Nouveau décret d’application de l’article 58 de la loi AGEC : quel impact ?

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Kévin Holterbach
Fidal
Avocat associé
Spécialiste en droit public
Qualification spécifique en droit des contrats publics

Par un décret n° 2024-134 du 21 février 2024 « relatif à l’obligation d’acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées et à l’interdiction d’acquisition par l’État de produits en plastique à usage unique » (ci-après « l’obligation »), l’exécutif redéfinit les modalités d’application de l’article 58 de la loi AGEC  (n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire), jusqu’alors régies par le décret n° 2021-254 du 9 mars 2021.

Bien que ce dernier soulevait de nombreuses questions pratiques, auxquelles la notice explicative du décret ne répondait que partiellement, faut-il voir dans ce nouveau décret la simplification tant espérée par les acheteurs publics ?

Les apports du nouveau décret

  • Le nouveau décret supprime la référence aux codes CPV des produits ou catégories de produits concernés par l’obligation d’intégrer des « proportions minimales de biens issus du réemploi ou de la réutilisation et les proportions minimales de biens intégrant des matières recyclées », et ne vise plus que des « catégories de produits ».

Pour plus de clarté, a été créé, à côté du nouveau décret, un « arrêté du 29 février 2024 précisant la liste des produits relevant de chaque catégorie de produits soumise à l’obligation d’acquisition de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées ».

L’arrêté fait d’ailleurs œuvre de pédagogie, puisque, pour chaque catégorie, il détaille d’une part, les produits qui étaient déjà visés par le décret de 2021 et, d’autre part, les produits entrant nouvellement dans le champ de l’obligation.

Au sein de la liste des produits nouvellement concernés par l’obligation se retrouvent ainsi, pêle-mêle, des produits pouvant sembler anecdotiques (les projecteurs, les trottinettes électriques, les coffres-forts, les rideaux), comme d’autres relevant d’importantes missions de service public (poubelles, conteneurs, bacs à déchets).

  • Là où le décret de 2021 fixait des proportions minimales figées dans le temps, le nouveau définit une progression pluriannuelle des proportions minimales, en définissant trois échéances (2024, 2027 et 2030).
  • Le décret précise désormais que la notion d’acquisition, au sens de l’article 58 de la loi AGEC, doit s’entendre non seulement des achats, par le biais de marchés publics, mais également des dons, pour autant qu’ils s’agisse de produits figurant sur une « liste de produits établie par arrêté du ministre chargé de l’Économie et du ministre chargé de l’Environnement, proposés sur la plateforme des dons mobiliers des administrations, désignée par le même arrêté ».

Sur ce point, un second arrêté « fixant la grille de valeur forfaitaire permettant la comptabilisation des dons acquis en application de l’article 58 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire » était en consultation, aux côtés du projet de décret et d’arrêté précisant la liste des produits concernés par l’obligation.

Néanmoins, à la date de rédaction du présent article, ce second arrêté n’a pas été publié, le nouveau décret entrant par ailleurs en vigueur au 1er juillet 2024.

  • Enfin, les modalités de déclaration de la part des dépenses annuelles satisfaisant aux obligations posées par la loi AGEC sont légèrement modifiées, puisque, désormais, la déclaration devra se faire sur le portail national de données ouvertes mentionné à l’article R. 2196-1 du code de la commande publique, et non plus auprès de l’Observatoire économique de la commande publique. 

Les questions restant en suspend

A. D’une part, en pratique, le nouveau décret ne modifie pas les modalités de calcul des proportions minimales de dépenses annuelles devant intégrer des produits issus du réemploi, de la réutilisation ou des matières recyclées, le décret se limitant, comme le faisait déjà sa précédente mouture, à préciser que « ces proportions sont exprimées en pourcentage du montant annuel hors taxes de la dépense consacrée à l’achat de chaque catégorie de produits au cours d’une année civile » (en instaurant par ailleurs une proratisation pour l’année 2024).

Or, pour aussi simple qu’elle soit sur le plan théorique, cette méthode de calcul présente des difficultés d’application pour les acheteurs, lesquels doivent (et devront toujours) :

  • Inventorier les marchés de fournitures concernées par l’obligation passés, au niveau de la structure, par l’ensemble de leurs services (en ce compris les marchés conclus sans publicité ni mise en concurrence). Cela peut déjà représenter une difficulté non négligeable pour des structures d’importance et/ou situées sur plusieurs sites et/ou qui n’ont pas de fonction(s) achat(s) centralisée(s).
  • Définir la meilleure stratégie permettant le respect de l’obligation tout en conservant une politique d’achat efficace et rationnelle. Au nombre de ces stratégie, observons :

La réduction, autant que faire se peut, des marchés mixtes, incluant des fournitures concernées par l’obligation, afin de passer des marchés ou accords-cadres de fournitures distincts. Cette option (simpliste) expose néanmoins au risque d’un manque de souplesse, d’un mauvais calcul des quantités ou d’une rupture d’approvisionnement.

L’intégration, au sein de tous les marchés de fourniture, de clauses imposant le respect des proportions fixées par le texte. Cette option, qui dépasse donc les exigences du texte, expose néanmoins l’acheteur à un risque d’infructuosité ou, à tout le moins, d’une faible concurrence.

Le développement et la structuration, via le sourcing, les marchés passés sans publicité ni mise en concurrence, et d’une manière générale, la co-construction des marchés publics avec les opérateurs du secteur (encouragée notamment par le PNAD 2022-2025) de filière(s) et d’offres répondant à ses besoins.

En effet, ainsi qu’il ressort clairement du rapport d’évaluation de l’article 58 de la loi AGEC, une difficulté, tenant au défaut ou à l’insuffisance d’opérateur(s) capable(s) de répondre techniquement au besoin et/ou répondant aux marchés publics peut survenir, sur certains territoires.

Or, une telle hypothèse ne semble pas correspondre à celle visée par l’article 58 précité, du « cas de contrainte opérationnelle liée à la défense nationale ou de contrainte technique significative liée à la nature de la commande publique » permettant d’échapper à l’obligation.

Partant, il est également important pour les acheteurs publics de faciliter, autant que possible, l’accès à la commande publique, afin de ne pas se trouver confrontés à une telle difficulté, quasi-insoluble en l’état du texte.

La mutualisation de l’achat, notamment, bien sûr, par le recours aux centrales d’achats locales et/ou nationales, pour les achats de fournitures.

B. D’autre part, le nouveau décret ne mettant pas en place de sanction spécifique en cas de méconnaissance, la question des conséquences juridiques concrètes de la méconnaissance de l’obligation reste aujourd’hui assez floue.

En effet, puisque l’obligation est exprimée « en pourcentage du montant annuel hors taxes de la dépense consacrée à l’achat de chaque catégorie de produits au cours d’une année civile », et non par contrat, le seul fait de ne pas imposer, dans un marché ponctuel, qu’une partie des fournitures achetées soient issus du réemploi ou de la réutilisation ou intègrent des matières recyclées, ne peut menacer la régularité du marché.

Pour pouvoir remettre en cause la régularité d’un marché, sur ce terrain-là, le concurrent évincé devrait préalablement demander à se faire communiquer l’intégralité des marchés de fourniture passés par l’acheteur en cause, sur l’année civile, pour la catégorie de produit en cause.

Même le préfet aurait des difficultés à exciper de l’argument, l’intégralité des marchés n’étant pas soumis à l’obligation de transmission au contrôle de légalité.

Par conséquent, il n’est pas certain que cette nouvelle mouture du texte suffise à convaincre les acheteurs publics réfractaires d’intégrer des produits issus de l’économie circulaire dans leurs achats[1].

[1] Certes, selon le rapport d’évaluation de l’article 58 de la loi AGEC : « 72 % des acheteurs interrogés ont déclaré acheter des produits issus de l’économie circulaire depuis mars 2021 » étant néanmoins précisé que « parmi ces acheteurs, un grand nombre le faisait déjà avant l’entrée en vigueur de la mesure ».