Hélène BILLERY
Avocate counsel
AUGUST DEBOUZY
Marie KNITTEL
Responsable du pôle droit public
MONASSIER
L’occupation du domaine public, ses modalités, son octroi ou ses conditions de résiliation figurent au nombre des préoccupations quotidiennes des gestionnaires de patrimoine public.
Si les modalités d’occupation du domaine public figurent aujourd’hui pour l’essentiel dans le code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), la pratique des titres domaniaux doit s’adapter, depuis l’entrée en vigueur de ce code le 1er juillet 2006, à la constante évolution des règles jurisprudentielles domaniales, aux modifications textuelles apportées par le législateur mais également à l’influence du droit européen en cette matière. Ainsi, la réforme portée par l’ordonnance du 19 avril 2017[1] a modifié profondément la gestion domaniale en imposant une procédure de sélection préalable ad hoc préalablement à la délivrance des titres domaniaux objet d’une activité économique.
La constante évolution du droit domanial et l’adaptation nécessaire de la pratique des titres d’occupation domaniaux
L’analyse du régime juridique du bien objet de l’occupation
S’il est certain que l’article L. 2122-1-1 du CGPPP codifié par l’ordonnance du 19 avril 2017 précitée posant le principe de sélection préalable à l’octroi des autorisations d’occupation du domaine public, figure au titre II « Utilisation du domaine public », la question de la soumission à cette procédure pour les autorisations portant sur le domaine privé des personnes publiques a été soulevée en doctrine[2] et en jurisprudence. Elle est aujourd’hui rejetée par le juge administratif.
Dans un arrêt en date du 2 décembre 2022[3], le conseil d’État a en effet jugé que la Directive Services[4] et la jurisprudence européenne Promoimpresa[5], qui fondent – même avant l’entrée en vigueur du CGPPP en droit européen – l’obligation de sélection préalable (lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles), ne s’appliquent pas aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens relevant de leur domaine privé. Ces baux ne constituant pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive.
Ainsi, les gestionnaires de patrimoine public peuvent être rassurés à cette heure : aucune obligation légale n’impose de sélection préalable lors d’occupation du domaine privé. Si tant est que le régime applicable au bien objet de l’occupation soit justement qualifié de domaine privé. En la matière, la réintroduction de la théorie de la domanialité publique virtuelle postérieurement à l’entrée en vigueur du CGPPP[6] n’a pas favorisé l’apaisement des gestionnaires domaniaux.
Le changement de régime du bien occupé en cours de bail
Dans un arrêt en date du 21 décembre 2022[7], le conseil d’État a jugé que l’occupant d’un camping municipal, exploité par une société privée, objet d’une désaffectation et de la signature d’un bail commercial autorisées par le conseil municipal, suivi d’une réaffectation postérieure, n’était pas considéré comme un occupant sans titre. Son bail commercial ayant été automatiquement transformé en titre d’occupation du domaine public et purgé de celles de ses stipulations qui étaient incompatibles avec le régime juridique de la domanialité publique.
La réaffirmation par le juge administratif de la « disparition » des conditions du bail commercial favorables au preneur, dans cette hypothèse, est un élément de sécurité pour les gestionnaires publics. Il pourrait néanmoins leur être conseillé d’anticiper ce changement de régime en proposant au preneur devenu occupant, la signature d’une convention d’occupation du domaine public, afin de s’assurer de l’expression claire des conditions de l’occupation du bien relevant du domaine public.
Une sélection préalable devrait-elle alors être envisagée par le gestionnaire public pour répondre à l’obligation de sélection préalable fixée par le législateur depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017 précitée ? Aucun élément n’a été précisé dans la jurisprudence précitée à cet titre.
La procédure de sélection préalable et ses enjeux
L’institution du principe de sélection préalable
Lorsque la délivrance du titre domanial a pour objet la réalisation d’une activité économique sur le domaine public, l’article L. 2122-1-1 du CGPPP prévoit l’organisation d’une procédure de sélection préalable à la délivrance de ce titre. Cette procédure est librement organisée par le gestionnaire de domaine[8]. La procédure doit présenter toute les garanties d’impartialité et de transparence.
Par exception à cette règle générale, le CGPPP prévoit des hypothèses où soit aucune une procédure de sélection préalable n’est requise, permettant une attribution à l’amiable (articles L. 2122-1-2, L. 2122-1-3 du CGPPP), soit une procédure allégée est possible (articles L. 2122-1-1 ; L. 2122-1-4, L. 2122-1-3-1 du CGPPP).
Les modalités pratiques de la procédure de sélection
Si le CGPPP n’est guère disert sur les modalités pratiques permettant d’assurer la publicité suffisante et la sélection préalable, la doctrine et la jurisprudence sont venues progressivement les éclairer.
En premier lieu, la publicité s’apprécie en fonction de l’objet de la procédure et des enjeux de l’occupation domaniale envisagée. Elle doit permettre aux candidats potentiels de se manifester. Plus l’occupation est susceptible d’intéresser de potentiels candidats, plus sa publicité devrait être renforcée et prolongée. Cette dernière pourra s’effectuer sur une multitude de supports tels que le site internet de l’autorité compétente, les journaux d’annonces légales, voire le JOUEdans certains cas où le titre présenterait un intérêt transfrontalier. À titre d’exemple, dans le cadre d’une manifestation d’intérêt, le Tribunal administratif de Renne a jugé en 2022 que l’affichage sur des panneaux extérieurs et la publication dans plusieurs journaux en ligne avaient permis une publicité suffisante en laissant aux potentiels candidats un délai de six semaines pour se manifester[9].
En second lieu, l’organisation de la procédure de sélection n’est pas particulièrement définie par le CGPPP. Cette dernière doit s’analyser sous un angle finaliste : elle doit permettre d’assurer les principes d’impartialité et la transparence.
Concrètement, un certain nombre d’auteurs de doctrine, s’ils reconnaissent la libre appréciation de l’autorité compétente pour organiser la procédure de sélection préalable, suggèrent de s’inspirer des modalités d’organisation des marchés publics à procédure adaptée pour une plus grande sécurité juridique. Ainsi, l’autorité compétente pourrait publier un règlement de consultation, dans lequel des critères de sélection objectifs seraient fixés, ainsi qu’un cahier des charges présentant les règles techniques relatives à l’occupation du domaine public. Le gestionnaire du domaine public serait libre de choisir parmi une diversité de critères afin d’apprécier le plus exactement possible les qualités des candidats, la limite étant que les critères ne doivent pas faire courir le risque d’une restriction de la concurrence. Ils pourraient s’inspirer de l’article 10 de la Directive Service avec des critères non discriminatoires, justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif d’intérêt général, clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles. À tire d’exemple, en 2020, le Conseil d’État[10] a eu l’occasion de juger qu’un règlement de consultation qui imposait comme critères de sélection la détention d’une licence et d’un permis d’exploitation nécessaires à la réalisation de l’activité projetée restreignait « de façon excessive et arbitraire l’accès des entreprises intéressées au contrat en cause ». Il est important de veiller à ce que ces critères ne conduisent pas à la satisfaction d’un besoin propre de la personne publique, sous peine de courir le risque d’une requalification en contrat de la commande publique[11]. Il est jugé que le CGPPP n’impose pas de porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des critères[12].
En définitive, la volonté du législateur, en prévoyant un texte peu détaillé, a été de donner une certaine liberté aux gestionnaires du domaine public, leur permettant de jauger par eux-mêmes la mise en œuvre de procédures adaptées à chaque cas d’espèce.
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[1] Ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques
[2] RM n° 41751 JOAN, 5 avril 2022, p.2257 – Christine Maugüé, , Ordonnance domaniale : un bel effort pour la modernisation du CGPPP !, AJDA 2017, p 1606
[3] CE, 2 décembre 2022 n°460100, Droit Administratif n° 4, Avril 2023, comm. 17
[4] Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006
[5] CJUE 14 juillet 2016 Promoimpresa Srl, aff. C-458/14, Mario Melis e.a., aff. C-67/15.
[6] CE, n° 391431, 13 avril 2016, Commune de Baillargues
[7] CE, 21 décembre 2022, n°464505, publié au recueil Lebon
[8] CAA Bordeaux, 13 juillet 2022, n°20BX01591 ; CAA Paris, 17 mars 2022, n°20PA00588, Association les ailes d’Oraguon
[9] TA Rennes, 21 octobre 2022, n° 2001743
[10] CE, 23 janvier 2020, CCI d’Ajaccio, n° 427058
[11] CE, avis, 22 janvier 2019, Conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine, n° 396221
[12] CAA Bordeaux, 15 juin 2023, Société Kostaldea, n°21BX02210