Pas (encore?) de jurisprudence « Béziers II bis »

Pas (encore?) de jurisprudence « Béziers II bis »

Le Conseil d’Etat confirme qu’une partie à un contrat administratif ne peut saisir le juge du contrat afin que celui annule une mesure d’exécution autre qu’une décision de résiliation dans son arrêt du 15 novembre 2017, Sté Les Fils de Mme Géraud, n° 402794.

 

Quels sont les pouvoirs du juge administratif face à un contrat public ?

Il ressort d’une jurisprudence relativement ancienne qu’il n’appartient pas au juge du contrat d’annuler les mesures prises par l’administration dans le cadre de l’exécution des contrats administratifs (CE, 9 janvier 1957, Daval, n° 23954 ; CE, 24 septembre 1972, Sté des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, n° 84054).

Son office doit donc, en principe, se limiter à l’éventuelle condamnation de l’administration à indemniser le cocontractant qui aurait subi des préjudices ensuite des mesures prises unilatéralement par l’administration.

Cette règle n’a toutefois jamais été absolue et le Conseil d’Etat a eu l’occasion de prévoir certaines exceptions.

Ainsi, le juge du contrat pouvait annuler les décisions de résiliation des contrats de longue durée ayant pour objet la réalisation et l’exploitation d’ouvrages nécessitant des investissements important, par exemple, certains contrats de concessions (CE, 26 novembre 1971, SIMA, n° 75710, publié au recueil Lebon ; CE, 9 décembre 1983, SEPAD, n° 34607, publié au recueil Lebon), et des contrats d’occupation du domaine public (CE, 13 juillet 1968, Sté Etablissement Sarfati,n° 73161, publié au recueil Lebon).

Par ailleurs, concernant les contrats passés entre des personnes publiques pour l’organisation d’un service public, le juge du contrat pouvait procéder à l’annulation de mesures d’exécution, sans se limiter aux seules mesures de résiliation (CE, 31 mars 1989, Département de la Moselle, n° 57000 et 60384, publié au recueil Lebon ; CE, 13 mai 1992, Commune d’Ivry-sur-Seine, n° 101578, publié au recueil Lebon).

 

Un développement de l’office du juge ?

Ce développement de l’office du juge du contrat s’est nettement accéléré au début du XXIème siècle.

Ainsi, en tant que juge de la validité des contrats administratifs, saisi non seulement par les parties au contrat (CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802, publié au recueil Lebon – « Béziers I ») ou un concurrent évincé (CE, 16 juillet 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation, n° 294545, publié au recueil Lebon) mais également par tout tiers susceptible d’être lésé (CE, 4 avril 2014, Département Tarn et Garonne, n° 358994, publié au recueil Lebon), le juge des contrats peut désormais sanctionner certaines irrégularités, liées au contenu du contrat ou aux conditions de son attribution, en enjoignant aux parties de prendre de mesures de régularisation, ou en prononçant la résiliation voir l’annulation du contrat.

Par ailleurs, saisi par une partie au contrat, le juge du contrat peut également annuler une décision de résiliation d’un contrat administratif et enjoindre aux parties de reprendre leurs relations contractuelles (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, publié au recueil Lebon – « Béziers II »).

Enfin, saisi par un tiers, le juge du contrat peut annuler le refus de l’administration de faire droit à une demande de mettre fin à l’exécution du contrat et prononcer cette résiliation (CE, 30 juin 2017, SMPAT, n° 398445, publié au recueil Lebon).

Fort de cette « dynamique » jurisprudentielle, certains tribunaux administratifs n’ont pas hésité à étendre la jurisprudence « Béziers II » aux modifications unilatérales par l’administration des contrats administratifs, estimant que « eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution », le cocontractant de l’administration pouvait demander au juge du contrat d’annuler une telle mesure et de rétablir l’état antérieur du contrat (TA Lille, 20 février 2013, Sté Eaux du Nord, n° 1005463 ; TA Bastia, 5 décembre 2013, Sté Yachting Club de Sant Ambroggio, n° 1200179 ; TA Paris, 7 juillet 2014, Sté Les Fils de Madame Géraud, n° 1310033).

Toutefois, les juges d’appel se sont montrés bien plus réticents face à une telle évolution et ont refusé de valider cette extension ambitieuse de la jurisprudence « Béziers II » (CAA Nancy, 13 février 2014, Sté Véolia, n° 13NC00578 ; CAA Lyon, 13 novembre 2014, ERDF, n° 13LY00657 ; CAA Paris, 28 juin 2016, Sté Les Fils de Mme Géraud, n° 14PA03906) et, a fortiori, aux simples mesures d’exécution (CAA Bordeaux, 14 avril 2015, SA Sources et SAS Sotec Travaux publics, n° 13BX02045 : à propos d’une décision de l’administration de mettre en demeure un groupement d’entreprises d’établir son décompte général).

 

Une extension de Béziers II rejetée par le Conseil d’État ?

La décision du Conseil d’Etat qui nous intéresse (CE, 15 novembre 2017, Sté Les Fils de Mme Géraud, n° 402794) semble mettre (à tout le moins temporairement) un terme aux velléités d’extension de la jurisprudence « Béziers II ».

En l’espèce, le Centre national d’art et de cultures Georges Pompidou avait décidé, unilatéralement, de réduire le périmètre d’une concession pour l’exploitation d’un parc de stationnement.

Le Conseil d’Etat confirme que les décisions de résiliation sont les seules mesures d’exécution d’un contrat administratif dont la validité peut être remise cause devant le juge du contrat ; les autres mesures d’exécution ne peuvent être annulées par le juge du contrat qui pourra seulement, le cas échéant, condamner l’administration à indemniser son cocontractant du préjudice qui lui aurait été causé par ces mesures d’exécution.

A la lecture des conclusions du rapporteur public dans cette affaire, il apparaît que le refus d’étendre la jurisprudence « Béziers II » repose essentiellement sur des motifs d’opportunité. D’une part, le souci de ne pas entraver l’organisation et le bon fonctionnement du service public. D’autre part, des doutes quant à l’efficacité d’une action en rétablissement de l’état antérieur du contrat, alors même que les modifications d’un contrat administratif ouvrent droit pour le cocontractant de l’administration à une indemnisation intégrale de son éventuel préjudice et que le recours « Béziers II » s’est révélé d’une efficacité assez faible.

Enfin, et en tout état de cause, l’éventuelle extension de la jurisprudence « Béziers II » ne pourrait concerner toutes les mesures d’exécution des contrats administratifs et devrait se limiter aux seules modifications des contrats. Or, la distinction entre simples mesures d’application et mesures de modification pourrait, dans certains cas, s’avérer bien délicate.

 

Yann Simonnet, Avocat, Cabinet Cheysson Marchadier & Associés
http://www.cheyssonmarchadier.com/yann-simonnet
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