Projet de décret d’application de l’article 35 de la loi Climat & résilience : à quoi les acheteurs publics doivent-ils s’attendre ?

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Guillaume Delaloy
Chef du bureau de la réglementation générale de la commande publique
DAJ du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance

Dans son rapport final de juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat rappelait que « les marchés publics constituent à la fois un levier financier fort pour réaliser la transition et sont un symbole pour encourager la transformation de la société »[1]. À ce titre, elle faisait plusieurs propositions en matière de marchés publics, notamment rendre obligatoire l’insertion d’une clause environnementale dans les cahiers des charges et mettre en avant la valeur écologique des offres lors du choix de l’attributaire du marché.

Conformément à l’engagement du Président de la République, ces propositions ont trouvé leur traduction juridique dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi Climat & résilience).

Ainsi, à l’issue d’un processus législatif qui a considérablement enrichi ce texte, l’article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2022 contient plusieurs dispositions visant à renforcer la prise en compte du développement durable dans la politique d’achat des collectivités publiques.

On peut citer notamment l’insertion dans le code de la commande publique d’un nouvel article L. 3-1 qui consacre les objectifs de développement durable aux côtés des principes fondamentaux de la commande publique, l’obligation de prendre en compte ces objectifs dans les spécifications techniques, l’insertion obligatoire de clauses environnementales dans tous les marchés publics et concessions et, pour certains contrats, de clauses relatives au domaine social ou à l’emploi, la création d’une nouvelle interdiction de soumissionner pour les entreprises qui ne respectent pas leur obligation d’établir un plan de vigilance conformément à l’article L. 225-102-4 du code de commerce, l’obligation de sélectionner le titulaire du contrat au regard d’au moins un critère prenant en compte les caractéristiques environnementales des offres ou encore l’obligation faite aux concessionnaires de décrire, dans le rapport remis chaque année aux autorités concédantes, les mesures qu’ils mettent en œuvre pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique dans le cadre de l’exécution du contrat[2].

Si la plupart de ces dispositions législatives sont applicables par elles-mêmes, certaines appellent des mesures réglementaires d’application. Tel est le principal objet du projet de décret qui a été mis en consultation publique du 7 au 27 janvier 2022 et qui est actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État. Il contient également d’autres dispositions plus ou moins en lien avec la loi Climat & résilience.

Les mesures réglementaires d’application de l’article 35 de la loi Climat & résilience 

Ainsi, d’une part, tirant les conséquences de l’obligation législative de prévoir au moins un critère environnemental pour attribuer un marché public, le décret modifie l’article R. 2152-7 du code de la commande publique afin de supprimer la faculté de sélectionner les offres sur la base du critère unique du prix.

Désormais, si les acheteurs souhaitent choisir l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un seul critère, celui-ci devra nécessairement être le coût global à condition que ce coût prenne en compte les caractéristiques environnementales des offres. Cela peut concerner par exemple les coûts liés à la consommation d’énergie ou d’autres ressources, les coûts de collecte et de recyclage ou encore les coûts imputés aux externalités environnementales aux différentes étapes du cycle de vie des fournitures, services ou travaux commandés.

Outre l’objectif de prise en compte des préoccupations environnementales dans les marchés publics, cette mesure permettra également de favoriser indirectement l’accès des entreprises françaises à la commande publique. Les fédérations professionnelles se font en effet régulièrement l’écho des préoccupations des entreprises, notamment des PME, face à la pratique encore trop répandue du prix le plus bas qui profite principalement aux opérateurs économiques originaires d’État tiers qui pratiquent le dumping social ou environnemental.

D’autre part, conformément à l’article 35 de la loi Climat, le décret complète le contenu du rapport que les titulaires d’un contrat de concession de travaux ou de services doivent remettre chaque année à l’autorité concédante par « une description des mesures mises en œuvre par le concessionnaire pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique dans le cadre de l’exécution du contrat » (R.3131-3).

Pour le moment, à l’exception de l’interdiction de soumissionner pour méconnaissance de l’obligation de plan de vigilance pour laquelle le décret prévoit une entrée en vigueur immédiate, il est prévu que ces dispositions entreront en vigueur au plus tard à la date fixée par la loi Climat, soit en août 2026. Si cette date peut sembler lointaine au regard de l’urgence climatique, il était néanmoins nécessaire de laisser le temps aux acheteurs publics de s’approprier ces nouvelles obligations et aux autorités administratives compétentes de les accompagner, notamment en développant des méthodes et outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie, conformément à l’obligation qui leur en est faite à l’article 36 de la loi Climat.

Ce délai vise aussi à permettre aux entreprises, notamment aux PME, dans des délais et à des coûts supportables, d’adapter leurs offres et leurs organisations aux nouvelles exigences en matière environnementale afin de ne pas être écartées de la commande publique. Toutefois, le décret précise que l’entrée en vigueur de ces dispositions pourra toujours être avancée en fonction du degré de maturité des différents secteurs d’activité et segments d’achat concernés.

L’extension de l’obligation d’élaborer un SPASER pour les collectivités dont le volume d’achats annuels est supérieur à 50 millions d’euros

Au cours de l’examen du projet de loi Climat & résilience par les députés et sénateurs, plusieurs amendements parlementaires ont été déposés dans le but d’abaisser le seuil à compter duquel les collectivités locales et certains gros acheteurs sont tenus d’élaborer un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER).

Depuis l’instauration des SPASER par l’article 13 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, ce seuil est fixé à 100 millions d’euros de volume d’achats annuels, ce qui concerne aujourd’hui seulement 120 collectivités territoriales et EPCI à fiscalité propre environ. Ce seuil étant fixé par décret[3], le Gouvernement s’était alors engagé devant les parlementaires à l’abaisser pour créer une véritable dynamique au niveau local en faveur des achats durables.

C’est ce que propose de faire le projet de décret dont l’article 1er fixe ce seuil à 50 millions d’euros, ce qui permettrait de faire entrer dans le dispositif, à compter du 1er janvier 2023, environ 160 collectivités supplémentaires. Le projet reprend ici une des préconisations du rapport des parlementaires Nadège Havet et Sophie Beaudouin-Hubière Pour une commande publique sociale et environnementale remis au Gouvernement en octobre 2021[4].

Le texte clarifie en outre les modalités pratiques de calcul du volume d’achats annuels en précisant que le seuil s’apprécie au regard des dépenses effectuées au cours d’une année civile et non du montant cumulé des marchés notifiés dans l’année.

La convergence des données essentielles et des données du recensement

Enfin, le projet contient une mesure de simplification pour les acheteurs publics, sans rapport direct avec la loi Climat & résilience, destinée à mettre en œuvre l’action n°16 du Plan de transformation numérique de la commande publique (PTNCP) relative à l’enrichissement et à la convergence des données essentielles et des données du recensement des marchés publics.

Aujourd’hui, les acheteurs sont tenus d’accomplir deux formalités destinées à garantir la transparence a posteriori des marchés qu’ils passent : la mise à disposition sur leur profil d’acheteur des « données essentielles » des marchés publics de plus de 40 000 euros ; la transmission d’informations à l’Observatoire économique de la commande publique (OECP) au titre du recensement annuel des marchés publics de plus de 90 000 euros.

Grâce à la convergence des données, cette seconde formalité est supprimée. Désormais, les acheteurs verseront les données essentielles des marchés publics, non plus sur leur profil d’acheteur, mais sur le portail national de données ouvertes data.gouv.fr. L’OECP procèdera ensuite au recensement des marchés publics, qui constitue un agrégat global officiel des données de contrat au niveau national et européen, en collectant directement les informations nécessaires sur ce portail sans formalité supplémentaire de la part des acheteurs.

Si le projet de décret initial prévoyait d’appliquer l’obligation de mise à disposition des données essentielles pour tous les marchés de plus 25 000 euros, la consultation publique a mis en lumière les difficultés de mise en œuvre de cet abaissement notamment pour les petites collectivités. Le double dispositif de transparence a posteriori prévu à l’article R. 2196-1 du CCP pour les marchés entre 25 000 et 40 000 euros d’une part, et pour ceux de plus de 40 000 euros d’autre part est donc maintenu.

L’étendue des données et les modalités de leur déclaration seront précisées par un arrêté du ministre de l’économie  qui entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2024. Ce délai permettra de prendre en compte les délais nécessaires aux modifications techniques et organisationnelles pour l’ensemble des parties prenantes, notamment les acheteurs et les éditeurs.

Dans une logique d’uniformisation, et même si le recensement économique ne concerne pas les contrats de concession, les autorités concédantes devront également publier les données essentielles de ces contrats sur le portail national de données ouvertes et non plus sur les profils d’acheteur. Cette mesure permettra d’assurer la transparence et l’ouverture des données de la commande publique dans un objectif de prévention de la corruption, de bonne gestion des deniers publics et de pilotage des politiques d’achat. Elle permettra également le développement de nouvelles offres de services pour l’accès des entreprises à la commande publique.

 

[1] Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, juin 2020.

[2] Article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[3] Décret n° 2015-90 du 28 janvier 2015 fixant le montant prévu à l’article 13 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, codifié à l’article D.2111-3 du code de la commande publique.

[4] N. Havet et S. Beaudouin-Hubière, Pour une commande publique sociale et environnementale : état des lieux et préconisations, 20 octobre 2021.