Céline FRACKOWIAK
Sous-directrice du droit de la commande publique
Le mois décembre est toujours l’occasion de jeter un dernier regard sur l’année qui s’achève avant de se tourner résolument vers la nouvelle. L’année 2024 a été atypique. Dans le prolongement des Assises du bâtiment et des travaux publics tenues en 2022 et des Rencontres de la simplification en 2023, elle s’était d’emblée placée sous le signe de la simplification avec le dépôt, le 24 avril 2024, du projet de loi de simplification de la vie économique.
Le bouleversement de l’agenda parlementaire cet été a toutefois conduit le train de la simplification à faire une étape prolongée au Sénat, où les débats ont repris avec l’adoption, le 22 octobre dernier, de la petite loi. L’entrée en gare terminus devrait ainsi intervenir en 2025, avec plusieurs mesures de simplification d’importance.
Ainsi, l’article [4] du projet de loi doit, en étendant l’utilisation obligatoire de la plateforme de dématérialisation des marchés publics de l’État (PLACE), gérée par la direction des achats de l’État, faciliter l’accès aux marchés publics des entreprises, notamment les très petites et moyennes entreprises. Toutes les personnes publiques – à l’exception notable des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et groupements – et les organismes de sécurité sociale seraient tenus d’utiliser PLACE, mis gratuitement à disposition par l’État, au plus tard le 31 décembre 2028. PLACE centraliserait ainsi environ 4 300 services acheteurs pour 100 000 consultations d’un montant supérieur à 40 000 € HT par an[1], facilitant d’autant l’identification des opportunités économiques pour les entreprises.
D’autres mesures, plus techniques mais non moins importantes, en particulier pour soutenir la construction de logements, retiendront l’attention des professionnels de l’achat public :
- La création d’une nouvelle catégorie de marchés globaux sectoriels permettant un transfert de maîtrise d’ouvrage à l’opérateur privé en cas d’opération portant sur un ensemble immobilier avec imbrication de la maîtrise d’ouvrage publique et de la maîtrise d’ouvrage privée. En effet, en pareil cas, l’indivisibilité technique de l’opération rend préférable une maîtrise d’ouvrage unique dans un contexte où la personne publique n’a pas vocation à supporter le risque lié à la réalisation du programme ;
- L’assouplissement du régime d’exécution des ventes en l’état futur d’achèvement (VEFA) doit contribuer à leur attractivité grâce à l’application du régime propre aux contrats du livre V de la deuxième partie du code de la commande publique (CCP). En effet, si les marchés portant sur l’acquisition ou sur la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur, et ne pouvant être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire, peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence préalables, les règles d’exécution qui les régissent – versement trimestriel de l’acompte, paiement direct du sous-traitant – pouvaient paraître mal adaptées à une maîtrise d’ouvrage privée ;
- L’élargissement à tous les contrats de la commande publique du recours au partenariat public-privé institutionnalisé[2], jusqu’alors limité aux sociétés d’économie mixte à opération unique prévues au seul profit des collectivités territoriales.
D’autres dispositions de niveau réglementaire viendront renforcer la dynamique de simplification grâce à un projet de décret qui concerne aussi bien la passation que l’exécution des contrats de la commande publique, plus particulièrement les marchés publics.
Sans prétendre ici à l’exhaustivité, parmi les mesures les plus notables, citons l’assouplissement des règles relatives à la constitution des groupements d’entreprises – lesquelles relèvent de la compétence des États membres[3] – dans le respect des garanties posées par la Cour de justice de l’Union européenne[4], utile notamment pour les opérations complexe, ou encore, en matière d’exécution, l’abaissement de 5 % à 3 % du taux maximum de retenue de garantie applicable par les grandes collectivités territoriales et les grands établissements publics de l’État, l’augmentation de la part d’exécution de marchés réservée aux PME pour les marchés globaux, les marchés de partenariat et les marchés de défense ou sécurité de partenariat ou l’uniformisation des règles de déclenchement des délais de paiement pour tous les acheteurs soumis au code de la commande publique pour le solde des marchés de travaux ainsi que pour le paiement des sous-traitants admis au paiement direct.
La plus attendue des mesures est sans doute la pérennisation du seuil de dispense de publicité et mise en concurrence préalables à 100 000 € HT pour les marchés de travaux, eu égard aux avantages qu’elle présente pour les opérateurs économiques et acheteurs. Initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2022 par la loi 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, cette expérimentation a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2024 par le décret n° 2022-1683 du 28 décembre 2022 pris dans le contexte de pénurie des matières premières et de hausses des prix résultant de la guerre en Ukraine. Sa pérennisation constituerait une véritable simplification en allégeant les coûts de procédure pour l’acheteur et de dépôt des candidatures et offres pour l’entreprise pour des marchés à faible enjeu. Rappelons que le seuil à partir duquel le coût d’organisation d’une procédure de passation est supérieur aux gains attendus d’une mise en concurrence en termes de prix, serait compris, selon les études disponibles, entre 20 000 et 80 000 €[5].
Soumis à la consultation publique le 4 novembre dernier, ce projet de décret sera ensuite soumis à l’examen du Conseil d’État.
Mais l’édiction de normes assouplissant le droit positif ne saurait raisonnablement être la seule la réponse aux attentes exprimées en matière de simplification. Au contraire, on lui reproche souvent d’être bavard, de surtransposer le droit dérivé de l’Union européenne… Effectivement, d’autres leviers existent, qui sont – et seront encore – également mobilisés.
Le principal de ces leviers, c’est l’accompagnement des parties prenantes en mettant à leur disposition des outils de référence en prise sur les enjeux auxquels elles sont directement confrontées. C’est le sens du Guide des bonnes pratiques de facturation dans les marchés de travaux, qui, fruit d’une large concertation avec les fédérations professionnelles, maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage et entreprises, a été publié en septembre dernier. À l’agenda du programme de travail de l’OECP pour 2025 figure ainsi la refonte du Guide relatif aux marchés publics d’assurances des collectivités territoriales, engagée dès le 18 septembre 2024 en étroite association avec les associations d’élus locaux, les fédérations professionnelles du secteur de l’assurance et du courtage. Face aux difficultés d’assurabilité rencontrées par certaines collectivités, soulignées par le rapport d’information de la commission des finances du Sénat dont les réflexions ont été prolongées par la mission confiée à M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, et M. Yves Dagues, ancien président de Groupama, l’enjeu est grand.
Accompagner les acheteurs et autorités concédantes dans leurs projets fait, rappelons-le, pleinement partie de la mission accomplie quotidiennement par l’administration. Si la DAJ apporte, à travers son bureau du conseil aux acheteurs, un appui aux services de l’État et ses établissements publics, la Cellule d’information juridique aux acheteurs publics (CIJAP), rattachée à la direction générale des finances publiques, traite plus de 13 000 questions par an émanant des collectivités territoriales et des services déconcentrés.
La simplification et l’accessibilité du droit de la commande publique ne sont pas les seuls enjeux immédiats auquel il se doit de faire face. Toute aussi prégnante – sinon plus – est la nécessité de mieux garantir la souveraineté et la résilience de notre économie. Cette question stratégique irrigue plus généralement le droit européen de la commande publique, eu égard au récent arrêt Kolin rendu le 22 octobre 2024 par la Cour de justice de l’Union européenne[6]. Celle-ci rappelle que les opérateurs économiques de pays tiers qui non pas conclu d’accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE) n’ont pas un accès garanti aux marchés publics dans l’UE, confirmant la marge de manœuvre des acheteurs et autorités concédantes face à des offres qui seraient présentées par des opérateurs originaires de ces pays tiers.
En outre, plusieurs textes sectoriels, récents ou en cours d’adoption, ont pour objectif de mieux prendre en compte les impératifs liés à la souveraineté ou à la résilience de l’économie. Tel est le cas de l’article 23 de la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire qui précise que les projets relatifs aux installations nucléaires énumérés à l’article 22 peuvent conclure des accords-cadres de travaux, fournitures ou services pour une durée qui peut aller jusqu’à celle du ou des projets concernés. En explicitant ainsi les conditions dans lesquelles les acheteurs peuvent aller au-delà de la durée maximale des accords-cadres prévue au 1° de l’article L. 2125-1 du CCP, il offre davantage de sécurité juridique aux porteurs de ces projets essentiels pour l’autonomie stratégique de l’État.
Le projet de loi relatif à la résilience des activités d’importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier[7] poursuit un objectif comparable en prévoyant que ne sont pas soumis aux règles du CCP relatives à la publicité et à la mise en concurrence les marchés publics et contrats de concession conclus par les opérateurs d’importance vitale portant sur les structures, équipements, systèmes, matériels, composants ou logiciels nécessaires à la protection des infrastructures critiques ou dont le détournement de l’usage porterait atteinte aux intérêts essentiels de l’État, en cohérence avec la jurisprudence de la CJUE[8]. Sera ainsi sécurisée la possibilité – certes préexistante mais dont les acheteurs craignent parfois d’user – de recourir à des opérateurs recourant à des technologies numériques souveraines, par exemple en raison des garanties d’immunité qu’ils présentent vis-à-vis de législations étrangères à portée extraterritoriale ou de la transparence technologique sur laquelle les technologies utilisées reposent.
L’article 25 du règlement 2024/1735/UE[9] dit « NZIA devrait, lui aussi, progressivement permettre de mieux prendre en compte ces impératifs dans le cadre des marchés publics et contrats de concession d’un montant supérieur aux seuils européens et intégrant certaines technologies dites « zéro net » (par exemple solaire, hydroélectrique, à l’énergie nucléaire de fission, biogaz…). Deux mesures retiennent plus particulièrement l’attention :
- Depuis le 29 juin 2024, les acheteurs et autorités concédantes doivent prévoir dans leurs contrats, au choix, certaines obligations. Parmi celles-ci figure notamment l’obligation pour le titulaire de démontrer la conformité avec les exigences en matière de cybersécurité prévu dans le futur règlement sur la cyberrésilience[10];
- De manière plus déterminante encore, lorsque l’approvisionnement de l’Union européenne proviendra, s’agissant d’une technologie donnée, à plus de 50 % de pays tiers[11], ils devront prévoir des clauses s’opposant à ce que plus de 50 % de la valeur de la technologie « zéro net » ou de ses composants proviennent d’un seul et même pays tiers. Cette obligation ne sera applicable qu’une fois l’acte d’exécution prévoyant une liste des produits finaux de technologie « zéro net » et de leurs principaux composants spécifiques adopté.
[1] Voir sur ce point l’étude d’impact du projet de loi.
[2] Reconnu, au niveau de l’Union européenne, par la communication interprétative de la Commission du 5 février 2008 concernant l’application du droit communautaire des marchés publics et des concessions aux partenariats public-privé institutionnalisés (PPPI) et l’arrêt du 15 octobre 2008, Acoset de la Cour de justice de l’Union européenne (C-196/08) et encadré en droit interne par l’avis du Conseil d’État en date 1er décembre 2009 (n° 383264).
[3] Concl. avocat général Mme Stix-Hackl, 11 juill. 2002, § 70.
[4] CJUE, 4 mai 2016, MT Højgaard et Züblin, aff. C‑396/14 ; CJUE, 11 juillet 2019, Telecom Italia SpA, aff. C-697-17 ; CJUE, 26 septembre 2024, Luxone Srl et Consip SpA, aff. C-403/23 et C-404/23.
[5] Rapport d’information de M. M. Bourquin, « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME », n° 82, 14 octobre 2015. S’inscrivant dans la même veine, le rapport de M. B. Ravignon, maire de Charleville-Mézières, remis en mai 2024, préconisait pour ce motif un relèvement du seuil de passation des marchés à procédure adaptée de 100 000 à 250 000 € pour les travaux.
[6] CJUE, gr. ch., 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret AȘ, aff. C-652/22
[7] Ce projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 15 octobre 2024.
[8] CJUE 7 septembre 2023, aff. C-601/21.
[9] Règlement2024/1735/UE relatif à l’établissement d’un cadre de mesures en vue de renforcer l’écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net » et modifiant le règlement (UE) 2018/1724 – dit règlement européen pour une industrie « zéro net », ou « NZIA » (Net-Zero Industry Act) publié le 28 juin 2024.
[10] Les autres options parmi lesquelles l’acheteur ou l’autorité concédante peut choisir consistent en une condition d’exécution relative au domaine social et à l’emploi ou une clause spécifique imposant au titulaire de livrer les technologies zéro-net dans un certain délai.
[11] Ou à plus de 40 % dans le cas où la part d’approvisionnement provenant de pays tiers aurait récemment augmenté.