Le droit de la commande publique au service de la protection des entreprises européennes contre la concurrence déloyale

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Olivier Giannoni
Directeur juridique de l’UGAP
Auteur de Stratégie et techniques de l’achat public, aux éditions Berger-Levrault

C’est l’objectif poursuivi par deux règlements européens adoptés à l’issue de la présidence française de l’Union européenne. Le premier règlement n°2022/1031 dit IMPI a pour objet de permettre à la Commission européenne de vérifier que les opérateurs économiques européens ont bien accès à la commande publique des États tiers au marché unique et, le cas échéant, de prendre des sanctions en cas de restriction avérée. Le second règlement relatif aux subventions étrangères, a été adopté à la fin de l’année 2022 par le Conseil de l’Union européenne. Le but poursuivi est de garantir que les opérateurs économiques des pays tiers ne bénéficient pas de subvention de nature à fausser le fonctionnement du marché unique, notamment lors de l’attribution des contrats de la commande publique européenne.

Seuls les contrats de la commande publique les plus importants sont concernés

L’article 6 du règlement dit IMPI vise d’une part les marchés les marchés de travaux et les concessions dont le montant est supérieur à 15 millions d’euros HT et d’autre part, les marchés de fournitures et de services d’un montant de 5 millions d’euros HT.

Pour le règlement sur les subventions, les montants sont encore plus élevés puisque la valeur du marché, de la concession ou de l’accord-cadre visée doit être supérieure à 250 millions d’euros (HT). Toutefois, lorsque le marché ou la concession d’un montant global de 250 millions d’euros est divisé en lots, le règlement s’applique au soumissionnaire qui dépose une offre pour un ou plusieurs lots dont le montant est supérieur à 125 millions d’euros (HT).

Un champ d’application déterminé par les accords internationaux de l’OMC

L’OMC a supervisé la signature d’un accord international, entré en vigueur le 6 avril 2014, sur les marchés publics (AMP). Cet accord vise à garantir l’ouverture des marchés publics entre les États signataires. Il prévoit un mécanisme spécifique de résolution des litiges. Le règlement IMPI ne peut dès lors s’appliquer qu’aux États qui ne sont ni membres de l’Union européenne, ni signataires de l’accord AMP. À l’heure actuelle, c’est principalement la Chine continentale, observatrice, mais non signataire de l’accord AMP, qui pourrait être visée au travers de ses entreprises par l’application de ce règlement IMPI.

Les accords OMC concernant les subventions ont un périmètre limité, car ils concernent uniquement certaines marchandises et certains types de subventions. On peut dès lors en conclure que le règlement sur les subventions peut potentiellement s’appliquer à tout opérateur économique bénéficiant d’aides publiques d’un État tiers à l’Union européenne. Il existe toutefois un seuil minimum, puisque les subventions d’un montant de 4 millions d’euros sur les trois dernières années ne seront pas sanctionnées.

Le rôle primordial de la Commission européenne dans l’investigation et la sanction

Les deux règlements sont construits sur la même logique qui est le déclenchement d’une enquête par la Commission européenne. Le déclenchement de l’enquête est toutefois légèrement différent selon les règlements. En effet, dans le règlement IMPI, elle résulte d’une plainte étayée par une partie intéressée qui peut être un opérateur économique ou un État membre. Dans le cas du règlement sur les subventions, les opérateurs économiques étrangers doivent notifier les aides dont ils bénéficient dans le cadre de leur candidature au marché public ou à la concession. Les pouvoirs adjudicataires et les entités adjudicatrices peuvent également saisir la Commission en cas de doute. En tout état de cause, la Commission dispose toujours –quelle que soit la nature du manquement – d’un pouvoir d’auto-saisine.

L’enquête de la Commission se déroule, dans le cas du règlement IMPI, dans un délai de 9 à 14 mois alors que la détection des subventions est réalisée dans un délai de 20 à 90 jours pour minimiser  les conséquences sur la procédure de passation du marché ou de la concession.

Des sanctions qui altèrent les règles de la mise en concurrence

Le volet sanction des règlements est aussi très comparable, puisque dans les deux cas, c’est la Commission qui a le pouvoir décisionnel. Si les sénateurs – auteurs du rapport sur la souveraineté économique de la France – regrettent que cette prérogative ne soit pas partagée avec les États membres[1], on peut relever que cette compétence exclusive permet de donner une puissance supérieure aux décisions et évite une désorganisation du marché unique. En revanche, la mise en œuvre des sanctions est réalisée par les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices.

Ainsi, dans le règlement IMPI, les sanctions appliquées par les acheteurs publics ont pour finalité de limiter l’accès des entreprises des pays tiers aux marchés publics européens. Deux types de mesures sont plus particulièrement prévus : un ajustement obligatoire de la note accordée aux offres remises par des opérateurs économiques originaires de ce pays tiers, ajustement pouvant aller jusqu’à réduire cette note de moitié ; une exclusion pure et simple des offres remises par les opérateurs susmentionnés.

Dans le règlement sur les subventions, si l’enquête approfondie conclut à une distorsion de concurrence, l’entreprise peut proposer des engagements pour corriger ce manquement. Si la Commission estime que les mesures proposées sont suffisantes, elles feront l’objet d’une décision officielle. À défaut de proposition de l’opérateur économique ou si les engagements proposés sont jugés insuffisants, la Commission pourra prendre une décision interdisant l’octroi du marché public ou de la concession à l’entreprise en cause.

[1] Rapport d’information n°755 sur la souveraineté économique de la France, Sénat, 6 juillet 2022, recommandation n°40 pages 207 à 212