des constructeurs – Élément d’équipement (chauffage) – Désordres faisant obstacle au fonctionnement normal de l’ouvrage – Ouvrage non impropre à sa destination – Responsabilité des constructeurs (Non).

La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage s’ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d’équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n’est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l’ouvrage lui-même impropre à sa destination.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]