Marchés publics et concessions « exclus » : un code de la commande publique à droit constant ?

[vc_row][vc_column][vc_column_text]À quelques mois de son entrée en vigueur, les acteurs de la commande publique ne peuvent que saluer l’adoption du Code de la commande publique (CCP) qui constitue une avancée certaine. Codification à droit constant oblige, il ne devait, en principe, guère soulever d’interrogations majeures.

Quelques incertitudes sont toutefois apparues s’agissant notamment de la question de savoir si les marchés publics et les contrats de concession habituellement dits « exclus » sont soumis au respect des principes fondamentaux de la commande publique : liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures.

Les contrats dits « exclus » sont les contrats qui, tout en répondant à la définition des marchés publics ou des concessions, n’étaient pas soumis aux dispositions des ordonnances n°2015-899 du 23 juillet 2015 et n°2016-65 du 29 janvier 2016, conformément aux directives « marchés publics » et « concessions » qu’elles transposaient.

La liste des contrats déclarés exclus est relativement étoffée et hétérogène : quasi-régie, coopération entre pouvoirs adjudicateurs, contrats liés à la sécurité ou à la protection d’intérêts essentiels de l’État, contrats conclus avec le titulaire d’un droit exclusif ou encore des contrats portant sur des services spécifiques tels que l’acquisition ou la location d’immeubles, la recherche et développement, l’arbitrage, les contrats d’emprunt etc. Ces contrats ont été repris dans le CCP, mais sont désormais désignés comme les « autres marchés publics » (art. L. 2500-1 et suivants) ou les « autres contrats de concession » (art. L. 3200-1 et suivants).

Le CCP ayant prévu quelques dispositions spécifiques applicables à l’exécution de ces contrats (sous-traitance, délais de paiement, facturation électronique…), ils ne peuvent désormais pas être regardés comme totalement exclus du champ d’application du code.

En revanche, s’agissant des règles de passation desdits contrats, le CCP ne comporte pas de dispositions expresses de même nature et la question se pose donc de savoir si les principes généraux de la commande publique ont vocation à s’appliquer. Cette question, certes pas nouvelle, est particulièrement d’actualité avec l’adoption du CPP puisque le Conseil d’État a souhaité, selon les termes du rapport de présentation de l’ordonnance n°2018-1074 du 26 novembre 2018, ajouter un titre préliminaire afin de rappeler un certain nombre de grands principes applicables à l’ensemble des contrats de la commande publique et ce, indépendamment des règles précises qui régissent la passation et l’exécution des marchés publics et des contrats de concession.

Parmi ces grands principes, l’article L. 3 du CCP dispose que : « Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».

Ces dispositions ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des contrats de la commande publique, on ne peut que se (ré)interroger sur l’application des principes fondamentaux visés à l’article L. 3 aux « autres marchés » et « autres contrats de concession » auparavant « exclus » ainsi que sur les conséquences susceptibles d’en résulter pour la passation de ces contrats.

Le CCP vient-il consacrer l’application des principes généraux de la commande publique aux contrats auparavant « exclus » ?

La question de la soumission des contrats « exclus » aux principes généraux de la commande publique n’est pas née avec l’adoption du CCP. Sous l’ancien Code des marchés publics, on pouvait déjà se demander si les grands principes mentionnés à l’article 1er devaient s’appliquer aux marchés exclus de l’article 3. De la même manière, l’application des principes généraux rappelés à l’article 1er des ordonnances du 23 juillet 2015 et du 29 janvier 2016 aux marchés et concessions exclus du champ des ordonnances pouvait prêter à interrogation.

Avant l’adoption du CCP, les contrats « exclus » étaient-ils soustraits des principes généraux de la commande publique ?

L’article 1er des ordonnances marchés et concessions faisant formellement partie des dispositions des ordonnances déclarées expressément inapplicables aux contrats en cause, une interprétation littérale pouvait plaider en faveur de l’exclusion totale.

Si cette question est restée assez longtemps incertaine, la cour administrative d’appel de Paris avait toutefois pu estimer dès 2014 que les marchés relevant d’une exclusion alors prévue par l’article 3 / 7° du Code des marchés publics de 2006, devaient pour autant donner lieu au respect des principes de la commande publique et, dès lors, à des mesures de publicité (CAA Paris, 17 mars 2014, Sociétés Elektron et Foretec, n°12PA00199).

La seule circonstance que les dispositions de l’ancien Code des marchés publics – n’ayant qu’une portée réglementaire – n’étaient pas applicables au marché en cause n’était donc pas, par elle-même, de nature à exonérer le pouvoir adjudicateur du respect des principes fondamentaux de la commande publique qui ont une valeur constitutionnelle (décision n°2003-473 DC du 26 juin 2003 ; n°2008-567 DC du 24 juillet 2008).

Dans le même sens, la Cour de justice de l’Union européenne avait pu juger que les marchés non soumis aux directives n’échappaient pas, pour autant, à l’application des principes généraux du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (CJUE, 16 avril 2015, SC Entreprise Focused Solution SRL, aff. C-278/14).

Surtout, plus récemment, le Conseil d’État a expressément pris position en faveur de l’application des principes généraux de la commande publique à des contrats exclus du champ d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 (CE, 5 février 2018, Centre national d’études spatiales, n°414846) et de celle du 29 janvier 2016 (CE, 15 décembre 2017, Synd. Mixte de l’aéroport de Lannion-Côte de Granit, n°413193).

Avant l’adoption du CCP, on pouvait donc déjà déceler la volonté du juge administratif d’appliquer les principaux fondamentaux de la commande publique à la passation des marchés publics et concessions « exclus ».

Aujourd’hui, en inscrivant les principes généraux de la commande publique au sein d’un titre préliminaire spécifique qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble des contrats de la commande publique, le CCP nous semble consacrer définitivement cette tendance. Le rapport au Président de la République prend d’ailleurs le soin de relever que : « À l’occasion de l’examen du code de la commande publique par le Conseil d’État, celui-ci a tenu à souligner la nécessité d’appeler l’attention des acteurs de la commande publique sur le fait que, conformément à la jurisprudence, ces principes peuvent trouver à s’appliquer, selon des modalités qu’il leur appartient de définir, à la passation de certains contrats alors même que le code ne fixe, en ce qui les concerne, aucune règle précise. »

Tous les « autres marchés publics » et « autres contrats de concession » non soumis aux règles de passation du CCP seront-ils soumis de la même manière aux principes généraux de la commande publique ?

S’il ne fait aujourd’hui plus de doute que les principes fondamentaux de la commande publique ont vocation à s’appliquer aux contrats auparavant « exclus » du champ du droit des marchés publics et des concessions, le CCP ne vient cependant pas lever toutes les incertitudes que nous pouvions déjà avoir : certains « autres marchés » ou « autres contrats de concession » sont-ils dispensés du respect des principes fondamentaux ? Si oui, lesquels ?

Compte tenu de la diversité de ces contrats et des raisons justifiant leur absence de soumission aux dispositions générales du CCP relatives notamment à la passation, il semble délicat de tous les soumettre, de manière similaire, aux principes généraux de la commande publique. En ce sens, le rapport au Président de la République souligne d’ailleurs que « ces principes peuvent trouver à s’appliquer […] à la passation de « certains contrats ».

La frontière entre les contrats totalement exonérés d’une mise en concurrence et ceux qui sont soumis aux principes généraux de la commande publique est délicate à établir et nécessitera, nous semble-t-il, une analyse au cas par cas dont il est, pour le moment, difficile à établir les contours.

Faute de prestations substituables, on pourrait par exemple envisager que les contrats portant sur des droits exclusifs ou sur l’acquisition d’immeubles soient totalement exonérés de publicité et de mise en concurrence.

En revanche, l’absence totale de mise en concurrence pourrait sembler beaucoup plus discutable s’agissant de la passation de contrats portant sur des services substituables tels que notamment les services relatifs à la recherche et développement, les contrats qui doivent s’accompagner de mesures particulières de sécurité ou encore les contrats d’emprunt.

Qu’en serait-il pour les contrats passés dans le cadre de relations internes au secteur public (quasi-régie, coopération publique-publique, entreprise liée) ? Et pour la passation des marchés de services juridiques de représentation en justice, prochainement « exclus » (cf. projet de loi relatif à la suppression des surtranspositions des directives européennes) ? Selon l’avis du 27 septembre 2018 rendu par le Conseil d’État sur ce texte, ces marchés pourraient être conclus librement « par dérogation aux principes fondamentaux de la commande publique »…

Quelles conséquences en tirer pour la passation des « autres marchés » et « autres concessions » soumis au respect des principes fondamentaux de la commande publique ?

Le CCP est totalement silencieux quant aux modalités de passation des « autres marchés » et « autres contrats de concession ». Lors de l’examen du CCP, le Conseil d’État a estimé qu’il appartenait aux acteurs de la commande publique de déterminer, au cas par cas, les règles de publicité et de mise en concurrence à mettre en place pour garantir le respect des principes fondamentaux.

Cette détermination s’avèrera cependant, en pratique, particulièrement délicate, et on peut le regretter : quel degré de mise en concurrence faudra-t-il respecter pour garantir le respect des principes fondamentaux ? À l’instar des achats portant sur des travaux, fournitures ou services innovants qui peuvent désormais être conclus de gré à gré en deçà de 100 000 € (décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique), les acteurs de la commande publique pourront-ils se contenter de choisir une offre pertinente et de ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur ?

Une mise en concurrence sommaire des prestataires potentiels sera-t-elle suffisante ou faudra-t-il envisager un minimum de publicité pouvant impliquer notamment une information sur les critères de sélection des offres ?

Tant de questions auxquelles les acteurs de la commande publique vont être confrontés au quotidien dans l’attente que la jurisprudence vienne préciser le régime de passation applicable à ces « autres marchés » et « autres contrats de concession ». Sans compter qu’à ce jour, les solutions jurisprudentielles sont différentes selon que le contrat en cause est un contrat administratif ou un contrat de droit privé. La Cour de cassation tend en effet à considérer que les marchés publics de droit privé « exclus » ne sont pas soumis aux principes généraux de la commande publique (Cass. soc., 16 janvier 2013, CHSCTCentreHospitaliergénéralJean Rougier de Cahors, n° 11-25.282 ; Cass. soc., 20 novembre 2013, Centre hospitalier universitaire André Benech, n° 12-22.197)…

Quelles clarifications pourrait-on apporter ?

En s’abstenant de définir, d’une part, les contrats qui seraient totalement dispensés du respect des principes fondamentaux de la commande publique et, d’autre part, les modalités de passation des « autres marchés » ou « autres contrats de concession » soumis auxdits principes, le CCP ne permet pas de clarifier les différentes incertitudes qui pouvaient exister auparavant s’agissant du régime juridique applicable aux contrats « exclus ».

Il demeure donc une zone grise qui devra être progressivement levée par la jurisprudence, voire par le législateur. En effet, dans le souci de simplification et de prévisibilité du droit de la commande publique, on pourrait envisager que le législateur décide (par exemple, dans le cadre du projet de loi « surtranspositions » ?) de régler plus en détail le régime des contrats « exclus ». Il s’agirait notamment de préciser les contrats qui sont totalement exclus des obligations de publicité et de mise en concurrence – en ce compris donc des principes fondamentaux – et de définir un régime spécifique pour la passation des « autres marchés » et « autres contrats de concession ».

Aussi, le législateur national pourrait envisager de soumettre certains contrats, considérés aujourd’hui comme « exclus », aux dispositions générales du CCP puisqu’il n’est pas tenu de transposer l’ensemble des exclusions prévues dans les directives « marchés » et « concessions ».

Que certains contrats ne soient pas soumis aux principes fondamentaux de la commande publique, que d’autres soient soumis à un régime de mise en concurrence simplifié afin de garantir le respect desdits principes ou soient pleinement soumis aux dispositions du CCP, le statut des contrats de la commande publique habituellement regardés comme « exclus » mériterait d’être clarifié, dans un souci de plus grande sécurité juridique.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »10px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][ultimate_heading alignment= »left » el_class= »extra-height-bloc-citation » margin_design_tab_text= » »]Thomas Carenzi

Thomas Carenzi
Avocat
CMS Francis Lefebvre Avocats

 

 

 

 

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