Contentieux et crise sanitaire

Rémy Schwartz
Conseiller d’État

L’année 2019 et le début de l’année 2020 ont connu des développements fort naturels du contentieux. Parmi les derniers en date, citons, pour les amateurs de la commande publique, le contentieux de la contestation de la validité de contrats conclus sur la base d’une entente et ainsi entachés d’un dol, le point de départ des délais de prescription étant la connaissance effective de ce dol à raison de sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence.

Ce cours naturel du contentieux a été brutalement interrompu en mars dernier avec le confinement. Les juridictions se sont trouvées confrontées à l’impossibilité de tenir normalement des audiences publiques.

Or, depuis la Révolution française, le caractère public des audiences est un principe de fonctionnement des juridictions. Une quasi-paralysie pouvait en découler. Pour autant, le service public de la justice devait continuer à fonctionner. En quelques jours, les juridictions administratives se sont organisées en conséquence.

Aucune juridiction n’a fermé pendant le confinement. Tous les recours ont continué à être enregistrés et les séances de jugement indispensables ont été tenues. Eu égard à l’impossibilité de fonctionner normalement, décision a été prise de donner la priorité aux référés.

Les audiences jugées nécessaires ont été tenues en limitant drastiquement le nombre de personnes présentes et en adoptant toutes les précautions alors possibles.

Tout le monde a pu relever l’explosion du nombre de référés. Chacun a pu se tourner vers le juge, saisi des questions les plus sérieuses, telle la répartition des pouvoirs de police entre l’État et les élus locaux en situation d’état d’urgence sanitaire, mais saisi aussi de questions plus farfelues.

En cette période exceptionnelle, nous avons vu des citoyens, estimant détenir LA vérité ou LA solution, se tourner vers le juge administratif des référés pour suppléer ce qu’ils estimaient être une faillite des médecins, des hôpitaux ou du Gouvernement. Le juge administratif du référé-liberté, qui ne peut prononcer que des mesures urgentes dont la mise en œuvre ne peut être qu’immédiate, normalement à un horizon de 48h, a ainsi été saisi d’une demande, émanant d’universitaires, normalement les plus sérieux, tendant à ce qu’il ordonne la nationalisation d’entreprises pour fabriquer des masques… Le contexte leur faisant perdre toute raison, ils en avaient oublié que seul le Parlement peut décider de nationalisations, que le juge ne peut se substituer aux élus de la Nation et au Gouvernement et qu’il ne peut en référé ordonner que des mesures immédiates.

D’autres, convaincus d’avoir raison contre tous, voulaient que le juge unique écarte en référé toutes les études scientifiques disponibles, les avis des sachants et toutes les procédures légales pour enjoindre aux pouvoirs publics, en s’affranchissant de la règle de droit, de distribuer à tous de la chloroquine. Drôle de période…

Outre la gestion de référés dont le nombre a explosé, les juridictions ont immédiatement mis en œuvre le télétravail. Il n’était pas question que les dossiers s’accumulent. Chacun a continué son travail pour préparer la sortie du confinement. Les dossiers ont été traités par les rapporteurs, les réviseurs ont réexaminé ces dossiers et des séances d’instruction se sont tenues en visio-conférences. Tout a été mis en œuvre pour ne pas accumuler trop de retard.

Dès la sortie du confinement, les séances de jugement programmées ont pu se tenir avec des rôles souvent plus remplis. Le cours normal du travail des juridictions a ainsi repris. Cette normalité n’est cependant pas totale, dès lors que le télétravail continue pour une part et que le port du masque sur le lieu de travail, même pendant les audiences, est requis. Curieuse période….