Marchés publics et normes RSE

Marchés privés de travaux et commande publique

Florent Gadrat
Avocat
LexCase (Paris – Lyon – Marseille)

Pourquoi valoriser les normes RSE dans l’achat public ?

La mise en avant des normes RSE au sein de la commande publique résulte d’un double mouvement.

Du côté des acheteurs, la commande publique ne se résume plus à un simple « acte d’achat ». En effet, la commande publique s’est vu assigner progressivement des objectifs secondaires. En plus d’être efficace économiquement – comme le sous-entend l’expression d’offre économiquement la plus avantageuse -, l’achat public peut être « durable », « innovant », « social » comme l’indique l’article L. 2112-2 du code de la commande publique. Dernièrement, l’article 213 de la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a ajouté un autre objectif à l’achat public en indiquant que les conditions d’exécution des marchés peuvent aussi prendre en compte la politique menée par le titulaire en matière de lutte contre les discriminations.

En résumé, l’acheteur public – à l’image des consommateurs – souhaite que les entreprises avec qui elles contractent agissent de manière responsable et répondent aux enjeux sociaux et environnementaux de notre époque. Ce faisant, l’acheteur public souhaite participer à cet écosystème vertueux de l’achat responsable valorisant les bonnes pratiques d’entreprises et générant des externalités positives pour les salariés, les fournisseurs, l’environnement, etc.

Du côté des entreprises, les normes RSE sont une démarche volontaire visant à rompre avec la logique selon laquelle l’entreprise n’a comme objectif exclusif que la maximisation de son profit, sans autre considération. Les normes RSE tendent au contraire à faire endosser à l’entreprise une « responsabilité sociale ». C’est dans ce mouvement que s’inscrit d’ailleurs la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE apportant deux innovations majeures.

D’une part, l’article 1833 du code civil dispose que, dans leur gestion, les sociétés doivent prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. D’autre part, la faculté d’insérer dans les statuts des sociétés une « raison d’être » – distincte de leur objet social – « constituée des principes dont la société se dote et pour lesquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité » (art. 1835 du code civil).

Ces démarches ont souvent un coût pour les opérateurs (surtout les PME) – mise en place de process, temps consacré à la normalisation de l’entreprise, ressources financières mobilisées pour se transformer -. Dès lors, ils attendent que les outils de la commande publique puissent valoriser ce type de démarche par rapport à leurs concurrents qui seraient restés en dehors de ce mouvement.

Justement, le code de la commande publique prend-il en compte les exigences RSE ?

Sans mentionner explicitement le terme « RSE », le code de la commande publique renvoie à cette notion à trois reprises.

Premièrement, au stade des candidatures, l’arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics autorise les acheteurs à demander aux candidats, pour justifier de leur capacité à exécuter le marché, qu’ils produisent des certificats de qualité permettant de vérifier qu’ils sont conformes à certaines normes. Il appartient par exemple à l’acheteur d’exiger des candidats la fourniture de ce type de justificatifs.

Deuxièmement, au stade du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, le code autorise les acheteurs à avoir recours à des critères évaluant les aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux des offres des candidats (art. R. 2152-7 du code).

Troisièmement, au stade de l’exécution du marché public, l’article L. 2112-2 prévoit que « les conditions d’exécution peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations. »

Dès lors, et au regard de la règlementation, à quelle difficulté juridique sont confrontés les acheteurs pour valoriser les normes RSE ?

Les débats contentieux se focalisent essentiellement sur la notion des critères de choix des offres au regard des normes RSE, parfois appelés de façon plus générique « critères sociaux ».

Les critères RSE, ou « critères sociaux », sont souvent jugés illégaux par le juge administratif. En effet, l’article L. 2152-7 du code de la commande publique indique que les critères doivent être objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution. C’est sur la troisième condition que la jurisprudence sanctionne régulièrement les acheteurs publics en matière de critères sociaux[1].

Malheureusement, on constate que les acheteurs adoptent une mauvaise approche du critère « RSE » dès lors que ce critère est fréquemment formulé de manière trop générale. En l’état actuel, un acheteur public ne peut fixer un critère permettant d’examiner la politique générale des candidats en matière sociale. Ainsi, tous les critères analysant les actions mises en œuvre pour un management responsable à savoir la lutte contre le turn-over, l’emploi des personnes handicapées, l’emploi des séniors, l’égalité ou la parité homme-femme, le mécénat, la politique en faveur d’associations, la politique de mobilité interne sont des critères illégaux.

Quelle solution existe-t-il ?

Deux niveaux de solution peuvent être ici présentés.

En premier lieu, d’un point de vue de la stratégie et de la planification de l’achat, il convient de rappeler que l’article L. 2111-3 du code de la commande publique impose aux acheteurs publics ayant un volume d’achat annuel supérieur à 100 millions d’euros HT d’adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsable. Cet outil de planification doit conduire les acheteurs à déterminer, en amont, les objectifs de politique d’achat comportant notamment des aspects de RSE.

Néanmoins, et comme l’indique le rapport Commande publique responsable : un levier insuffisamment exploité du Conseil économique, social et environnemental, ce plan est largement ignoré des collectivités concernées, puisque seules 3 à 7 % d’entre elle ont engagé le processus[2].

En second lieu, la jurisprudence n’est pas si fermée quant à l’utilisation des critères de type « RSE » à la condition que ce critère soit lié à l’objet du marché ou ses conditions d’exécution. Deux illustrations doivent être ici mise en lumière.

Exemple 1 : le tribunal administratif de Rennes a validé un critère de jugement des offres portant sur « l’approche sociétale et de développement durable et qualité des actions en faveur de l’environnement et de l’insertion », au motif que l’acheteur avait créé une annexe au règlement de la consultation rendant opposable la réponse des candidats en faveur du développement durable et de l’insertion dans le cadre de l’exécution du contrat[3].

Exemple 2 : le Conseil d’État a considéré qu’un critère tenant aux retombées sur l’emploi local était en lien avec une concession portant sur la gestion et l’exploitation d’un port par un département et pouvait légalement être utilisé pour comparer des offres[4]. Ce critère n’est pas irrégulier car il n’implique pas par lui-même de favoriser les entreprises locales, mais bien d’examiner les apports des offres en termes de création d’emplois locaux induits par l’activité objet de la concession.

Si la voie peut sembler étroite pour les acheteurs, elle existe néanmoins.

Quelles sont les perspectives à venir s’agissant des normes RSE dans la commande publique ?

Le rapport du Sénat Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager de juin 2020[5]donne quelques pistes pour une meilleure intégration des normes RSE au sein de la commande publique.

Simplifier les procédures et démarches administratives pour les entreprises s’étant engagées dans une démarche RSE. Dans le cadre de la commande publique, le rapport souhaite qu’une PME ou TPE entreprenant une démarche administrative devrait ne plus être tenue de fournir certaines informations ou pièces justificatives (revenu fiscal de référence, justificatif d’identité, attestation de droit délivrées par les organismes de sécurité sociale) déjà communiquées à l’occasion d’une démarche RSE.

Créer un label « RSE ». Partant du constat que les démarches RSE des candidats ne peuvent pas être des critères d’attribution, le rapport préconise de labelliser les démarches RSE et de les exiger au stade de l’analyse des candidatures. Cette préconisation est commune avec celle formulée par le Conseil économique, social et environnemental.

Améliorer les pratiques des acheteurs en considérant que les outils et leviers au sein du code de la commande publique existent et sont suffisants pour mettre en valeur la démarche RSE des opérateurs.

[1]CE 25 mai 2018, Nantes Métropole, n°417580

[2]Accessible en ligne : https://www.lecese.fr/travaux-publies/commande-publique-responsable-un-levier-insuffisamment-exploite

[3]TA Rennes 21 mai 2019, Société KEOLIS, n°1902087

[4]CE 20 décembre 2019, Société EDEIS, n°428290

[5]Accessible en ligne : http://www.senat.fr/rap/r19-572/r19-572.html