Commande publique et protection de l’environnement

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Evangélia KARAMITROU-MAGUERES
Avocat associé
Landot et associés

Dans quelles mesures la commande publique peut-elle constituer un levier d’action pour la protection de l’environnement ?

En 2020, selon l’Observatoire économique des achats publics, 18 % des marchés publics comprenaient une clause environnementale, contre 6,7 % en 2013.

Ces chiffres, qui démontrent la volonté naissante des acheteurs publics de prendre en compte la protection de l’environnement dans leurs opérations économiques, sont le fruit de nombreuses évolutions législatives et réglementaires qui font aujourd’hui de la commande publique un outil important pour la protection de l’environnement.

La commande publique, levier d’une économie responsable circulaire

Plusieurs textes adoptés ces dernières années attestent de la volonté d’intégrer la protection de l’environnement au sein du droit de la commande publique. Il s’agit notamment de l’objectif prôné par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui développe le concept de commande publique circulaire et incite à la prise en compte du cycle de vie complet des produits. C’est aussi l’objectif affiché par les schémas de promotion des achats publics socialement responsables, créés par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, qui mettent en avant le recyclage, la réutilisation des déchets et le réemploi.

« L’instrumentalisation » de la commande publique pour la promotion de l’économie circulaire s’est d’ailleurs récemment poursuivie avec la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui impose que les biens acquis annuellement par les services de l’État ainsi que par les collectivités territoriales et leurs groupements soient issus du réemploi ou de la réutilisation ou qu’ils intègrent des matières recyclées dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit, sauf en cas de contrainte opérationnelle liée à la défense nationale ou en cas de contrainte technique significative liée à la nature de la commande publique.

Les récentes évolutions législatives témoignent donc de l’importance grandissante de la protection de l’environnement au sein du droit de la commande publique.

La clause environnementale : la prise en compte de la dimension environnementale dans l’exécution des marchés publics

Les nouveaux CCAG, entrés en vigueur le 1er avril 2021, renferment également des innovations en matière de protection de l’environnement puisqu’ils contiennent désormais un paragraphe intitulé « clause environnementale générale » qui prévoit que « les documents particuliers du marché précisent les obligations environnementales du titulaire dans l’exécution du marché ». Ces obligations ont un champ d’application très large puisqu’elles peuvent concerner l’ensemble du cycle de vie des produits ou services acquis. En outre, les CCAG, dans leur nouvelle rédaction, prévoient que les acheteurs doivent procéder, selon des méthodes objectives, à un contrôle effectif des obligations environnementales imposées.

Afin d’orienter les acheteurs publics, les CCAG prévoient une liste non exhaustive d’obligations se rapportant à la protection de l’environnement pouvant être insérées dans le contrat telles que la réduction des prélèvements des ressources, les actions en faveur du réemploi, et de l’intégration de matières recyclées et du recyclage, les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables…

La principale innovation des CCAG réside toutefois dans le fait que le non-respect de ces clauses environnementales est désormais sanctionné puisqu’il est prévu, après mise en demeure, l’application d’une pénalité fixée par les documents particuliers du marché. Reste aux acheteurs publics à ne pas se montrer trop complaisants concernant le montant de cette pénalité afin de donner une véritable force contraignante aux clauses environnementales prévues au sein de leurs marchés publics.

La mobilisation de critères environnementaux pour la passation du contrat

De manière plus générale, l’article L. 2111-1 du Code de la commande publique impose aux acheteurs publics la prise en compte d’objectifs de développement durable dans la détermination de la nature et de l’étendue des besoins. Mais il ne semble s’agir, pour l’instant, que d’une obligation de moyens et non une obligation de résultats, les textes actuelles incitant les acheteurs publics à prendre en compte la dimension environnementale dans leurs achats sans pour autant, pour l’instant, les contraindre à le faire.

L’acheteur public peut toutefois favoriser la dimension environnementale de son achat par le recours à un critère environnemental, l’article R. 2152-7 du Code de la commande public citant d’ailleurs comme exemple de critère « les performances en matière de protection de l’environnement » et la biodiversité. L’acheteur doit toutefois utiliser ces critères avec précaution car il doit toujours veiller à ce qu’ils soient précis et, surtout, liés à l’objet du marché (CE, 25 mai 2018, Nantes Métropole, req. n°417580).

Enfin, le Code de la commande publique permet, sans équivoque, aux acheteurs publics d’évaluer le coût du cycle de vie du produit, du service ou de l’ouvrage. Le critère du coût du cycle de vie implique d’évaluer deux aspects : d’une part, le coût global, correspondant à l’ensemble des coûts directs supportés par l’acheteur ou par d’autres utilisateurs (tels que les coûts liés à l’acquisition, à l’utilisation, à la maintenance et la fin de vie comme les coûts de collecte et de recyclage) et, d’autre part, les coûts imputés aux externalités environnementales liés au produit, au service ou à l’ouvrage pendant son cycle de vie.

Bien que très ambitieux, le critère du coût du cycle de vie n’a qu’un impact limité, les acheteurs publics étant réticents à recourir à ce critère. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les acheteurs aient rarement recours à ce critère puisqu’il implique d’indiquer, dans les documents de la consultation, la méthode d’évaluation du coût du cycle de vie, cette méthode devant s’appuyer sur des paramètres non discriminatoires, vérifiables de façon objective et accessibles à toutes les personnes intéressées. Or, à part dans de rares domaines comme l’achat de véhicules terrestres, il n’existe pas de méthode de calcul commune et accessible à tous les opérateurs d’un secteur.

En pratique, l’impact des critères environnementaux reste limité puisque rares sont les acheteurs publics à y avoir régulièrement recours et, surtout, lorsqu’ils y ont recours, leur pondération reste souvent assez faible. Le projet de loi Climat-Résilience pourrait cependant changer la donne puisqu’il qui propose de modifier l’article L. 2152-7 du Code de la commande publique en imposant le recours à un critère environnemental.

Les marchés verts : le succès mesuré des marchés de performance énergétique

Un autre moyen de participer au verdissement de la commande publique est de conclure des contrats dits « verts », c’est-à-dire dont l’objet a une dimension environnementale. Le cas des marchés de performance énergétique mérite notre attention. Issus d’une directive européenne du 5 avril 2006 relative à l’efficacité énergétique, leur objectif est de réduire la consommation d’énergie des bâtiments et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Ce type de contrats, prévus à l’article L. 2171-3 du Code de la commande publique, sont des marchés globaux qui permettent d’associer l’exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations en contrepartie de la fixation d’objectifs énergétiques chiffrés que se doivent de respecter les entreprises attributaires. Le recours à ce type de montage contractuel nécessite de veiller à définir des objectifs, notamment en termes de niveau d’activité, de qualité de service, d’efficacité énergétique ou d’incidence écologique, qui doivent être mesurables.

Naturellement, le non-respect de ces objectifs doit être sanctionné par des pénalités prévues dans les clauses du marché pour permettre à ce type de montage d’être véritablement efficient d’un point de vue environnemental.

Le caractère contraignant de ces outils les rend très efficaces pour réduire les dépenses énergétiques. Cependant, malgré une augmentation constatée par l’Observatoire des contrats de performance énergétique, leur utilisation reste encore relativement marginale.

Quelles évolutions ?

Le droit de la commande publique s’affirme donc comme un relais économique efficace de la protection de l’environnement. Si les réformes de ces dernières années marquent une véritable avancée, il faut désormais que les acheteurs publics s’approprient davantage les outils mis à leur disposition pour ancrer définitivement la dimension environnementale dans la pratique des marchés publics.

Il ne fait d’ailleurs aucun doute que de futures réformes viendront à nouveau encourager (voire peut-être contraindre) les acheteurs publics à prendre en compte la protection de l’environnement lors de leurs achats. A cet effet, la rédaction définitive du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets s’annonce déterminante.

Il conviendra également de scruter les prochaines annonces politiques, le Premier ministre Jean Castex ayant d’ailleurs annoncé, concernant le plan de relance, qu’ « une part des crédits du plan de relance seront déployés via la commande publique (verdissement du parc automobile, rénovation énergétique des bâtiments publics, investissement en santé, etc.), représentant un volume de 100 milliards d’euros » et, surtout, il a récemment confié à deux parlementaires une mission visant à rendre la commande publique encore plus durable et responsable, notamment au niveau environnemental.

BIBLIOGRAPHIE

Réglementation

Directive CE 2006/32 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative à l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques

  1. n° 2014-856, 31 juill. 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, art. 13
  2. n° 2015-992, 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, art. 70 ; art. 76
  3. n° 2020-105, 10 févr. 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire
  4. n° 2021-254, 9 mars 2021 relatif à l’obligation d’acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées

Projet de loi nº 3875 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Art. L. 541-1, Code de l’env.

Art. L. 2111-1, CCP

Art. L. 2112-2, CCP

Art. L. 2142-1, CCP

Art. R. 2143-11, CCP

Art. R. 2111-15, CCP

Art. R. 2152-7, CCP

Art. L. 2171-3, CCP

Art. 16, CCAG-FCS

Jurisprudence

CE, 23 novembre 2011, Communauté urbaine de Nice-Côte d’Azur, req. n° 351570

CE, 11 septembre 2006, Commune de Sarran, req. n° 257545

CAA Paris, 14 mars 2017, req. N°16PA02230

CAA Lyon 20 avril 2017, req. N°15LY01022

Doctrine

  1. Holterbach, Les nouveaux CCAG garantissent-ils un achat public environnementalement responsable ?: Achats publics, 2021
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