Réforme des concessions : préserver les particularismes sans uniformiser tous les contrats de la commande publique

Michaël KarpenschifMichaël Karpenschif
Avocat associé
CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
Professeur agrégé de droit public

1) Quel est l’agenda prévu de la réforme des concessions de services et de travaux ?

S’il a été initialement envisagé une transposition par voie législative, l’article 57 du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques habilite désormais le gouvernement à prendre des ordonnances de transposition.

Selon les dernières informations fournies par la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, le calendrier d’adoption de ces ordonnances sera aligné sur celui de la transposition de la directive « marchés ». Une concertation publique portant sur les textes de transposition de la directive « concessions » devrait être lancée en même temps que celle sur les décrets d’application de l’ordonnance relative aux marchés publics. L’entrée en vigueur commune des textes de transposition des différentes directives est prévue au 1er avril 2016, pour respecter le délai de transposition fixé par la directive 2014/23/UE au 18 avril 2016.

2) Quelles sont les grandes lignes de la réforme ?

Depuis l’arrêt de la Cour de justice Telaustria (CJCE 7 décembre 2000, aff. C-324/98), il est acquis que tous les grands principes de la commande publique s’appliquent indifféremment aux marchés et aux concessions. La réforme inscrit dans les textes ces règles jurisprudentielles, tout en préservant les particularités des concessions. En effet, l’objectif de la réforme n’est pas d’uniformiser parfaitement le régime des concessions de travaux et de services sur celui des marchés publics. Ainsi, le principe de « libre administration par les pouvoirs publics » et « la liberté de définition des services d’intérêt économique généraux » sont inscrits dans les premiers articles de la directive (articles 2 et 4). Une plus large place est également faite à l’intuitu personae, ce dont témoigne la faveur donnée à la hiérarchisation des critères de sélection plutôt qu’à leur pondération (article 41 § 3).

Dans cette démarche de codification constructive, l’article 5 de la directive consacre la définition de la concession, reposant sur le « risque d’exploitation ». Cette notion fait l’objet de précisions éclairantes dans le considérant 20 de la directive qui énonce qu’ « un risque d’exploitation devrait être considéré comme étant le risque d’exposition aux aléas du marché, qui peut être soit un risque lié à la demande, soit un risque lié à l’offre, soit un risque lié à la demande et à l’offre ».

La directive procède aussi à une clarification du champ d’application des règles de publicité et de mise en concurrence en légiférant sur les exclusions dégagées de longue date par le juge de l’Union relatives à la coopération verticale et horizontale (not. CJCE 18 novembre 1999, Teckal aff. C-107/98 et CJCE 9 juin 2009, Commission c/ Allemagne, aff. C-480/06). Les prestations intégrées, la coopération public-public sont désormais définies et, dans une certaine mesure, assouplies. À cet égard, l’admission de la participation privée et le recours à un critère chiffré, (en principe 80 % du chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années) pour apprécier le respect de la condition du destinataire de l’activité du prestataire in house sont particulièrement innovants. La transposition de la directive sur ces aspects devra être suivie avec attention, le gouvernement français pouvant toujours faire des choix de transposition plus sévères.

La durée maximum des concessions, fixée à cinq ans, est certainement une nouveauté majeure de la directive vis-à-vis du droit français. Aux termes de l’article 18 de la directive, c’est seulement dans le cas où des investissements sont mis à la charge du concessionnaire que la concession peut être conclue pour une durée supérieure à cinq années. Si le principe de la limitation de la durée des délégations de service public existait déjà en droit français, il n’était inscrit aucune durée plafond. La durée des contrats d’affermage était librement déterminée, sous réserve de l’exigence de remise en concurrence périodique. À l’issue de la transposition, la durée des contrats d’affermage sera limitée à cinq années, sauf à comporter des « îlots concessifs ».

S’agissant des procédures de publicité et mise en concurrence prévues par la directive, elles ne devraient pas remettre en cause radicalement le droit français. En effet, la directive se contente de fixer les garanties minimales de procédure, sans imposer une procédure formalisée obligatoire (article 37). La procédure de mise en concurrence peut être ouverte ou restreinte, négociée ou non. Cependant, les modalités de publicité sont plus élaborées que celles prévues par la loi Sapin. Ainsi, des formulaires types sont prévus pour la publication des avis de concession et des avis d’attribution des concessions (articles 31 et 32). En outre, des délais minimum de réception des candidatures et des offres sont prescrits (article 39).

Enfin, le législateur européen a adopté un embryon de régime d’exécution des concessions, totalement commun avec les marchés publics. Pour l’essentiel, ces dispositions procèdent de la codification des jurisprudences la Cour de justice relatives à la cession des contrats et à la passation des avenants (CJCE 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C 454/06 ; CJCE 13 avril 2010, Wall AG, aff. C-91/08). Toutefois des compléments intéressants sont apportés, notamment sur la définition des modifications substantielles, l’introduction d’un seuil d’admission des modifications et les modalités de résiliation.

3) Quelle sera la nouvelle articulation avec la loi Sapin ?

Le droit français a en quelque sorte précédé le droit de l’Union en imposant, dès 1993, des procédures de publicité et de mise en concurrence préalables à la conclusion des délégations de service public, à la différence des autres pays européens. La directive 2014/23/UE s’inscrit ainsi dans la continuité de la loi Sapin, dont les règles fondamentales demeurent pertinentes. L’article 35 de la directive relatif à la « lutte contre la corruption et prévention des conflits d’intérêts » révèle la convergence entre les deux corpus juridiques. Néanmoins, la réglementation actuelle va nécessairement évoluer et les choix de transposition seront déterminants à ce titre.

La loi Sapin pourrait rester la seule réglementation pertinente en deçà du seuil de 5 186 000 euros, dès lors que la directive n’a pas vocation à s’appliquer à ces concessions. Toutefois, il semble peu évident de faire l’économie d’une réforme globale, indépendamment de la considération du montant des concessions, sur de nombreux aspects. On pense ici à la limitation de la durée, à la définition du in house, au régime d’exécution des concessions…

C’est vers une refonte de la loi Sapin que le gouvernement semble devoir s’orienter, sans qu’il s’agisse pour autant d’une table rase des dispositions nationales appliquées désormais depuis plus de vingt ans.

4) Que devient la délégation de service public ?

Les concessions et les délégations de service public sont deux catégories de contrat distinctes au plan organique et matériel.

Les délégations de service public sont passées par les personnes publiques disposant d’une compétence qu’elles entendent confier à des tiers. Le champ des concessions est plus large, dès lors qu’elles sont conclues par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices, qui peuvent être autant des personnes privées que des personnes publiques. De plus, les concessions de services ne sont pas nécessairement des concessions de service public.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le champ d’application de la directive est limité aux seules concessions d’un montant supérieur à 5 186 000 euros.

Il en résulte que la délégation de service public peut apparaître comme une « sous-catégorie » des concessions à l’égard de laquelle des règles particulières peuvent être édictées. La réforme des concessions de services et de travaux n’anéantit pas le service public « à la française ». Partant, les principes du service public caractériseront la délégation de service public, vis-à-vis des autres contrats de concessions passés par les personnes privées (association, entreprise publique, etc.). Les règles encadrant la passation et surtout l’exécution des délégations, tirées des nécessités du service public et qui ne sont pas prévues par la directive pourront continuer à s’appliquer. Il en sera ainsi du respect de la continuité du service public, du régime des biens ou encore de la résiliation pour motif d’intérêt général.

Pour plus d’informations sur le sujet, retrouvez Michaël Karpenschif lors de notre formation Réforme des concessions de services et de travaux les 13 et 14 octobre à Paris.

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