La commande publique et l’économie circulaire : une ambition « dès que cela est possible »

Marchés privés de travaux et commande publique

Éric SPITZ
Avocat of Counsel
Earth Avocats

Le décret du 9 mars 2021, n° 2021-254, relatif à l’obligation d’acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées, est un décret d’application de la loi de 10 février 2020 (dite loi AGEC) de lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Il aura donc fallu une année pour le promulguer.

Les dispositions de la loi du 10 février 2020

L’idée est que tous ceux qui sont soumis au code de la commande publique aient une attitude respectueuse de l’environnement en passant d’une économie linéaire à une économie circulaire. Autrement dit, au lieu d’extraire, produire, transformer, consommer et jeter, il conviendrait de produire, consommer, réutiliser, recycler, produire consommer, réutiliser, recycler etc. L’objectif du décret est « d’accroître la part des achats issus de l’économie circulaire dans la commande publique et ainsi renforcer le principe selon lequel la commande publique tient compte de la performance environnementale des produits, le décret fixe la liste des produits et, pour chacun d’eux, la part minimale des achats publics qui doit être issue des filières du réemploi, de la réutilisation ou du recyclage ».

La loi du 10 février 2020 comportait en effet plusieurs dispositions législatives permettant de mettre la commande publique au service du réemploi et du recyclage.

Elle comporte toute une série de dispositions destinées à renfoncer l’information du consommateur Titre II), à favoriser le réemploi et la réutilisation dans le cadre de la lutte contre le gaspillage (Titre III), à élargir la responsabilité du producteur (REP) (Titre IV) et à lutter contre les dépôts sauvages (Titre V).  Dans les articles qui visent à lutter contre le gaspillage, elle a notamment posé qu’à compter du 1er janvier 2021, les personnes publiques (État, collectivités territoriales et leurs groupements) devaient, lors de leurs achats publics et « dès que cela était possible », réduire la consommation de plastiques à usage unique, la production de déchets et privilégier « les biens issus du réemploi ou qui intègrent des matières recyclées en prévoyant des clauses et des critères utiles dans les cahiers des charges » (art. 55).

Par ailleurs, l’article 58 de cette même loi avait posé que les biens acquis annuellement à compter du 1erjanvier 2021 par les acteurs publics devaient être issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrer des matières recyclées dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit. De plus, dans un souci de préservation des ressources naturelles, les achats de pneumatiques effectués par l’État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs porteraient sur des pneumatiques rechapés, (art. 60).

Les précisions du décret du 9 mars 2021

Par la publication de ce décret, la commande publique s’efforce de contribuer à la durabilité de l’achat publique en incitant fortement les acteurs publics à promouvoir un cycle vertueux. Il vient par son  article 1er arrêter  « la liste et les proportions minimales des produits ou catégories de produits acquis par l’État et par les collectivités territoriales et leurs groupements au titre de marchés de fournitures devant être issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées, au sens de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement ».

La liste qui figure en annexe du décret est une sorte d’inventaire à la Prévert qui comporte 17 items d’achats, comme les « articles chaussants », « les sacs d’emballage », « les livres comptables », « les ordinateurs portables », « les sièges pour véhicules à moteur », « les bocaux et flacons », etc. Bien entendu, les administrations publiques seront concernées plus par certains achats que d’autres et notamment tout ce qui est papier, imprimantes, cartouches d’encre… Raison de plus aussi pour s’orienter vers le zéro papier qui est encore la façon la plus durable de l’économiser.

Il convient de préciser tout de suite que cette ambition de fixer des taux minimaux de réutilisation ou intégrant des matières recyclées pouvaient inquiéter les producteurs dont beaucoup vivent de la commande publique.

C’est sans doute pour cela que l’article 2 du décret précise immédiatement que « les proportions minimales fixées par produits ou catégories de produits acquis sont exprimées en pourcentage du montant total hors taxes de la dépense consacrée à l’achat de chaque produit ou catégorie de produits au cours de l’année civile » et non pour chaque achat.

Du même coup, ne s’appliquant pas à chaque achat, cette « obligation tenant à la réutilisation ou au recyclage » ne peut pas intrinsèquement faire partie des critères nécessaires que le pouvoir adjudicateur doit faire figurer dans les avis de publicité et dans les cahiers des charges de la mise en concurrence. Les candidats évincés ne pourront donc probablement pas faire valoir ce moyen devant les juridictions à l’appui de leur contestation d’attribution du marché.

On notera également que si l’article 58 de la loi de 2020 fixait des proportions de 20 % à 100 % de matières réutilisées ou recyclées selon le type de produit, la liste de l’annexe du décret du 9 mars ne retient que deux types produits (sur 17) pour un taux supérieur au taux minimum de 20% fixé par la loi (toute ce qui est livres, brochures et imprimés d’une part et papier d’impression d’autre part à un taux de 40%).

Enfin, toujours dans le sens de l’atténuation des contraintes pesant sur les administrations et les producteurs, on observera que ni dans la loi du 10 février 2020, ni dans le décret du 9 mars 2020 ne figurent de sanctions en cas de méconnaissance de ces taux minimum.

On voit bien au final que le décret du 9 mars a plus pour but de favoriser une démarche incitative qu’une démarche coercitive auprès des acteurs de la commande publique qui progressivement devraient les conduire à un achat durable et responsable.

D’ailleurs les articles 3 et 4 du décret en font foi. L’article 3 prévoit que les pouvoirs adjudicateurs déclarent auprès de l’Observatoire de la commande publique le montant de leur dépense annuelle consacrée à l’achat des produits ou catégories de produits énumérés dans la liste annexe.

Et l’article 4 prévoit un bilan d’application de ce décret à la fin 2022 transmis au Parlement et rendu public pour en apprécier les différents impacts sur l’objectif de transition vers une économie circulaire mentionné à l’article L.541-1 du code de l’environnement. On pourra alors voir s’il convient d’élargir la liste des produits mentionnés à l’annexe du décret et augmenter les proportions minimales de matières réutilisées et/ou recyclées.

Ce décret est un petit pas supplémentaire venant conforter le principe selon lequel la commande publique tient compte de la performance environnementale sans créer, pour le moment, de véritables contraintes. En somme une étape….