Focus sur le bail emphytéotique administratif

Laurent BIDAULT
Avocat Associé
NOVLAW Avocats

Le bail emphytéotique administratif (BEA) est le contrat par lequel le bailleur – une collectivité territoriale, l’État notamment – donne à bail au preneur, la location d’un bien immobilier.

Schématiquement, il permet ainsi de confier au preneur l’exécution d’une mission s’inscrivant dans le cadre d’une opération d’intérêt général notamment, tout en accordant au preneur des droits réels de nature à lui assurer des conditions d’exploitation économique satisfaisantes et donc à favoriser le financement des ouvrages (entretien, réalisation).

Le BEA constitue donc un outil de valorisation du domaine des collectivités territoriales ou de l’État.

L’objet du présent focus est d’exposer son champ d’application, ses caractéristiques et ses modalités de conclusion.

Le champ d’application du bail emphytéotique administratif

Le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque[1].

En vertu de l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif, lorsqu’il porte sur un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale[2] d’une part afin d’y réaliser une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ; ou d’autre part en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public (BEA cultuel[3]).

Il s’agit des seules conditions (alternatives) d’utilisation du BEA (cf. infra).

Notons que l’État et ses établissements ont également la possibilité de conclure des BEA dans deux hypothèses seulement : d’une part, pour la réalisation de logements sociaux[4] ; d’autre part, pour des opérations de restauration, de réparation ou de mise en valeur d’un bien public[5].

Les caractéristiques du BEA

Comme cela ressort expressément des dispositions susvisées, une collectivité territoriale (ou l’État) ne peut consentir un BEA que sur un bien immobilier lui appartenant ; elle doit donc avoir la capacité d’aliéner le bien en cause[6].

Le preneur peut être une personne privée (quelle que soit sa forme), voire une personne publique, étant précisé que s’agissant d’un BEA cultuel, le preneur doit obligatoirement être une association cultuelle (cf. infra).

Le BEA a une durée limitée comprise entre 18 et 99 ans[7].

Il est consenti en contrepartie du versement d’une redevance d’occupation par le preneur, lequel peut se voir imposer toutes obligations tenant à l’utilisation des biens mis à sa disposition, en particulier leur entretien.

Bien qu’elles ne soient pas obligatoires comme dans un bail à construction[8], le BEA peut prévoir des obligations en matière de construction et d’entretien d’un bien immobilier.

À l’issue du BEA, la propriété des ouvrages est transférée sans indemnité au bailleur.

Le BEA confère des droits réels à son preneur qui est susceptible d’hypothèques, sans pour autant remettre en cause le caractère précaire de l’occupation domaniale.

L’exercice de ces droits doit cependant demeurer compatible avec la spécificité du domaine public, nécessitant notamment un agrément de la personne publique[9].

Ces droits réels portent à la fois sur les ouvrages, constructions et installations qu’il réalise, mais également sur le terrain d’assiette de ces constructions[10].

L’objet du BEA conclu par les collectivités territoriales

Comme évoqué ci-dessus, le BEA conclu par une collectivité territoriale porte soit sur une opération d’intérêt général, soit sur une « opération cultuelle ».

Le BEA doit porter sur une opération d’intérêt général

Concernant la première condition, l’opération réalisée dans le cadre du BEA doit revêtir un caractère d’intérêt général (un intérêt public local) relevant de la compétence de la collectivité territoriale propriétaire du bien.

Ainsi, il a par exemple été jugé que constituait une opération d’intérêt général, la construction de logements sociaux[11], la réalisation d’un parc récréatif[12], d’un golf[13], d’un cinéma[14], d’un équipement sportif, voire plus largement la redynamisation de l’activité commerciale.

Récemment, la Cour de cassation a considéré qu’un bail emphytéotique portant sur une centrale hydraulique installée sur un barrage concédé à une société privée par une collectivité territoriale, est un bail emphytéotique administratif dès lors qu’il permet la réalisation d’une opération d’intérêt général[15].

À l’inverse, le juge administratif a pu censurer le recours à un BEA qui ne présente pas un intérêt général, mais des intérêts purement privés, en particulier uniquement ceux du preneur[16].

En ce sens, par exemple, il a été jugé très récemment qu’une promesse de bail, ayant pour objet l’extension d’un hôtel et du parc de stationnement lié à celui-ci, ne peut être qualifiée de BEA, dans la mesure où elle ne porte pas sur la réalisation d’une opération d’intérêt général, mais elle profite qu’au propriétaire et à la clientèle de l’hôtel[17].

Il est enfin important de préciser enfin que l’opération objet du BEA ne doit pas être qualifiable de mission de service public, le preneur ne faisant que concourir à l’intérêt général.

Plus généralement, le BEA ne peut pas être assimilable à un contrat de la commande publique, marché public ou concession[18].

Le BEA doit porter sur une opération cultuelle 

Concernant la seconde condition, le BEA cultuel peut être conclu en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public.

Le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser aux termes de plusieurs décisions les conditions de recours à celui-ci[19].

En particulier, on insistera sur le fait que le recours au BEA cultuel doit être réservé aux seules opérations exclusivement cultuelle[20] et qu’il ne peut être conclu qu’avec une association cultuelle[21].

BEA et commande publique

Il faut distinguer le BEA associé à un contrat de la commande publique et celui hors du champ d’application de la commande publique.

L’article L. 1311-2 du CGCT prévoit que le BEA ne peut avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur ou d’une autorité concédante soumis au code de la commande publique.

Dans ce cas, le BEA doit être regardé soit comme un marché public, soit comme un contrat de concession, et sa conclusion est soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par le code de la commande publique.

À cet égard, pour éviter tout risque de requalification d’un BEA, le bailleur devra notamment veiller à ne pas s’immiscer dans l’activité du preneur ou à contrôler celle-ci, à préciser au contrat que les éventuels travaux ou services associés au BEA répondent au besoin du preneur ou encore à ne pas verser au preneur une contrepartie financière qui pourrait être assimilable au versement d’un prix.

Inversement, lorsque l’opération immobilière objet du BEA ne répond pas à un besoin de la personne publique, celui-ci reste hors du code de la commande publique[22].

La conclusion du BEA n’est toutefois pas exonérée de toute procédure.

En effet, l’article L. 2122-1-1 du CGPPP prévoit qu’un titre autorise son titulaire à occuper le domaine public en vue d’une exploitation économique, sa délivrance devra être précédée d’une procédure de sélection préalable librement organisée par l’autorité compétence, qui doit présenter toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comporter des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.

BEA et domanialité

Le BEA est un contrat d’occupation domaniale qui peut être conclu sur le domaine public et sur le domaine privé de l’État et des collectivités territoriales.

Très brièvement, rappelons qu’avant l’intervention du législateur, la conclusion d’un BEA sur le domaine public était illégale, les droits réels conférés au preneur étant incompatibles avec les principes régissant le domaine public, particulièrement l’inaliénabilité de celui-ci[23].

Mais l’article L. 1311-2 du CGCT prévoit désormais que le BEA peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l’affectation du bien résultant soit du bail ou d’une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public.

La conclusion d’un BEA sur le domaine public n’est toutefois pas sans limites : il ne peut pas porter sur une dépendance de la voirie routière[24], ni sur un bien mobilier.

Qu’il soit conclu sur le domaine public ou sur le domaine privé, le BEA est un contrat administratif, l’article L. 2331-1 du CGPPP attribuant à la juridiction administrative l’ensemble des litiges relatifs aux BEA.

Il était par ailleurs admis que les personnes publiques pouvaient conclure sur leur domaine privé un bail emphytéotique de droit commun, uniquement régi par les dispositions du code rural.

Néanmoins, comme le relève le professeur Eckert[25] en particulier, cette liberté – contractuelle – apparait remise en cause par la Cour de cassation qui a considéré que, dans le cas d’une activité entrant dans le domaine du BEA, à savoir une activité d’intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale, cette dernière ne peut conclure sur son domaine privé qu’un BEA[26].

En d’autres termes, dès lors que les conditions du BEA sont remplies, la collectivité territoriale ne peut conclure qu’un BEA, sur son domaine public comme son domaine privé.

Dans ce cas, au détriment de la liberté contractuelle[27], la collectivité territoriale ne peut plus avoir recours au bail emphytéotique de droit commun, mais uniquement au BEA .

[1] Article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime.

[2] Plus précisément, le BEA est ouvert aux collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics (article L. 1311-4 du CGCT et article L. 2122-20 du code général de la propriété des personnes publiques).

[3] Le Conseil d’État a pu, par plusieurs décisions, préciser les conditions de recours

[4] Loi no 2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés.

[5] Article L. 2341-1 du code général de la propriété des personnes publiques/

[6] Article L. 451-2 du code rural et de la pêche maritime.

[7] Article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime.

[8] https://droit-des-contrats-publics.efe.fr/2022/02/16/conclusion-dun-bail-a-construction-sur-le-domaine-public-une-liberte-encadree/

[9] Article L. 1311-3 du CGCT ; Article L ; 2341-1 du CGPPP.

[10] CE, 11 mai 2016, Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, n°390118.

[11] CE, 4 avril 2018, n°408179.

[12] CE, 27 juillet 2005, n°247566.

[13] CAA Lyon, 29 mai 1999, n°95LY00614.

[14] CAA Marseille, 14 juin 2021, n°20MA02803.

[15] Cass. 3e civ., 15 juin 2023, n°21-22.816 ; TA Orléans, 18 janvier 2024, n°2100113 : bien que le Tribunal des conflits semble avoir remis en cause le caractère de cette activité en considérant que l’activité de production d’électricité exercée, dans le seul but de la céder à EDF, par la société ne peut être regardée, en l’espèce, comme poursuivant un but d’intérêt général (TC, 9 octobre 2023, n°C4284).

[16] Voir notamment en ce sens : CE, Ass., avis n° 356101, 16 juin 1994 ; CAA Lyon, 7 mars 2011, n°09LY00750.

[17] TA Grenoble, 15 avril 2024, n°2401656.

[18] Article L. 1311-2 du CGCT  ; Voir par exemple : CAA Bordeaux, 2 février 2017, n°14BX02682.

[19] Voir notamment en ce sens : CE, 10 février 2017, Ville de Paris, n°395433 ; CE, Ass., 19 juillet 2011, n°320796

[20] C’est-à-dire une opération portant sur un édifice de culte ouvert au public.

[21] S’agissant de laquelle le Conseil d’État fait une interprétation stricte (CE Section, 9 octobre 1992, Commune de Saint-Louis de la Réunion, n°94455).

[22] Voir notamment en ce sens : CAA Marseille, 14 juin 2021, Société Nouvelle d’entreprise de spectacles, n°20MA02803.

[23] Voir notamment : CE, 6 mai 1985, Association Eurolat et Crédit foncier de France, n°41589.

[24] Article L. 1311-2 du CGCT ; Voir également : CE, 18 octobre 1995, Commune de Brive-la-Gaillarde, n°116316.

[25] G. Eckert, L’étrange destin du bail emphytéotique administratif, Contrats et Marchés publics n° 3, Mars 2024.

[26] Cass. 3e civ., 15 juin 2023, n°21-22.816 ; voir également : CA Chambéry, 7 décembre 2023, n°21/01380.

[27] Voir notamment PM. Murgue-Varoclier, Recul de la liberté contractuelle des propriétaires publics ?, JCP A 2023, 555.

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