Impact de la crise sur le budget et la stratégie financière des collectivités

L'articulation entre marchés publics et sous-traitance

Thierry GREGOIRE, Associé, Cabinet PIM                

 

Arnaud JARRY, Associé, Cabinet PIM

 

 

Alors que la crise sanitaire fait rage, les collectivités locales sont mobilisées. Les élus et agents des collectivités de toutes tailles font face sans se poser de questions et assurent la continuité du service public, sans beaucoup de moyens, grâce à la mobilisation de tous.

Dans les communes et les intercommunalités, cette situation est doublement exceptionnelle car elle intervient en pleine période électorale marquée traditionnellement par la « gestion des affaires courantes », le temps que les nouvelles équipes soient installées. Le report probable en octobre (voire au-delà) des élections ne fait qu’accroître le caractère hors-normes de cette situation.

Quid de l’ordonnance continuité budgétaire, financière et fiscale ?

L’ordonnance n°2020-330 du 25 mars 2020 a apporté des réponses à l’urgence : ajustement du calendrier d’adoption des comptes administratifs et de gestion 2019 (31 juillet), des BP 2020 (31 juillet) et du vote des taux 2020 (3 juillet), etc.

Cette ordonnance permet également d’engager de manière plus souple les dépenses d’investissement (engagement possible dans la limite des crédits 2019) et de transférer des crédits entre chapitres, etc.

Sur le fond, et au-delà de ces questions « pratiques », une évaluation des impacts financiers de la crise sanitaire devra être anticipée afin de proposer aux élus des décisions à prendre dans les prochaines semaines avec deux enjeux :

  • A court terme, ajuster le BP 2020 ou le projet de BP si ce dernier n’a pas encore été voté
  • A moyen terme, adapter la stratégie budgétaire et financière qui doit autant intégrer les incidences de la crise que le financement des futurs plans de relance.

Comment évaluer ces impacts sur une collectivité locale ?

Au niveau national, plusieurs instances (les associations d’élus, le Sénat, la DGFiP, etc.) ont engagé une démarche visant à évaluer les impacts de la crise actuelle sur les collectivités locales, dans une approche « macro ».

Au plan local, chaque collectivité peut d’ores et déjà initier une analyse pour son propre compte. Les collectivités locales ne seront pas égales devant la crise actuelle car leur degré d’exposition est extrêmement hétérogène, ce dernier dépend de plusieurs facteurs exposés ci-dessous.

La sensibilité des dépenses et des recettes aux effets de la crise

La proportion des coûts fixes et variables est différente d’une collectivité et d’un poste budgétaire à l’autre. Un certain nombre de charges fixes ne seront pas sensibles aux effets de la crise, on pense à l’essentiel des charges de personnel, à la charge de la dette, ou encore aux contrats à prix forfaitaire.

Quant aux coûts variables, ils pourront être impactés soit positivement grâce à une moindre dépense liée à la fermeture d’un équipement ou à la diminution de certains achats ; soit négativement, ce sera par exemple le cas d’une subvention dite « d’équilibre » qui pourrait augmenter fortement en direction d’une association en charge de l’exploitation d’une salle de spectacle.

Du côté des ressources, cette variabilité peut être également diverse : forte sur les recettes tarifaires et sur les impôts de flux dont l’assiette est liée à l’activité économique et faible pour les recettes fiscales dites de stocks (taxes foncières, CFE en partie) ou pour les dotations (au moins à court terme pour ces dernières), etc.

La temporalité des impacts

Certains impacts interviendront dès 2020. C’est notamment le cas des dépenses et recettes liées aux services et équipements fermés lors du confinement, des recettes fiscales de flux impactées dès 2020 (ex. DMTO pour une partie).

D’autres impacteront l’exercice 2021 : la majorité des recettes fiscales dites de flux, prenant en compte avec une année de retard l’impact de la crise en 2020 (TVA, TICPE, CVAE). Entrent dans cette catégorie les subventions ou contributions à des organismes tiers (associations, syndicats ou syndicats mixtes, délégataires) qui auront pu adapter leur cadre financier en 2020 mais qui devront accroître leur appel à subventions/contributions en 2021.

Le degré de maîtrise

Il mesure la capacité de la collectivité à agir sur les évolutions des postes concernés. Les marges de manœuvre sont plus particulièrement dépendantes des cadres juridiques et opérationnels des activités. C’est par exemple le cas de certains délégataires qui pourront voir une remise en question de l’équilibre économique de leur contrat ou des syndicats, qui, selon les compétences impactées, auront plus ou moins la capacité à « encaisser » le choc de la crise (impact sur les contributions des membres).

Les priorités politiques peuvent aussi influer sur la capacité à dégager des marges de manœuvre ou au contraire sur la nécessité d’accroître les dépenses.

L’évaluation des impacts passe par une analyse spécifique à chaque collectivité et avec un enjeu fort de méthode afin de :

  • Concilier précision nécessaire et calendrier contraint, d’où l’intérêt d’utiliser la règle des 80/20 pour l’analyse des postes budgétaires et/ou des activités ;
  • Ne négliger a priori aucun poste budgétaire ou activité (dépenses et recettes, fonctionnement et investissement) ;
  • Déployer en interne une démarche collaborative de la direction des finances avec les autres services ou directions afin d’obtenir les meilleures données dans les délais les plus courts.

Un raisonnement en quelques étapes à adapter au cas particulier de sa collectivité

  • Constituer la base de données de référence pour l’analyse
    1. Consolider les données du BP 2020 (ou du projet de BP si ce dernier n’a pas été voté), des réalisations 2020 à date (prévu / engagé / mandaté), en fonctionnement et en investissement
    2. Intégrer les données 2019 (prévu et réalisé), de manière à disposer d’une année de référence complète).
  • Filtrer les postes majeurs (règle des 80/20) pour aller à l’essentiel
    1. Sélectionner les postes budgétaires ou les composantes des postes budgétaires les plus importants (assez classiquement 20% des composantes peuvent représenter 80% du montant total)
    2. Intégrer à ce filtre une approche complémentaire plus précises en tant que de besoin (directions/services, comptes de tiers les plus significatifs, seuil de dépense/recette, …).
  • Étiqueter les incidences, 4 natures de critères principaux proposés pour construire une grille d’analyse :
    1. La variabilité ou non des postes à la crise actuelle par composantes tant en dépenses qu’en recettes (en règle générale, pose la question des composantes fixes, variables, voire mixtes selon le classement)
    2. La nature de l’incidence : pour chaque poste / composante, s’agira-t-il d’une hausse ? D’une baisse ? D’une suppression ? D’un report ? D’une reprogrammation ? …
    3. La temporalité des impacts : l’impact sera-t-il subi en 2020 ? En 2021 ? Ou plus durablement ?
    4. Le degré de maîtrise : dans quelle mesure la collectivité dispose-t-elle d’une marge de manœuvre pour agir sur cette incidence ? (oui/non, forte/limitée, prérequis ? …) ; Au-delà des contraintes juridiques, cette marge de manœuvre peut notamment dépendre des priorités politiques de l’exécutif.
  • Valoriser les impacts (critères et formules de calcul)
    1. Quels sont les critères permettant d’évaluer l’impact de la crise ? Prorata temporis ou variation des indicateurs (effets activité, fréquentation, horaires, production, usagers, demandes, etc.). Certains aspects (fiscalité en particulier) nécessitent des analyses plus détaillées (structures du tissu fiscal, impôts de stock/flux, sensibilité à la conjoncture économique, etc.)
    2. Le référentiel rétrospectif peut aider la démarche sur certains postes
    3. On peut éventuellement qualifier aussi le niveau de précision de cette évaluation (1 à 5).
  • Identifier et évaluer les charges nouvelles liées à la crise (charges immédiates
    1. Identification : selon la nature de ces dépenses, charges immédiates et futures liées à la gestion même de la crise sanitaire
    2. Évaluation financière de ces charges nouvelles et appréciation du niveau de précision de cette évaluation.
  • Consolider l’ensemble des impacts mesurés
    1. Consolidation des impacts sur l’année 2020 : identification des ajustements budgétaires à opérer (en tenant compte des marges de manœuvre offertes par l’ordonnance du 25 mars 2020), en lien avec le degré de maîtrise évalué (sous réserve des décisions à prendre, ces ajustements sont-ils mineurs ou majeurs ?)
    2. Consolidation des impacts 2021 et au-delà, se traduisant sur la prospective financière qui avait fondé la stratégie financière de la collectivité ; A titre de synthèse, une appréciation du niveau d’impact sera effectuée : dans quelles proportions la stratégie de la collectivité locale est-elle remise en cause ?

 

La consolidation des effets sur le budget et la prospective permettra fondamentalement d’isoler les facteurs liés à l’effet crise, mais surtout de travailler une stratégie de marges de manœuvre et de financement d’un plan de relance territorial, en partenariat avec les autres collectivités et acteurs du territoire (cf. notre prochain article à paraître).

 

Les collectivités locales ont intérêt à évaluer rapidement les impacts budgétaires et financiers de la crise sanitaire pour adapter rapidement leur stratégie budgétaire et financière.