Réforme de la commande publique et propriété publique

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Alain de BelenetAlain de Belenet
LexCase Société d’Avocats
Associé – Département Droit public des Affaires

  1. Comment la réforme de la commande publique a-t-elle touché les contrats domaniaux ?

La réforme de la commande publique a été l’occasion pour Bercy de consacrer une distinction nette entre, d’une part, les contrats ayant pour objet la seule occupation domaniale et, d’autre part, les contrats incluant, à quel que titre que ce soit, une commande publique.

En particulier, et désormais, une autorisation d’occupation temporaire ou un bail emphytéotique administratif de l’État et des collectivités territoriales ne peut plus avoir pour objet « l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation » (cf. article 101 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015).

À défaut, il s’agit d’un contrat de la commande publique.

Cette nouvelle organisation signifie concrètement la fin des montages dits « aller retour » : il n’est ainsi plus possible pour un pouvoir adjudicateur de commander la réalisation de travaux dans le cadre d’une convention d’autorisation temporaire d’occupation du domaine public (AOT) ou de bail emphytéotique administratif (BEA).

Désormais, tous les contrats qui peuvent être rattachés à de la commande publique (commande à titre onéreux de travaux, fournitures ou services pour répondre à un besoin) doivent donc être qualifiés soit de marché public, soit de concession (ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession) et être soumis comme tels aux règles de publicité préalable et de mise en concurrence instituées par ces textes.

Bien sûr, il reste possible pour un acheteur public d’intégrer dans son contrat de commande publique une autorisation d’occupation du domaine public, mais sous réserve que la passation et l’exécution de ce contrat soient bien soumises aux règles applicables soit en matière de marché public, soit en matière de concession.

Et à l’inverse, si un contrat n’a pour seul objet que d’autoriser à une personne privée l’occupation du domaine public (à l’exclusion de toute commande à titre onéreux de travaux, fournitures, services), il ne sera pas soumis aux règles relatives aux marchés publics ou aux concessions.

Sa passation devra éventuellement faire l’objet d’une mise en concurrence (cf. CJUE 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, Aff C-458/14 et Mario Melis e.a., Aff. C-67/15 ; cf. également l’article 15 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite Sapin II), mais dans un cadre distinct de ceux applicables aux contrats de la commande publique.

Cette clarification a donc le mérite de replacer les AOT et les BEA dans leur finalité initiale, c’est-à-dire l’occupation domaniale, sans pour autant condamner les contrats complexes associant prestations et occupation domaniale.

  1. Pouvez-vous rappeler quelles sont les hypothèses légales de conclusion d’un BEA ou d’une AOT constitutive de droits réels par l’État et par les collectivités territoriales ?

L’état du droit a été modifié par l’ordonnance du 23 juillet 2015.

Dans la droite ligne de la suppression du montage « aller retour », ont été supprimés par l’article 102 : les BEA de l’État pour les besoins de la justice, police, gendarmerie et défense (ex. article L. 2122-15 du code général de la propriété des personnes publiques – CGPPP) et les baux emphytéotiques hospitaliers (BEH) (ex. article L. 6148-2 du Code de la santé publique). Pour pallier ces disparitions, des nouvelles catégories de marchés publics globaux sectoriels ont été créés par l’article 35 de cette ordonnance.

En parallèle, plusieurs dispositions relatives aux BEA et AOT constitutives de droits réels ont été maintenues mais adaptées, en y ajoutant l’interdiction d’inclure dans leur objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique.

Il s’agit des AOT constitutives de droits réels délivrées par les collectivités territoriales, leurs établissements et leurs groupements (article L. 1311-5 du code général des collectivités territoriales – CGCT) : une telle AOT peut être délivrée sur le domaine public en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la collectivité.

Des BEA des collectivités territoriales, de leurs établissements et de leurs groupements sur le domaine public (article L. 1311-2 du CGCT) : un BEA peut être conclu par une collectivité en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public.

Des AOT portant sur le domaine public de l’État (article L. 2122-6 du CGPPP).

Des BEA « valorisation » de l’État (article L. 2341-1 du CGPPP).

  1. Le BEA et l’AOT ne sont donc pas enterrés, mais cantonnés hors du champ de la commande publique. Pour quelles raisons y recourir à l’avenir ?

Ces contrats resteront très utiles pour l’État et les collectivités territoriales, qui pourront continuer à les conclure dans les cas où leur objet serait d’autoriser une personne privée à exercer de manière autonome sa propre activité sur le domaine public, en y édifiant le cas échéant, les ouvrages ou équipements qui lui sont nécessaires.

La limite imposée par le législateur est uniquement que les BEA ou les AOT constitutives de droit réel des collectivités (et implicitement, de l’État) soient conclus pour la réalisation d’opération d’intérêt général relevant de leurs compétences, tout en ne constituant donc pas une réponse à un besoin, caractéristique d’une commande publique.

Il y a là une question de frontière qui ne sera pas toujours évidente à résoudre : l’activité autorisée sur le domaine public doit répondre à un intérêt général sans répondre à une commande publique, y compris sous forme de concession.

En pratique, la mise à disposition du domaine public pourra éventuellement être accompagnée de quelques contraintes imposées par la personne publique, dès lors qu’elles ne traduisent pas une commande publique et une réponse à un besoin : on peut par exemple imaginer que le gestionnaire du domaine public impose simplement quelques prescriptions à son occupant en matière de construction (surface, architecture), sans que cela ne le fasse entrer dans une logique de commande publique (réponse à un besoin).

Ainsi, par exemple, une commune pourra délivrer à une entreprise privée une AOT constitutive de droits réels, en application de l’article L. 1311-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), en vue d’autoriser l’occupation du domaine public pour exercer une activité de camping non municipal. Cette AOT pourra tout à fait prévoir une capacité d’accueil minimal, une interdiction d’édifier des constructions au-delà d’une surface déterminée, ou encore une obligation d’assurer l’entretien et le renouvellement des plantations existantes, etc.

En effet, dès lors que la personne privée assurera son activité en autonomie, sans contraintes particulière de service public (plages d’ouvertures, public accueilli, tarif…), sans autre prescription qui pourrait traduire l’expression d’un besoin déterminé de la collectivité, le contrat d’occupation domanial restera bien en dehors du champ de la commande publique.

Plus délicate sera toutefois la mise au point des BEA « valorisation » de l’État : pour ne pas entrer dans le champ de la commande publique, ces contrats conclus en vue de la restauration, de la réparation ou de la mise en valeur d’un bien immobilier public par le preneur, ce qui induit le plus souvent l’exécution de travaux, devront toutefois ne pas contenir de clauses d’expression d’un besoin public (par exemple, des spécifications précises concernant les travaux à réaliser), et/ou ne pas conférer au preneur un droit d’exploitation (auprès du public) du bien restauré ou réparé.

Le BEA et l’AOT, ne pouvant plus servir de véhicule pour l’achat de travaux, services ou fournitures par l’administration, demeurent donc tout de même des outils essentiels pour assurer la valorisation du domaine public et pour encourager la réalisation d’opérations d’intérêt général par des personnes privées.

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