L’office du juge de nouveau précisé pour les contrats administratifs

BJCPonline : Brèves de jurisprudence

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Les dernières décisions résumées par la rédaction du BJCPonline.

CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS

Par une construction prétorienne, le Conseil d’État a su, depuis des années, dessiner les contours de l’office du juge administratif. Dans un arrêt du 25 janvier dernier, il a été de nouveau amené à préciser l’office du juge administratif saisi d’un recours dit Béziers II. Retour sur la trilogie de jurisprudence Béziers et ses récentes applications.

Les principes posés par la trilogie Commune de Béziers

Au cours des années 70, plusieurs établissements à vocation industrielle s’implantent sur le territoire de la ville de Villeneuve-les-Béziers, voisine de la ville de Béziers. Afin de prévenir des inégalités économiques issues de l’implantation des industries, un contrat est passé en 1986 par lequel la ville de de Villeneuve-les-Béziers s’engageait à reverser à sa voisine une partie de la taxe professionnelle perçue grâce aux industries.

En 1996, la commune de Villeneuve-les-Béziers décide pourtant de résilier unilatéralement le contrat au motif que sa conclusion était illégale. La commune de Béziers saisit le juge administratif pour obtenir un dédommagement à la suite de la résiliation. Le tribunal administratif de Montpellier rejette la demande de la commune requérante, solution qui est par la suite confirmée par la cour administrative d’appel de Marseille. La commune de Béziers se pourvoit en cassation.

Béziers I

Par un arrêt de principe, rendu en assemblée le 29 décembre 2009, le Conseil répond à la question de savoir si l’absence de transmission d’une délibération autorisant un maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature constitue un vice grave justifiant la nullité dudit contrat.

Par sa réponse, il renvoie l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille et impose au juge la préservation du principe de loyauté dans les relations contractuelles en déclarant que l’absence de transmission de ladite délibération ne constituait pas un vice grave empêchant la résolution du litige sur le terrain contractuel.

Le Conseil ajoute à sa solution un considérant de principe selon lequel « les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie », ouvrant et définissant plus précisément les contours de l’office du juge administratif « il incombe en principe (au juge), eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat », sauf exceptions. En résumé, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge du contrat afin d’en contester la validité. Toutefois, les obligations de stabilité et de loyauté dans les relations contractuellesont pour objectif de limiter la possibilité de déclarer le contrat nul.

Béziers II 

Dans le même temps, la commune de Béziers avait introduit une requête en excès de pouvoir contre la décision de résiliation unilatérale du contrat. Après un rejet unanime du recours par le tribunal administratif et la cour administrative d’appel, le Conseil d’État est saisi à son tour afin de se prononcer sur la recevabilité d’un recours contre la décision de résiliation unilatérale du contrat administratif par une personne publique. Par un arrêt de section « Commune de Béziers »ou Béziers II en date du 21 mars 2011, le Conseil offre la possibilité aux cocontractants de l’administration de saisir le juge contre une décision de rupture unilatérale du contrat administratif. La compétence du juge administratif du contrat dans le plein contentieux s’en trouve renforcé.

Béziers III 

Enfin, par une troisième décision rendue le 27 février 2015, le Conseil d’État se prononce sur le second arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille, devant laquelle avait été renvoyée l’affaire dite Béziers I : « Considérant qu’une convention conclue entre deux personnes publiques relative à l’organisation du service public ou aux modalités de réalisation en commun d’un projet d’intérêt général ne peut faire l’objet d’une résiliation unilatérale que si un motif d’intérêt général le justifie, notamment en cas de bouleversement de l’équilibre de la convention ou de disparition de sa cause ; qu’en revanche, la seule apparition, au cours de l’exécution de la convention, d’un déséquilibre dans les relations entre les parties n’est pas de nature à justifier une telle résiliation ».

En d’autres termes, la Haute Juridiction pose deux conditions à la résiliation unilatérale. La première est que cette résiliation ne peut avoir lieu qu’en présence d’une certaine catégorie de contrats, c’est-à-dire ceux organisant un service public ou fixant les modalités de réalisation d’un projet d’intérêt général. La seconde est qu’un contrat ne pourra être résilié que si un motif d’intérêt général le justifie.

Les précisions nouvelles apportées à l’application d’un recours dit Béziers II 

En l’espèce, une société titulaire d’une convention de délégation de service public portant sur la construction et l’exploitation de parcs de stationnement à Cannes a vu ladite convention résiliée unilatéralement par le maire de la commune pour motif d’intérêt général. La société demande alors au juge des référés du tribunal administratif de Nice de suspendre la décision de résiliationet d’ordonner la reprise des relations contractuelles. Par une ordonnance du 20 septembre 2018, le juge des référés rejette ces deux demandes. La société requérante se pourvoit en cassation et demande au Conseil d’État d’annuler l’ordonnance du juge des référés et de faire droit à ses conclusions de première instance.

Par une jurisprudence Société Uniparc Cannes n°424846 en date du 25 janvier 2019, le Conseil d’État explique ainsi que « pour déterminer s’il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d’apprécier[…] si une telle reprise n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et […] aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse ». Il relève toutefois que le juge des référés, en considérant que la reprise provisoire des relations contractuelles serait de nature à porter atteinte excessive à l’intérêt général, qu’en ne recherchant pas si les vices étaient d’une gravité suffisante pour la reprise de ces relations, a commis une erreur de droit. Le motif d’intérêt général ne peut s’apprécier indépendamment de la gravité des vices.

Les brèves de la revue BJCP
L’actualité jurisprudentielle du droit des contrats publics sélectionnée par le comité de rédaction du BJCP.

CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS

CE 27 juin 2018, Société Axa France Iard et Société Simon Bonis, n° 415139

Quelles sont les conditions de l’attraction d’un sous-traitant à une expertise ?

Référé-expertise (art. R. 532-1 et s.) – Demande d’attraction d’un sous-traitant à une expertise ordonnée par le juge – Conditions – Utilité de la mesure – Existence – Demande d’attraction présentée par un constructeur – Vérification de ce que l’action du constructeur contre le sous-traitant n’est pas prescrite – Absence.

Il appartient au juge des référés saisi d’une demande d’expertise sur le fondement de l’article R. 532-1 d’apprécier l’utilité de la mesure. Par conséquent, il ne peut faire droit à la demande si elle est formulée à l’appui de prétentions qui se heurtent à la prescription. En revanche, si un constructeur appelé par le maître de l’ouvrage dans une expertise demande que soit attrait à celle-ci un sous-traitant, il n’appartient pas au juge des référés de vérifier que toute action en responsabilité de ce constructeur contre le sous-traitant serait prescrite.

CE 25 juin 2018, ADEME, n° 418493

À quelles conditions le juge du référé-mesures utiles peut-il prononcer des injonctions à l’égard du cocontractant de l’administration ?

Procédures de référé – Référé tendant au prononcé de toutes mesures utiles (art. L. 521-3 du code de justice administrative) – Pouvoirs et devoirs du juge – Prononcé, à titre provisoire, de mesures utiles nécessaires à la continuité d’un service public, à prendre par la personne à laquelle l’administration a confié, par contrat, la gestion de ce service – Maintien de licences informatiques pour répondre auxbesoins d’accès des personnels au progiciel.

Le juge du référé-mesures utiles a pu ordonner le maintien à titre provisoire de tous les droits d’accès à un progiciel de gestion de l’ADEME, nécessaires à l’exercice des missions quotidiennes des agents de la personne publique, la décision du cocontractant de supprimer à brève échéance une partie de ces accès étant de nature à porter une atteinte immédiate au fonctionnement du service public. La mesure demandée par l’ADEME présentait ainsi un caractère d’utilité et d’urgence et ne faisait pas l’objet, en l’espèce, d’une contestation sérieuse.

CE 25 juin 2018, Société hospitalière d’assurance mutuelle (SHAM), n° 417734

Faut-il que la notification d’un référé précontractuel soit accompagnée d’un accusé de réception délivrépar le greffe pour valablement suspendre la signature du contrat ?

Procédure de référé – Référé précontractuel – Absence de suspension de la signature du contrat – Notification du recours – Preuve de la réception effective du recours par le tribunal (non) – Référé contractuel – Recevabilité (oui).

Ni les dispositions du code de justice administrative, ni aucune autre règle ou disposition ne subordonnent l’effet suspensif de la communication du recours au pouvoir adjudicateur à la transmission, par le demandeur, de documents attestant de la réception effective du recours par le tribunal.

CE 27 juin 2018, Commune d’Isola, Syndicat mixte pour l’aménagement et l’exploitation de la station d’Isola 2000, n° 407865

Quel est le juge compétent pour assurer l’exécution d’une décision du juge du contrat ?

Exécution des décisions juridictionnelles – Compétence – Cas de l’exécution des décisions du juge du contrat comportant injonctions assorties d’astreinte – Applicabilité du livre IX du code de justice administrative – Absence – Compétence de principe du tribunal administratif ayant rendu cette décision ou, en cas d’appel, de la juridiction d’appel – Compétence d’exception du Conseil d’État lorsque, aprèscassation, il règle l’affaire au fond.

Les dispositions du livre IX du code de justice administrative ne s’appliquent qu’aux injonctions et astreintes prononcées à l’encontre d’une personne morale de droit public ou d’un organisme privé chargé de la gestion d’un service public. Elles ne sont, en revanche, pas applicables lorsque le juge du contrat, saisi par l’administration, prononce, en application d’un principe général du droit des contrats, une injonction à l’encontre de son cocontractant, assortie d’une astreinte. La juridiction compétente pour connaître d’une demande d’exécution du jugement d’un tribunal administratif ayant prononcé une injonction à l’encontre d’un cocontractant de l’administration est le tribunal qui a rendu cette décision ou, en cas d’appel, la juridiction d’appel, alors même que cette dernière aurait rejeté l’appel formé devant elle. Le Conseil d’État n’est compétent que lorsque, après cassation, il règle l’affaire au fond.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]