La sélection du mois
Les dernières décisions résumées par la rédaction du BJCPonline.
MARCHÉS PUBLICS
CE 16 février 2024, Département des Bouches-du-Rhône, n° 488524, B.
Les articles L. 2141-8 et L. 2141-11 du code de la commande publique offrent aux acheteurs la possibilité d’exclure de la procédure de passation d’un marché public une personne suspectée d’avoir tenté d’influencer la décision de l’acheteur, sous réserve que celle-ci ne puisse démontrer son professionnalisme et sa fiabilité. Cette exclusion est soumise à une limite de trois ans à partir de la commission des faits incriminés, conformément à l’article 57 de la directive 2014/24/UE transposée en droit national. Dans un arrêt du 16 février 2024, le Conseil d’État précise cependant, qu’en cas de condamnation non définitive, cette période de trois ans débute à partir de la condamnation elle-même. Cette réglementation vise à garantir l’égalité de traitement entre les candidats dans les procédures de passation de marchés publics en limitant la prise en compte d’événements survenus il y a plus de trois ans.
Les brèves de la revue BJCP
L’actualité jurisprudentielle du droit des contrats publics sélectionnée par le comité de rédaction du BJCP.
CONCESSIONS / DÉLÉGATIONS DE SERVICE PUBLIC
CE Ass. Gén. Section des travaux publics, 8 juin 2023, Avis n° 407003
Face à la rentabilité exceptionnelle des concessions d’autoroutes, l’État peut-il résilier unilatéralement les concessions avant terme ?
Concessions d’autoroutes – Rentabilité excessive – Résiliation pour motif d’intérêt général – Altération profonde et irréversible de l’équilibre économique de la concession – Application des clauses de rachat.
La seule circonstance que le concessionnaire ait optimisé le financement de sa dette en raison de taux historiquement bas, voire négatifs, comme cela a été le cas dans la période récente, ou qu’une baisse des coûts de construction et d’entretien, corrélée à une inflation particulièrement faible, lui ait procuré des bénéfices importants, ne pourrait suffire à fonder légalement une résiliation pour motif d’intérêt général, au regard du risque de pertes que le concessionnaire a accepté de courir en contrepartie des possibilités de gains que peut lui procurer une situation économique favorable. Il ne pourrait en aller autrement que s’il était constaté une évolution particulièrement importante et durable de la rémunération des capitaux investis par le concessionnaire et de ses bénéfices, conduisant à une altération profonde et irréversible de l’équilibre économique de la concession.
CE Ass. Gén. Section des finances, 8 juin 2023, Avis n° 407004
Le législateur peut-il instituer une contribution spécifique, destinée à financer les investissements publics du plan d’avenir pour les transports, qui serait imposée aux titulaires de contrats de concession et contrats assimilés, voire aux seuls concessionnaires d’autoroutes ?
Concessions d’autoroutes – Création d’une contribution spécifique – Neutralisation de l’article 32 du cahier des charges -Atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues – Atteinte au droit des biens.
La création d’une contribution spécifique applicable aux seuls titulaires de contrats de concession, dont le modèle économique est particulier, voire aux seuls concessionnaires d’autoroutes, qui constituent une catégorie homogène, ne heurte pas le principe d’égalité devant les charges publiques. Toutefois, une disposition législative qui reviendrait sur l’engagement contractuel pris par l’État, en créant une contribution spécifique à ces sociétés ou en augmentant la fiscalité spécifique existante en dégradant l’équilibre économique et financier des concessions, tout en neutralisant la clause de compensation prévue par le contrat, présenterait, en l’absence de toute garantie légale de nature à limiter l’atteinte aux contrats en cause, et quel que soit l’objectif d’intérêt général par ailleurs poursuivi, un risque élevé d’être regardée par le juge constitutionnel comme portant une atteinte manifestement disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues. Une telle mesure législative présente également un risque important d’inconventionnalité au regard du droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH.
CEDH (5e Section) 5 octobre 2023, SARL Couttolenc Frères c/ France, n° 24300/20
L’application du régime des biens de retour à des biens dont le cocontractant était initialement propriétaire, telle qu’elle résulte de l’arrêt Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, est-elle contraire au droit au respect des biens protégé par l’article 1er du Protocole n° 1 de la CEDH ?
Concession – Biens de retour – Application aux biens initialement propriété du délégataire – Atteinte au droit au respect des biens de l’article 1er du Protocole n° 1 de la CEDH (NON).
Toute ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens doit être légale, servir un intérêt public (ou général) légitime et être raisonnablement proportionnée au but qu’elle poursuit. En l’espèce, l’ingérence est légale en tant que le régime des biens de retour est énoncé depuis longtemps dans la jurisprudence du Conseil d’État. La continuité du service public est un but d’intérêt général justifiant le régime des biens de retour, alors même qu’il s’applique à des biens qui sont la propriété initiale du délégataire. La condition de proportionnalité est acquise dès lors que l’exploitant a pu pendant de longues années exploiter les équipements en cause dans un cadre privé et que ceux-ci ont pu être amortis, d’autant plus que la jurisprudence du Conseil d’État réserve le droit à indemnisation de l’exploitant.