Ininterruption du délai de recours Béziers II en cas de saisine d’un CCRA

Marchés privés de travaux et commande publique

Ariane Meynaud-Zeroual
Maître de conférences à l’Université Paris Panthéon-Assas

Observations sous Conseil d’État, 12 avril 2022, Société Agence d’architecture Frédéric Nicolas, n° 452601, Rec. T.

Par une décision du 12 avril 2022, le Conseil d’État est venu apporter une précision de premier ordre quant à la recevabilité ratione temporis d’une action en reprise des relations contractuelles, c’est-à-dire d’un recours contentieux dit Béziers II, lequel permet au cocontractant de contester la validité de la résiliation d’un contrat administratif et de solliciter du juge du contrat qu’il ordonne la reprise des relations contractuelles en raison de l’illégalité de la mesure de résiliation (CE, Sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806, Rec. p. 117). En principe, et ainsi que le rappelle une jurisprudence constante depuis Béziers II, une partie à un contrat administratif dispose d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation, y compris en matière de travaux publics, pour former une telle action de pleine juridiction.

Dans cette perspective, la saisine d’un comité consultatif interrégional de règlement amiable (CCIRA) des litiges relatifs aux marchés publics interrompt-elle ce délai de recours contentieux ? Le Conseil d’État répond par la négative, confirmant ainsi le raisonnement développé par la cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 15 mars 2021, Société Agence d’architecture Frédéric Nicolas, n°20MA01853, inédit). Est alors considéré comme tardif, et donc irrecevable, un recours tendant à la reprise des relations contractuelles formé auprès du tribunal administratif le 31 mai 2019, malgré la saisine d’un comité consultatif le 27 avril 2018, dès lors que la notification de la résiliation du contrat a été réalisée le 1er mars 2018. Cette solution appelle, à tout le moins, deux remarques.

En premier lieu, cette solution s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle claire, laquelle considère que l’exercice d’un recours administratif contre une mesure de résiliation n’interrompt pas le délai de recours contentieux Béziers II à l’encontre de cette même décision (CE, 30 mai 2012, SARL Promotion de la restauration touristique, n°357151, Rec. p. 237). En ce sens, peu importe le motif de la résiliation, peu importe qu’elle soit intervenue en raison des fautes commises par le cocontractant, puisque la personne publique est, en ce cas, dans l’obligation de mettre le cocontractant en mesure de faire valoir ses observations avant l’intervention de la décision de résilier. Cette exception au principe de l’interruption du délai de recours contentieux par l’exercice d’un recours administratif (CE Sect., 10 juillet 1964, Centre médico-pédagogique Beaulieu, Rec. p. 399) est alors justifiée par les « particularités » d’une telle action en justice et « l’étendue des pouvoirs de pleine juridiction » dont le juge du contrat dispose, rappelant ainsi, s’il en était besoin, que l’institutionnalisation de la conciliation ne doit pas tromper : ces comités consultatifs ne sont ni des juridictions, ni des instances d’arbitrage, mais des commissions administratives dont l’avis reste dépourvu de force obligatoire. Les parties au contrat, auxquelles il ne s’impose pas, demeurent libres de ne pas le suivre.

Mais au-delà, et en second lieu, cette solution s’appuie sur une interprétation scrupuleuse de la compétence ratione materiae d’un comité consultatif de règlement amiable des différends, puisque le Conseil d’État estime qu’elle ne s’étend pas « aux litiges tendant exclusivement à la reprise des relations contractuelles, qui relèvent de la seule compétence du juge du contrat ». Sont ainsi rigoureusement interprétées les dispositions relatives au champ d’application de cette compétence, lesquelles prévoient une intervention des comités de règlement amiable en cas de différend relatif à l’exécution d’un marché public (V. pour le droit applicable au litige art. 1er I du décret n° 2010-1525 du 8 décembre 2010, relatif aux comités consultatifs de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics ; V. nunc art. CCP, R. 2197-1).

Autrement dit, il ne s’agit pas simplement de considérer, comme dans l’affaire SARL Promotion de la restauration touristique, qu’il est toujours loisible pour une partie à un contrat administratif de former un recours administratif pour contester une mesure de résiliation, sans que cela ait pour effet d’interrompre le délai de recours contentieux ; il s’agit, bien plus sévèrement, de considérer que le comité consultatif de règlement amiable des différends est incompétent pour connaître d’un litige tendant à la reprise de relations contractuelles. Comme le rappelle le Conseil d’État dans cette affaire, « aucun principe ni aucun texte législatif ou réglementaire n’impose, préalable à la saisine du juge du contrat, de porter le litige devant le comité consultatif de règlement amiable des litiges ».

Dès lors, il ne s’agit pas tant de priver d’effet suspensif l’exercice d’un mode alternatif que d’en écarter l’usage. Aussi, ce n’est pas tant la volonté de favoriser une reprise la plus rapide possible des relations contractuelles en cas de résiliation illégale qui justifie la présente solution, qu’une conception stricte des mesures d’exécution d’un marché public. En effet, en rappelant qu’il est toujours loisible pour une partie à un contrat administratif de recourir à un CCRA en vue de contester le décompte général d’un contrat à la suite de sa résiliation pour faute, le Conseil d’État semble considérer, par contraste, que la résiliation n’est pas au nombre des mesures d’exécution d’un marché public dont le CCRA peut connaître. Par conséquent, les dispositions relatives à la saisine des CCRA, selon lesquelles cette saisine interrompt les délais de recours contentieux jusqu’à la décision prise par le pouvoir adjudicateur après avis du comité (CMP, art. 127 applicable en l’espèce) – jusqu’à la notification de la décision prise par l’acheteur sur l’avis du comité (CCP, art. R. 2197-16) –, sont inapplicables au litige.

En somme, le Conseil d’État souligne combien le développement de l’office du juge du contrat n’appelle pas nécessairement – précisément ? – un renforcement des modes alternatifs de règlement des litiges contractuels.