La loi Sapin II et la commande publique : quelques apports et des réformes annoncées…

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

 

Quelques mois après la transposition en droit français des directives européennes de 2014, l’actualité de la commande publique demeure active, avec la récente publication de la très attendue loi Sapin II[1], qui ouvre la voie à une nouvelle évolution en la matière en autorisant le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance à l’adoption de la partie législative du Code de la commande publique dans un délai de vingt-quatre mois à compter de sa promulgation (article 38).

Si cet objectif est tenu, la France aura enfin réussi à rassembler en un seul instrument juridique – du moins pour la partie législative – la totalité de son droit de la commande publique qui était, jusqu’à l’année dernière, éparpillé dans une multitude de textes différents.

Au-delà de cet appel à la codification, la loi Sapin II comporte trois articles relatifs à la commande publique.

L’article 39 ratifie l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (ci-après « l’ordonnance marchés publics » ou «l’ ordonnance ») tout en l’amendant sur certains points. Cet article est issu d’un amendement du gouvernement, alors que celui-ci avait également déposé devant le Sénat un projet de loi de ratification de l’ordonnance qui avait fait l’objet d’un premier examen en commission des lois. Il semble que l’accélération du processus de ratification soit liée au souci de ne pas laisser trop longtemps les dispositions de l’ordonnance sous le statut de normes réglementaires.

L’article 40 ratifie sans modification l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (« l’ordonnance concessions »). Cet article procède également d’un amendement gouvernemental.

Enfin, l’article 41 modifie des dispositions du Code de la voirie routière relatives aux marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Outre quelques rectifications et précisions rédactionnelles, les modifications apportées par la loi Sapin II à l’ordonnance marchés publics s’articulent autour de trois axes. Il s’agit principalement et classiquement de favoriser l’accès des PME à la commande publique, d’essayer de simplifier les procédures de passation des marchés et de préciser le régime des marchés de partenariat.

De façon moins convenue, la loi Sapin II ouvre la voie à une certaine transparence en matière de gestion du domaine public, dans le sillage de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

  1. Le soutien aux PME

Dans sa version initiale, l’ordonnance marchés publics permettait la présentation d’offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. Cette disposition ouvrait une voie béante pour contourner les objectifs poursuivis par l’obligation d’allotissement. Elle permettait aux grosses entreprises de profiter de leur taille critique pour proposer des « prix de gros » et bénéficier ainsi d’un avantage concurrentiel insurmontable par rapport aux PME.

Contre l’avis du gouvernement, cette brèche a été refermée par le rétablissement, à l’article 32 de l’ordonnance, de l’obligation d’apprécier les offres lot par lot en toutes circonstances. Entre l’objectif de faire baisser le coût de la commande publique et celui de favoriser son accès aux PME, le législateur a tranché.

Les parlementaires ont également amendé le II du même article de l’ordonnance pour renforcer la règle de l’allotissement en imposant à l’acheteur public qui choisit d’y déroger de justifier son choix en « énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ».

Dans sa version initiale, l’ordonnance renvoyait au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités de cette motivation, mais l’article 12 du décret n°2016-630 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics s’était contenté de préciser les documents dans lesquels cette motivation devait figurer.

Bien que les travaux préparatoires à cette modification de l’ordonnance, qui sont à rechercher dans les débats de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance[2] soient brefs, l’objectif n’en est pas moins évident : il s’agit d’obliger les acheteurs à formuler une motivation substantielle dans l’espoir, sans doute, de les dissuader de céder trop facilement à la tentation de ne pas allotir.

Les « considérations de droit » ne peuvent être que celles de l’article 32 de l’ordonnance qui fixent les quatre cas dans lesquels l’acheteur peut décider de ne pas allotir : (i) impossibilité d’identifier des prestations distinctes dans le marché ou (ii) impossibilité pour l’acheteur d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination des différents lots du marché ou (iii) dévolution du marché en différents lots de nature à restreindre la concurrence ou encore (iv) allotissement risquant de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations.

Les « considérations de fait » correspondent pour leur part aux éléments concrets de nature à établir que l’acheteur se trouve dans l’une de ces situations. Si son efficacité pour faciliter l’accès des PME aux marchés publics reste à démontrer, l’avantage de cette disposition est de fixer, au bénéfice de la sécurité juridique, une ligne de conduite assez claire pour les acheteurs publics qui estiment ne pas pouvoir allotir et doivent, en conséquence, le motiver.

  1. La simplification des procédures de passation

De manière attendue, les acheteurs publics pourront désormais accepter une simple déclaration sur l’honneur des candidats en guise d’attestation d’absence d’interdiction de soumissionner en raison d’une condamnation au titre de dispositions du Code pénal ou de sanctions prévues par le Code du travail (article 45 de l’ordonnance marchés publics).

Cette modification a pour objet de faciliter le travail des acheteurs en les dispensant de devoir demander à l’autorité judiciaire un extrait du casier judiciaire des candidats (quand ce n’était pas aux candidats eux-mêmes de le faire, ce qui est impossible pour les entreprises, qui ne peuvent pas se voir délivrer d’extrait de leur casier judiciaire).

Sous la rédaction énigmatique consistant à supprimer « la section 1 du chapitre II du titre II de la première partie » de l’ordonnance, les parlementaires ont par ailleurs supprimé l’article 40 de l’ordonnance qui prévoyait l’obligation de réaliser une évaluation préalable du mode de réalisation du projet lorsque celui-ci est supérieur à 100 millions d’euros hors taxes.

Il s’agissait pourtant de l’une des innovations les plus intéressantes de l’ordonnance dans sa version initiale. Une telle obligation est maintenue lorsque l’acheteur décide de recourir à un marché de partenariat (article 74 de l’ordonnance) dans une rédaction coordonnée avec la suppression de l’article 40.

On peut penser que l’objectif d’une telle suppression n’est pas totalement déconnecté de la volonté de limiter, en creux, le recours aux marchés de partenariat. L’obligation d’évaluer ex-ante les marchés de partenariat donnera à leurs contempteurs l’occasion de démontrer qu’ils sont coûteux pour les finances publiques, tandis que l’absence d’évaluation préalable des marchés publics classiques permettra de laisser croire, parfois à tort, que ceux-ci sont sans conséquence sur les finances publiques !

  1. Des précisions sur le régime des marchés de partenariat

Sur la question toujours sensible des marchés de partenariat, les parlementaires ont d’abord amendé l’article 69 de l’ordonnance pour prévoir que, lorsque l’acheteur confie tout ou partie de la conception des ouvrages au titulaire du marché, les « conditions d’exécution du marché doivent comprendre l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception des ouvrages et du suivi de leur réalisation ». L’objectif est de renforcer l’indépendance de la maîtrise d’œuvre, garantie de la qualité technique et architecturale d’un projet de construction.

Les parlementaires ont ensuite aligné le régime de l’indemnisation des titulaires de marchés de partenariat dont les contrats feraient l’objet d’une annulation ou d’une résiliation judiciaire sur celui des concessionnaires se trouvant dans le même cas.

Dans cette hypothèse, les titulaires de ces contrats ont en principe droit, selon la jurisprudence, à l’indemnisation des dépenses qu’ils ont engagées avant la disparition de leur contrat et qui ont été utiles à la personne publique.

Pour tenir compte des particularités de financement des concessions et des marchés de partenariat, les ordonnances marchés publics et concessions avaient prévu que les frais liés aux financements mis en place par le titulaire en exécution de son contrat seraient, sous certaines conditions, intégrés dans les dépenses utiles et donc indemnisables. Sur ce sujet, la jurisprudence était en effet incertaine.

La modification apportée sur ce point par la loi Sapin II procède à un alignement du régime mis en place pour les marchés de partenariat sur celui qui s’applique aux concessions. Il présente l’avantage de rendre possible l’indemnisation de toutes les formes de frais de financement, pas seulement ceux résultant de prêts bancaires, et d’inclure également, s’il y a lieu, les coûts afférents aux instruments de financement et résultant, pour le titulaire du marché de partenariat, de la fin anticipée du contrat.

L’alignement rédactionnel de l’article 89 de l’ordonnance marchés publics sur l’article 56 de l’ordonnance concessions présente en revanche l’inconvénient de sembler réserver l’indemnisation des frais de financement à l’hypothèse d’une annulation ou d’une résiliation judiciaire résultant du recours d’un tiers. En d’autres termes, comme pour les concessionnaires, les titulaires de marchés de partenariat ne pourraient pas demander le bénéfice de ce dispositif si la disparition de leur contrat résulte d’un recours introduit par eux-mêmes ou l’un des cocontractants.

À notre avis, cette interprétation par a contrario est sujette à caution et nous ne voyons pas pourquoi, en cas d’annulation ou de résiliation du contrat à la demande d’une partie, les frais de financement ne pourraient pas être indemnisés s’ils ont été utiles à la collectivité. Il est regrettable que l’alignement de l’article 89 sur l’article 56 ait donc conduit à exporter une imprécision de l’ordonnance concessions dans l’ordonnance marchés publics.

En revanche, malgré l’insistance du Sénat, les députés ont refusé de rendre le cautionnement obligatoire dans le cadre des marchés de partenariat pour prévenir les défauts de paiement des sous-traitants par le titulaire du marché.

Les sénateurs estimaient que certaines petites entreprises peuvent se montrer réticentes à demander que soit constitué un tel cautionnement à leur bénéfice, de crainte de se voir évincer. Cette mesure additionnelle destinée à protéger (parfois malgré elles) les PME serait venue ajouter une couche de formalités obligatoires à un contrat déjà administrativement lourd ; il est donc heureux qu’elle n’ait pas été retenue.

  1. Autres dispositions modifiées de l’ordonnance marchés publics

Dans sa version initiale, l’article 52 de l’ordonnance prévoyait que l’offre économiquement la plus avantageuse s’appréciait au regard « d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution ».

L’acheteur public était donc libre de recourir à un critère unique sans justification particulière, dès lors que ce dernier répondait aux conditions générales précitées. Mais le II de l’article 62 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics a encadré les conditions de recours à un critère unique, qui ne peut être que le prix « à condition que le marché public ait pour seul objet l’achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d’un opérateur économique à l’autre » ou le coût « déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie ».

En prévoyant, à l’article 52 de l’ordonnance, que « l’attribution sur la base d’un critère unique est possible dans des conditions fixées par voie réglementaire », le législateur a voulu donner un fondement légal à cet encadrement déjà prévu par décret, en particulier pour les marchés des collectivités territoriales.

La loi Sapin II modifie également l’article 53 de l’ordonnance marchés publics pour imposer aux acheteurs publics de  mettre en œuvre « tous moyens pour détecter les offres anormalement basses [leur] permettant de les écarter ». Cette formulation est particulièrement évasive… de telle sorte que l’amendement ne peut être compris que comme un amendement d’appel destiné à obliger le gouvernement à préciser les obligations des acheteurs publics en matière de détection des offres anormalement basses.

On observera enfin que, comme en avril dernier pour le décret n°2016-630 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, la loi Sapin II est d’entrée en vigueur immédiate ; les modifications de l’ordonnance s’appliquent en effet aux marchés publics pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication depuis le 11 décembre dernier[3]. On ne peut que déplorer – une fois encore – qu’il n’ait pas été laissé un délai raisonnable aux acheteurs publics et aux candidats pour assimiler les mutations d’une législation aussi complexe.

5. Vers une certaine transparence en matière de gestion domaniale

La loi Sapin II autorise par ailleurs le gouvernement (article 34) à introduire par ordonnance, dans un délai de douze mois, des obligations de transparence et de mise en concurrence en matière d’attribution d’autorisations d’occupation domaniale.

Il s’agit, on le sait, d’un véritable serpent de mer du droit public, l’octroi de simples autorisations d’occupation du domaine public n’étant pour l’instant soumis à aucune obligation de publicité, ni de mise en concurrence, alors même que les bénéficiaires de ces autorisations peuvent en retirer un avantage économique[4].

Le droit français ne peut toutefois plus ignorer les conséquences de l’arrêt du 14 juillet 2016 de la CJUE[5] par lequel la Cour a condamné une pratique italienne consistant à proroger automatiquement des autorisations d’occupation du domaine public en l’absence de toute procédure de publicité.

Le gouvernement devra donc utiliser cette habilitation législative pour aligner le droit national sur les exigences posées par la CJUE, ce qui promet d’intéressants débats entre les tenants d’une plus grande transparence dans la gestion domaniale et ceux qui redoutent les effets potentiellement pervers d’une nouvelle strate de formalisme administratif.

 

Emmanuelle-MignonEmmanuelle Mignon
Avocat Associé
August Debouzy

 

 

Vincent-BrenotVincent Brenot
Avocat Associé
August Debouzy

 

 

 

 

[1]Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

[2] Rapport n°477 du 16 mars 2016 du sénateur André Reichardt.

[3] Ces modifications ne s’appliquent toutefois pas aux marchés passés sur le fondement d’un accord-cadre ou dans le cadre d’un système d’acquisition dynamique lorsque la procédure en vue de la passation de cet accord-cadre ou de la mise en place de ce système d’acquisition dynamique a été engagée avant cette date.

[4] CE Sect., 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, req. n°s338272 et 338527.

[5] CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl et Mario Mélis e.a, aff. C 458/14 et C 67/15.

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