Le sort des baux commerciaux conclus sur le domaine public

Laurent Bidault
Avocat au barreau de Paris
Novlaw Avocats

Le sort des baux commerciaux conclus sur le domaine public fait l’objet d’une jurisprudence récurrente.

La conclusion d’un bail commercial sur le domaine public est en effet prohibée et la personne publique gestionnaire du domaine public est susceptible de voir sa responsabilité engagée à cet égard.

Bail commercial et domaine public

Le bail commercial est un contrat de location par lequel le bailleur met à la disposition du preneur, un local commercial afin que ce dernier puisse y exploiter son activité commerciale. L’ensemble des éléments qui sont nécessaires à cette activité commerciale (bail commercial, clientèle, outils de productions, marque, etc.) forme une universalité juridique : le fonds de commerce[1]. Le régime du fonds de commerce et celui du bail commercial sont précisés au Titre IV du Livre 1er du code de commerce[2].

Il est courant que les personnes publiques se trouvent en situation de bailleresses s’agissant par exemple d’un restaurant ou d’une boutique situé sur leur domaine. À cet égard, le code de commerce rend expressément applicables les dispositions en matière de baux commerciaux, d’une part, aux baux « nécessaires à la poursuite de l’activité des entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel ou commercial, dans les limites définies par les lois et règlements qui les régissent et à condition que ces baux ne comportent aucune emprise sur le domaine public ».

Et d’autre part, « aux baux des locaux ou immeubles appartenant à l’État, aux collectivités territoriales et aux établissements publics »[3], dès lors que ces baux satisfont aux conditions d’application du régime du bail commercial[4].

Bien que cela ne soit pas explicitement précisé, ces dispositions sont interprétées par la doctrine comme par la jurisprudence comme s’appliquant uniquement au domaine privé des personnes publiques.

La situation est en revanche différente lorsqu’il s’agit du domaine public.

L’interdiction de principe de conclure un bail commercial sur le domaine public

Comme évoqué, par principe, la conclusion d’un bail commercial sur le domaine public est prohibée. Au préalable, il faut alors rappeler la protection particulière dont bénéficie le domaine public, qui présente en effet un caractère imprescriptible et un caractère inaliénable.

Cela implique que les autorisations pour occuper le domaine public sont nécessairement et obligatoirement accordées à titre précaire et révocable, ce qui est incompatible avec la conclusion d’un bien commercial. En ce sens, le Conseil d’État a considéré que, « en raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d’un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public »[5].

C’est donc la protection dont jouit le domaine public qui fonde principalement l’exclusion du bail commercial sur un bien relevant du domaine public. Étant précisé que la qualification de bail commercial d’un contrat conclu sur le domaine public n’a pas d’influence sur l’appartenance du bien en cause au domaine public[6].

Concrètement, plusieurs éléments déterminants du bail commercial sont incompatibles avec le domaine public. Notamment, le régime des baux commerciaux implique que sont réputées non écrites les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail commercial ou les droits qu’il tient de son fonds de commerce[7].

Or, un titre portant occupation du domaine public – en la forme dans notre cas d’un bail commercial – n’est pas librement cessible. De même, le régime des baux commerciaux implique un droit au renouvellement du bail en faveur du preneur (de l’occupant)[8], contraire de fait aux principes rappelés ci-dessus.

Le refus de renouvellement du bail commercial donne en outre droit au preneur évincé au versement par le bailleur d’une indemnité d’éviction qui est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement[9]. La jurisprudence apporte régulièrement des illustrations des conséquences de cette interdiction, la première des conséquences étant évidemment la nullité du bail[10].

La « transformation » du bail commercial conclu sur un bien incorporé au domaine public

La jurisprudence récente du Conseil d’État illustre parfaitement cette interdiction de conclure un bail commercial sur le domaine public, et ce y compris lorsque ce bail a été conclu initialement sur un bien qui n’était pas incorporé au domaine privé.

En effet, le transfert d’un bien s’agissant duquel un bail commercial a été conclu du domaine privé au domaine public entraîne l’extinction du bail, qui sera « transformé » en convention d’occupation du domaine public[11].

Plus précisément, le Conseil d’État a pu considérer qu’un bail commercial, « s’il pouvait valoir, jusqu’à son éventuelle dénonciation, titre d’occupation du domaine public, ne pouvait conserver, après l’inclusion dans le domaine public des biens sur lesquels il portait (…) son caractère de bail commercial en tant que celui-ci comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique »[12].

Par voie de conséquence, le juge administratif devient alors compétent pour connaitre des litiges afférents à ce « bail », y compris pour prononcer l’exclusion de l’occupant.

L’indemnisation du bénéficiaire en cas de perte du bail commercial sur le domaine public

Trois situations sont à distinguer.

En premier lieu, la situation dans laquelle le preneur du bail commercial est « victime » de la requalification de son bail ou de son annulation.

Le juge administratif reconnait en effet le droit pour le preneur de rechercher, devant le juge administratif, l’indemnisation du préjudice résultant de cette requalification[13]. Le Conseil d’État, aux termes de l’arrêt précité, a considéré que « l’autorité gestionnaire du domaine public conclut un  » bail commercial  » pour l’exploitation d’un bien sur le domaine public ou laisse croire à l’exploitant de ce bien qu’il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. »[14]

L’indemnisation du titulaire du bail n’est alors pas fondée directement sur la perte de ce bail ou ne constitue par une indemnité d’éviction, mais elle est fondée sur la faute commise par la personne publique d’avoir conclu ce bail sur le domaine public.

Partant,  le preneur évincé pourra prétendre, sous réserve de ses éventuelles propres fautes, à être indemnisé de (1) l’ensemble des dépenses qui ont été exposées dans la perspective d’une exploitation dans le cadre du bail commercial et (2) les préjudices commerciaux, voire financiers, qui résultent directement de la faute qu’a commise la personne publique en l’induisant en erreur sur l’étendue de ses droits[15].

En deuxième lieu, si la personne publique met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l’absence de toute faute du preneur, alors ce dernier doit être regardé, pour l’indemnisation des préjudices qu’il invoque, comme ayant été titulaire d’un contrat portant autorisation d’occupation du domaine public pour la durée du bail conclu.

Le preneur évincé peut alors solliciter la réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d’une telle convention avant son terme, qui comprend (1) la perte des bénéfices découlant d’une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et (2) des dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.

Enfin, en troisième lieu, une dernière situation peut être évoquée, à savoir celle de la fin normale du bail commercial conclu sur le domaine public, sans que sa légalité ait été dénoncée en cours d’exécution. Dans ce cas, le preneur ne pourrait pas prétendre au renouvellement du bail, en raison du caractère précaire de l’occupation du domaine public qu’implique le bail.

Sur le plan financier, il ne pourrait pas prétendre au versement d’une indemnité au titre du préjudice résultant de ce non-renouvellement, a fortiori si le preneur a signé en toute connaissance de cause un bail commercial sur le domaine public[16]. D’ailleurs, dans tous les cas, la faute du preneur est de nature à faire obstacle à toute ou partie de son indemnisation. Tant le bailleur – la personne publique gestionnaire du domaine – que le preneur doivent donc être particulièrement vigilant quant à l’affectation du domaine objet du bail et la nature du bail lui-même à la fois.

[1] Notons que la loi du 18 juin 2014 dite Pinel a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel « un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre », ces dispositions s’appliquant aux contrats conclus après l’entrée en vigueur de cette loi.

[2] Plus précisément aux articles L. 141-2 et suivants du code de commerce.

[3] Article L. 145-2 du code de commerce.

[4] Article L. 145-1 du code de commerce.

[5] CE, 24 novembre 2014, n°352402.

[6] CE, 13 décembre 2006, n°286252.

[7] Article L. 145-16 du code de commerce.

[8] Articles L. 145-14 et suivants du code de commerce.

[9] Article L. 145-14 du code de commerce.

[10] Voir par exemple : Civ. 3ème, 13 septembre 2018, n°16-19.187 ; Civ. 3ème, 15 septembre 2009, n°08-14.172.

[11] S’agissant d’un bail analogue, en l’occurrence le bail rural : CE, 7 juin 2023, Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, n° 447797.

[12] CE, 21 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n°464505.

[13] CE, 21 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n°464505.

[14] CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les Houches Saint-Gervais, n°352402.

[15] CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les Houches Saint-Gervais, n°352402

[16] CAA Bordeaux, 17 avril 2022, n°19BX02811.