Nouveaux CCAG : quand les utiliser ?

Marchés privés de travaux et commande publique

François Tenailleau
Avocat Associé, CMS Francis Lefebvre
Ancien membre des groupes de travail sur les nouveaux CCAG

Le 1er avril 2021, les nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics ont été publiés au Journal officiel. En plus des cinq précédents CCAG (Fournitures courantes et services, Marchés industriels, Techniques de l’information et de la communication, Prestations intellectuelles, Travaux), un nouveau cahier a fait son apparition : le CCAG Maîtrise d’œuvre.

La rédaction des six nouveaux CCAG est le produit de travaux et d’échanges entre les acteurs de la commande publique et le ministère de l’Économie (en particulier la direction des affaires juridiques de Bercy). Les objectifs étaient, avant toute chose, de mettre en conformité les CCAG avec les évolutions législatives, réglementaires et jurisprudentielles qu’a connu la commande publique depuis 2009, date de parution des précédents CCAG. Dans un souci de lisibilité, les nouveaux CCAG procèdent également à une unification des stipulations communes ou ayant un objet similaire.

L’autre enjeu de ces nouveaux CCAG a été celui de l’adaptation aux attentes des acteurs de la commande publique et aux réalités du monde contemporain.

À ce titre, les nouveaux CCAG prennent en compte les enjeux de protection des données personnelles et de sécurisation de la propriété intellectuelle des cocontractants de l’administration. Dans le même ordre d’idées, ils donnent une place plus importante aux préoccupations sociales et environnementales.

Dans une optique de modernisation des relations contractuelles, les CCAG introduisent davantage d’équilibre et de contradictoire entre les parties. En outre, ils facilitent la dématérialisation des marchés, l’accès des PME aux contrats de la commande publique et valorisent les modes de règlement amiable des différends.

Enfin, cette réforme très attendue par les acteurs publics s’inscrit dans une ambition générale de mieux accompagner les acheteurs dans la rédaction de leurs marchés, dont témoigne, notamment, un nouveau guide d’utilisation des CCAG, disponible sur le site de la DAJ de Bercy.

En résumé, les nouveaux CCAG sont des documents à jour sur le plan juridique et plus respectueux de ce que doit être aujourd’hui l’équilibre contractuel entre les parties.

Aujourd’hui, quelle version des CCAG faut-il utiliser et pourquoi ?

Entrés en vigueur le 1er avril 2021, les arrêtés interministériels contenant les nouveaux CCAG ont prévu une période transitoire de 6 mois, pendant laquelle les CCAG de 2009 pouvaient encore être utilisés.

Durant cette période transitoire, couvrant la période du 1er avril au 30 septembre 2021, toute référence à un CCAG qui ne préciserait pas l’année de l’arrêté visé (2009 ou 2021) était présumée se rapporter aux CCAG de 2009.

À partir du 1er octobre 2021 en revanche, date de fin de la période transitoire, les documents contractuels des marchés publics mentionnant les CCAG sont considérés comme se référant aux CCAG de 2021 et non ceux de 2009, sauf clause différente dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP).

En effet, dans la mesure où les CCAG ont un caractère contractuel, rien ne s’oppose juridiquement à ce qu’un acheteur décide de se référer aux nouveaux CCAG avant le 1er octobre 2021 ou aux anciens CCAG, après cette date.

Dans ce dernier cas toutefois, on ne peut qu’observer que les CCAG de 2009 présentent de nombreuses clauses obsolètes et sont peu adaptés aux enjeux et pratiques actuels de la commande publique. On ne peut donc que déconseiller de faire référence à ces anciens CCAG. Et si les acheteurs, et leurs cocontractants, craignent d’être encore peu familiarisés avec ces documents, il convient de mettre en balance l’effort d’adaptation à fournir avec la nécessité, en tout état de cause, d’insérer dans le CCAP les clauses permettant de pallier l’obsolescence des CCAG de 2009.

Qu’en est-il des dérogations dans les CCAP ?

Si les CCAG présentent, malgré leur nature réglementaire, un caractère facultatif, la référence dans les CCAP à l’un des six CCAG a pour effet de soumettre le contrat à l’ensemble des dispositions du CCAG expressément mentionné.

L’article R. 2112-3 du Code de la commande publique, traitant des « documents généraux » tels que les CCAG, dispose que le marché doit comporter « l’indication des articles de ces documents auxquels ils dérogent ».

L’article 1er de tous les CCAG prévoit ainsi que les marchés se référant au CCAG pertinent « peuvent prévoir de déroger à certaines de ces stipulations » et ajoute que « ces dérogations doivent figurer dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP), ou dans tout autre document qui en tient lieu, et préciser à quels articles du présent CCAG elles dérogent. Le dernier article du CCAP, ou de tout autre document qui en tient lieu, contient la liste récapitulative des articles du présent CCAG auxquels il est dérogé. » Il en résulte que toute dérogation au CCAG doit être expressément mentionnée dans les CCAP ou un document contractuel équivalent.

S’il est possible d’introduire dans les CCAP des dérogations aux CCAG, cet exercice requiert de la prudence dans la mesure où certaines clauses des CCAG reflètent des obligations légales ou règlementaires pesant sur les parties. Pour ces dernières, il n’est – logiquement – pas possible de prévoir des dérogations.

C’est le cas, par exemple, des clauses rappelant les hypothèses dans lesquels le marché doit être conclu à prix révisable – sujet des plus sensibles actuellement – ou encore, pour les marchés de travaux, de la clause relative à la valorisation des ordres de service imposant des prestations supplémentaires ou modificatives.

Par ailleurs, il est conseillé de ne pas introduire un trop grand nombre de dérogations dans les CCAP, de manière à conserver un ensemble contractuel cohérent et équilibré, et bien sûr que celles-ci soient justifiées. L’une des vertus des CCAG est que les acteurs de la commande publique, qu’ils soient juristes ou opérationnels, en ont une bonne connaissance. Introduire des dérogations implique de bien en comprendre la portée, ce qui n’est pas toujours évident pour tous, et quoi qu’il en soit, de se départir des réflexes qui s’instaurent avec la pratique récurrente des clauses des CCAG. Le marché peut alors devenir piégeux et conduire à des incompréhensions, immanquablement sources de litiges.

Évidemment, si les dérogations ne sont pas récapitulées à la fin du CCAP, comme le prescrit l’article 1er des CCAG, ce caractère piégeux s’en trouve renforcé. Dans ce cas, certes, l’oubli de la clause dans la liste récapitulative n’aura pas pour effet de la rendre inopposable (en ce sens : CE, 31 juillet 1996, Canac, req. n°124065). Toutefois, il nous semble que l’on pourrait s’interroger dans ce cas sur la bonne foi de l’acheteur, ce qui pourrait ne pas être sans conséquence devant le juge.

Quel(s) CCAG utiliser dans le cas de marchés globaux ?

En principe, et comme le rappelle le préambule de chaque CCAG, un marché ne peut se référer qu’à un seul CCAG. Toutefois, les nouveaux CCAG ont introduit une dérogation à ce principe pour ce qui concerne les marchés globaux. A titre d’exemple, un marché de conception-réalisation pourra, en théorie, se référer à la fois au CCAG Travaux et au CCAG Maîtrise d’œuvre.

Recourir à cette exception au principe de référence à un unique CCAG est toutefois contraignant et en réalité peu opérationnel. Le préambule de tous les CCAG prévoit que le maître d’ouvrage « devra veiller à assurer la parfaite cohérence entre les différentes clauses auxquelles il se réfère » et que « dans le cas où certaines prestations secondaires doivent être régies par des stipulations figurant dans un autre CCAG que celui désigné dans le marché, ce dernier doit reproduire, dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ou tout autre document en tenant lieu, les stipulations retenues ou tout autre document qui en tient lieu, sans référence au CCAG dont elles émanent ». On ajoutera, pour reprendre l’exemple d’un marché de conception réalisation, que le rôle du maître d’œuvre n’est pas du tout le même que dans le cas d’un marché de travaux « loi MOP » pour lequel il a été conçu. Il conviendrait alors d’apporter de fortes dérogations dans le CCAP.

Dans un souci de lisibilité on ne peut que conseiller de rédiger un contrat unique et ad hoc, s’inspirant en tant que de besoin des rédactions pertinentes figurant dans les CCAG.

Les acheteurs privés ont-ils intérêt à se référer aux CCAG publics ?

D’une manière générale, les CCAG publics ne sont pas adaptés aux acheteurs privés dans la mesure où ce sont des documents contractuels spécifiquement élaborés pour s’adapter aux contraintes des acheteurs de droit public : application du droit des contrats administratifs, comptabilité publique, prérogatives de puissance publique, etc. C’est d’ailleurs ce que rappellent les préambules des CCAG 2021.

En pratique, il est courant que certains acheteurs de droit privé soumis au Code de la commande publique (SA d’HLM, SEM, SPL, associations parapubliques etc.) se réfèrent pourtant aux CCAG, alors même, faut-il le rappeler, que leurs contrats sont soumis au droit privé (cf. article L. 6 du Code de la commande publique).Cette pratique comporte des risques non négligeables.

Les CCAG marchés publics peuvent entrer en contradiction avec certaines règles du droit commercial ou du droit civil, applicables aux acheteurs privés.

À titre d’exemple, l’article 1171 du Code civil prévoit que sont réputées non écrites, les clauses non négociables « qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ».

Or, les CCAG marchés publics ne sont, par essence, pas des documents contractuels négociables. En effet, les CCAG sont issus d’arrêtés ministériels et le titulaire du marché public consent à s’y soumettre à l’issue d’une procédure de mise en concurrence propre aux marchés publics. Cette caractéristique fait dangereusement penser aux contrats d’adhésion du Code civil.

En outre, les CCAG ont été spécialement rédigés pour se plier à la relation contractuelle spécifique qui unit l’acheteur public et le titulaire du marché, de sorte qu’ils contiennent nécessairement des clauses déséquilibrées, propres à la satisfaction de l’intérêt général et non de l’intérêt spécifique du débiteur.

Par conséquent, la soumission des marchés privés aux CCAG marchés publics peut s’avérer contraire aux dispositions du Code civil précitées, en créant un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties.

Un autre exemple, tiré des marchés de travaux, est celui de la garantie de parfait achèvement (GPA), qui dure en principe un an. En droit public, le délai de garantie étant contractuel (CE, Sect. 28 février 1986, n°403381) il peut être prolongé par décision du maître d’ouvrage (article 44.2 du CCAG Travaux). Dans un marché soumis au droit privé, il n’en va pas de même : le délai de la GPA (article 1792-6 du Code civil) étant un délai de forclusion (Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16.837), il faut assigner devant le juge pour l’interrompre.

Enfin, une des caractéristiques des CCAG implique que dès lors que les documents contractuels du marché font référence à un CCAG, celui-ci s’impose aux parties dans son intégralité. S’il est possible d’insérer dans le CCAP des dérogations expresses à des clauses des CCAG, il s’agit là d’un exercice fastidieux, que les acheteurs privés peuvent s’épargner.

Le risque identifié ici est de créer un ensemble contractuel manquant de clarté et susceptible d’induire les parties en erreur. Pour toutes ces raisons, il ne peut qu’être conseillé aux acheteurs privés, plutôt que de se référer aux CCAG, d’élaborer un nouveau document contractuel de droit privé prenant en compte les exigences de la commande publique auxquelles ils sont soumis.