Conclusion d’un bail à construction sur le domaine public : une liberté encadrée

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Laurent Bidault
Avocat à la Cour
Novlaw Avocats

Le recours au bail à construction présente un certain nombre d’avantages pour les personnes publiques. Il permet en effet à ces dernières de confier au preneur la réalisation d’une opération de construction, ainsi que l’entretien de celle-ci pendant toute la durée du bail, tout en conservant la propriété du terrain sur lequel est implantée la construction. En outre, en fin de bail, la personne publique peut récupérer la construction en cause.

En d’autres termes, le tel montage permet à une personne publique tout à la fois, de valoriser un terrain ou un ouvrage lui appartenant, tout en en conservant la propriété.

Les caractéristiques du bail à construction conduisent de prime abord à écarter sa conclusion sur le domaine public. Cependant, comme l’a rappelé récemment la Cour administrative d’appel de Marseille[1], un tel bail peut être conclu sur le domaine public, à condition d’être adapté pour être compatible avec les impératifs et contraintes liés au domaine public.

Le bail à construction, créateur de droits réels

Pour mémoire, il convient de rappeler que le bail à construction a pour objet principal de confier au preneur la réalisation d’une construction sur le terrain du bailleur, ainsi que le cas échéant la conservation en bon état, l’entretien de la construction, pendant la durée du bail[2].

Le bail est conclu pour une durée comprise entre 18 et 99 ans. Les droits et obligations respectives des parties sont définis librement entre elles, tant s’agissant des conditions de réalisation des ouvrages que du sort de ceux-ci à l’issue du bail. Et sauf dispositions contraires, le bailleur devient propriétaire des ouvrages en fin de bail et profite des améliorations.

Aux termes du bail, le preneur se voit conférer des droits réels immobiliers[3].

Ce droit réel lui permet notamment de céder tout ou partie de ses droits ou de les apporter en société ; il peut encore hypothéquer son droit, tout comme les constructions édifiées sur le terrain en cause . En outre, le preneur a la faculté de consentir les servitudes passives qui seraient indispensables à la réalisation des constructions prévues.

Bail à construction et domaine public

C’est en raison principalement du caractère incompatible de ces droits réels immobiliers avec les principes régissant le domaine public que la conclusion d’un tel bail était, jusqu’à récemment, impossible sur le domaine public.

De fait, pour ne prendre qu’un exemple, la possibilité donnée au preneur de céder librement le terrain à un tiers s’avère incompatible avec le principe d’inaliénabilité du domaine public, en particulier.

Partant, il a pu être jugé de l’illégalité de la conclusion d’un bail à construction sur le domaine public[4].

En d’autres termes, sa conclusion – du moins dans les conditions prévues par les articles L. 251-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation – n’était possible que sur un terrain appartenant au domaine privé de la personne publique.

Les conditions de recours au « bail à construction administratif »

Le Conseil d’État est venu reconnaitre la possibilité de conclure un bail à construction sur le domaine public, mais à la condition que celui-ci soit adapté aux particularités et aux règles régissant le domaine public[5], ce qui a conduit la doctrine à y voir la reconnaissance d’un « bail à construction administratif »[6].

Dans cette décision, le Conseil d’État précisait les aménagements devant être apportés au contrat de bail afin que celui-ci soit compatible avec le domaine public.

Plus récemment, la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé illégal la promesse de bail à construction conclu sur le domaine public qu’une collectivité territoriale, considérant que le contrat ne comportait pas « toutes les clauses requises par le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) et le code général des collectivités territoriales (CGCT) applicables aux autorisations d’occupation temporaire du domaine public constitutives de droits réels, de nature à garantir l’utilisation du domaine public conformément à son affectation d’utilité publique, et contient des clauses incompatibles avec le droit du domaine public » [7].

Dans le détail, la Cour observe que le preneur se voyait conférer des droits réels immobiliers hypothécables, sans limitation, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1311-6-1 du CGCT et de l’article L. 2122-8 du CG3P qui limitent cette possibilité d’hypothéquer ces droits[8].

De plus, contrairement à ce que prévoyait la promesse, le transfert ou la cession des droits ou du bail ne peut être envisagé qu’avec accord de la personne publique, conformément au premier alinéa de l’article L. 2122-7 du CG3P[9].

Enfin, la durée du bail à construction à consentir était de 99 ans, alors qu’elle ne doit pas excéder 70 ans, pour être compatible avec les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 2122-6 du Code général de la propriété des personnes publiques (« CG3P »)[10].

Dans l’affaire en cause, la promesse aurait dû également prévoir une condition suspensive à sa conclusion liée au déclassement du bien en cause.

La personne publique qui envisage la conclusion d’un bail à construction sur son domaine public doit donc faire preuve de vigilance afin que les stipulations du contrat soient compatibles avec les impératifs et prescriptions liés au domaine public.

[1] CAA Marseille 25 octobre 2021, SCI Milan, req. n° 19MA00191

[2] Articles L. 251-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.

[3] Article L. 251-3 du code de la construction et de l’habitation

[4] Par exemple : CE 23 juin 2004, Association éducatives des arts, cultures et traditions populaire, req. n° 259474.

[5] CE 11 mai 2016, Communauté urbaine de Marseille-Provence-Métropole, req. n° 390118 : « si la constitution de droits réels sur le domaine public de l’État suppose en principe la délivrance d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public, aucune disposition ni aucun principe n’interdit que l’État et ses établissements publics puissent autoriser l’occupation d’une dépendance du domaine public en vertu d’une convention par laquelle l’une des parties s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l’autre partie et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d’occupation constitutives de droits réels, confère un droit réel immobilier, à condition toutefois que les clauses de la convention ainsi conclue respectent, ainsi que le prévoit l’article L. 34-5 du code du domaine de l’État, repris à l’article L. 2122-11 du code général de la propriété des personnes publiques cité au point 4, les dispositions applicables aux autorisations d’occupation temporaires du domaine public de l’État constitutives de droits réels, qui s’imposent aux conventions de toute nature ayant pour effet d’autoriser l’occupation du domaine public ».

[6] Voir en ce sens : P. Yolka, « À propos du « bail à construction administratif » », AJDA 2016, p. 1145 ; P. Yolka, « Les droits réels sur le domaine public (survol d’une décennie) », AJDA 2016, p. 1797.

[7] CAA Marseille 25 octobre 2021, SCI Milan, req. n° 19MA00191

[8] L. 1311-6-1 du CGCT et L. 2122-8 du CG3P : « Le droit réel conféré par le titre, les ouvrages, constructions et installations ne peuvent être hypothéqués que pour garantir les emprunts contractés par le titulaire de l’autorisation en vue de financer la réalisation, la modification ou l’extension des ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier situés sur la dépendance domaniale occupée. (…) »

[9] « Le droit réel conféré par le titre, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier ne peuvent être cédés, ou transmis dans le cadre de mutations entre vifs ou de fusion, absorption ou scission de sociétés, pour la durée de validité du titre restant à courir, y compris dans le cas de réalisation de la sûreté portant sur lesdits droits et biens et dans les cas mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 2122-8, qu’à une personne agréée par l’autorité compétente, en vue d’une utilisation compatible avec l’affectation du domaine public occupé. De tels transferts ne peuvent intervenir lorsque le respect des obligations de publicité et de sélection préalables à la délivrance d’un titre s’y oppose. »

[10] « Le titre fixe la durée de l’autorisation, en fonction de la nature de l’activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l’importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans. »