Les projets d’ordonnance et de décret concessions, les particularismes à l’épreuve de l’harmonisation

Clémentine LIET-VEAUXClémentine Liet-Veaux
Avocat département droit public des affaires
DS AVOCATS

À titre liminaire, il convient de rappeler que les textes sur lesquels portent les développements qui suivent ne constituent que des projets, seule la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concessions ayant été adoptée.

Les contrats de concession, contrairement aux marchés publics désormais soumis à l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (qui entrera en vigueur au premier trimestre 2016), sont toujours dans l’attente de leur définition en droit national. Le projet d’ordonnance et de décret ont fait l’objet d’une concertation publique depuis le 22 juillet 2015, laquelle s’est achevée le 30 septembre 2015. Les textes définitifs relatifs aux concessions devront tenir compte de cette concertation, dont les résultats demeurent attendus à ce jour.

Quoiqu’il en soit, les projets d’ordonnance et de décret déjà diffusés et sur lesquels la concertation publique a eu lieu donnent une indication relativement précise de l’évolution attendue du droit des concessions.

Afin d’appréhender au mieux les évolutions les plus notables – perceptibles à ce jour – du droit des concessions, il convient tout d’abord de rappeler brièvement l’état du droit actuel des concessions : le droit des contrats dits « de la commande publique », s’est construit depuis des années autour de corpus de règles nationales et internationales hétérogènes, destinées à s’appliquer à un type de contrat particulier. Les concessions, en particulier, par opposition aux marchés publics, étaient organisées par différents textes, dont en particulier les dispositions des articles L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales, elles-mêmes issues de la loi Sapin du 29 janvier 1993 pour les délégations de service public et les dispositions de l’ordonnance du 15 juillet 2009 pour les concessions de travaux.

À ces textes spécifiques aux « concessions » s’ajoutaient d’autres textes relatifs à des contrats hybrides, tels les baux emphytéotiques administratifs visés par les dispositions des articles L.1311-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales, ou encore ceux portant occupation du domaine public (visés par les dispositions des articles L. 2122-1 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques), qui pouvaient servir de support à une gestion déléguée d’un service public via une convention non détachable.

Enfin, les concessions « de services », qui ne concernaient pas un service public, n’étaient encadrées en droit national par aucune règle particulière. Leur passation et leur exécution étaient donc soumises aux principes généraux du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Reste que ce type de concession se rencontrait rarement.

L’un des premiers objectifs de la nouvelle réglementation communautaire et des projets de texte de transposition consiste en une harmonisation de ces réglementations disparates, laquelle s’accompagne d’un retour à l’objet premier de certains contrats[1].

1. Une harmonisation matérielle et organique

Désormais, en l’état des projets de textes soumis à concertation, le régime de passation ou d’exécution d’un contrat dit « de concession » est identique quel que soit le type de concession – travaux – services ou service public, seul le montant estimé de la concession (sauf pour quelques exceptions particulières) venant déterminer si le contrat doit être conclu au terme d’une procédure formalisée ou simplifiée (articles 9 et 10 du projet de décret).

Au-delà de cette harmonisation matérielle, les projets d’ordonnance et de décret visent une harmonisation organique, dès lors que toute personne visée dans l’ordonnance, c’est-à-dire les personnes morales de droit public et les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial répondant à certaines caractéristiques, les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun (article 10 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics) et enfin les entités adjudicatrices au sens de l’article 11 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, sont soumises aux mêmes règles.

Les concessions seront donc, en principe, soumises aux mêmes règles, quel que soit leur objet, mais également quelle que soit la personne morale qui les initie et les conclut.

Constitueront ainsi les futures concessions les « contrats conclus à titre onéreux, par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, dont la rémunération consiste soit dans le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit dans ce droit assorti d’un prix. Ils impliquent le transfert au concessionnaire d’un risque lié à l’exploitation de cet ouvrage ou de ce service » (article 4 du projet d’ordonnance).

La concession se définit donc au regard des éléments suivants.

Le caractère onéreux du contrat

L’objet du contrat, qui est de confier l’exécution de travaux ou la gestion d’un service.

La rémunération du concessionnaire est assurée par l’exploitation du service ou de l’ouvrage, éventuellement assortie d’un prix.

Un risque d’exploitation est transféré au concessionnaire, le décret précisant que le risque, apprécié comme une « perte potentielle » qui « ne peut pas être purement nominale et négligeable » est considéré comme existant lorsque le concessionnaire est exposé, dans des conditions normales d’exploitation, au risque de ne pas amortir les investissements ou coûts supportés.

En d’autres termes, le concessionnaire ne doit pas seulement risquer de réaliser une marge bénéficiaire moindre que celle escomptée, mais doit réellement risquer d’être déficitaire.

Si cette harmonisation conduit indéniablement à donner davantage de lisibilité aux acteurs de la commande publique, il reste que les particularités de certains contrats préexistants, et justifiées par les spécificités des matières qu’ils concernaient (l’aménagement ou encore les services publics), ne sont désormais plus prises en considération, ou bien ne font pas encore l’objet de précision, laissant apparaître le risque de quelques incohérences ou vides juridiques.

S’agissant en particulier des délégations de service public, il est à relever que le projet d’ordonnance (article 57) supprime dorénavant la référence à un service « public » dans les dispositions de l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales, pour ne viser que les seules « concessions ». Il a pu être déduit de cette suppression que les difficultés liées à la qualification de « service public » du service délégué allaient disparaître. En effet, dès lors que toutes les futures concessions auront des règles de passation et d’exécution identiques, il devrait être indifférent, pour l’avenir, de déterminer si le service « concédé » est un « service public » ou non.

Seulement, les choses ne sont pas si simples.

Le projet d’ordonnance et de décret maintiennent ainsi dans certains cas le terme « délégation de service public » ou « service public ». Il en va ainsi par exemple s’agissant des dispositions du futur article L. 1411-6 du Code général des collectivités territoriales qui impose un vote de l’assemblée délibérante préalablement à la signature de tout avenant à une « délégation de service public ».

De même, le projet de décret met à la charge du concessionnaire des obligations particulières quant au contenu du rapport qu’il doit remettre à l’autorité concédante lorsqu’il s’agit d’un « service public » (article 31 du projet de décret), ou précise également que pour la prise en compte de la valeur de la concession (et donc de la procédure simplifiée ou formalisée applicable), l’autorité concédante doit prendre en considération l’éventuelle compensation financière due en contrepartie d’obligations de service public (article 6 du projet de décret).

Il résulte de cette subsistance dans certains articles du Code général des collectivités territoriales de la mention « service public », que la question de la caractérisation d’un tel service préalablement au lancement d’une procédure de passation d’un contrat de concession demeurerait nécessairement.

Cet exemple particulier des délégations de service public illustre le fait que les projets d’ordonnance et de décret visent bien une harmonisation et non une unification du régime applicable aux différentes concessions, laissant ainsi le champ à l’expression de certaines spécificités contractuelles.

2. Une harmonisation procédurale

Les projets d’ordonnance et de décret organisent désormais deux procédures : simplifiée et formalisée, applicables quelle que soit la concession en cause, le choix de l’une ou de l’autre étant déterminé par le montant prévisionnel de la concession.

En dessous du seuil de 5 186 000 €, la procédure sera dite « simplifiée », tandis qu’au dessus, elle sera formalisée (articles 10 et 11 du projet de décret).

Notons que trois catégories de concessions seront conclues au terme d’une procédure simplifiée, indépendamment de leur montant : les services d’eau et d’assainissement, les services de transport public de voyageurs et certains services sociaux et autres services spécifiques (à noter que pour ces dernières, certaines règles relatives aux procédures formalisées sont applicables, article 11 du projet de décret).

Relevons également que le projet de décret envisage la négociation comme une faculté et non plus – pour ce qui concernait à tout le moins jusqu’ici les délégations de service public – comme une obligation. Cette évolution pourrait, dans une certaine mesure, introduire des disparités au sein de catégories de contrats relevant jusqu’ici d’une seule et même procédure. Ainsi, pour ce qui concerne des concessions portant sur un même service public, elles pourront tantôt faire l’objet d’une négociation, tantôt en être privées, selon le choix du concédant.

L’harmonisation procédurale recherchée risque d’être atténuée par cette liberté laissée au choix du pouvoir adjudicateur sur un point aussi structurant et essentiel de la procédure de dévolution d’un contrat.

Les tableaux ci-après reprennent les grandes étapes de la procédure de dévolution des concessions, selon la procédure simplifiée et formalisée.

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Procédure simplifiée Procédure formalisée
Avis de concession sur le profil de l’acheteur et si nécessaire, au BOAMP, au JAL ou dans une publication spécialisée. Avis de concession au JOUE et sur le profil de l’acheteur (BOAMP et publication spécialisée facultative).
DÉLAI
Procédure simplifiée Procédure formalisée
Pas de délai imposé : déterminé en fonction de la nature, du montant et des caractéristiques des travaux ou services, ainsi qu’au regard des opérateurs économiques susceptibles d’être intéressés.Le délai prend également en considération la nécessité d’une visite sur les lieux d’exécution du contrat. Délai de 30 jours minimum pour la candidature (25 en cas de transmission électronique) et de 22 jours (17 en cas de transmission électronique) pour l’offre à compter de l’envoi de l’invitation à remettre une offre.Le délai sera plus important en cas de nécessité de visite sur les lieux d’exécution du contrat.

À noter que la possibilité existant désormais de recevoir les candidatures avec les offres, l’autorité concédante peut, en principe, prévoir un délai de 30 jours minimum pour recevoir les candidatures accompagnées des offres.

 

 

CANDIDATURE
Procédure simplifiée Procédure formalisée
L’autorité concédante mentionne dans les documents de la consultation les critères de sélection des candidatures, non discriminatoires et liés à l’objet du marché.L’autorité concédante peut fixer des niveaux minimum de capacité, précisés dans l’avis de concession ou, en l’absence d’un tel avis, dans un autre document de la consultation.

L’autorité concédante peut exiger des renseignements non discriminatoires et proportionnés à l’objet du contrat.

L’autorité concédante vérifie les conditions de participation relatives aux capacités et aux aptitudes du candidat à exécuter le contrat.

L’autorité peut limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre.

Sur demande à cette fin, l’autorité concédante communique à tout candidat écarté les motifs du rejet de sa candidature, dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la demande.

L’autorité concédante mentionne dans les documents de la consultation les critères de sélection des candidatures, non discriminatoires et liés à l’objet du marché.L’autorité concédante peut fixer des niveaux minimum de capacité, précisés dans l’avis de concession ou, en l’absence d’un tel avis, dans un autre document de la consultation.

L’autorité concédante peut exiger des renseignements non discriminatoires et proportionnés à l’objet du contrat.

L’autorité concédante vérifie les conditions de participation relatives aux capacités et aux aptitudes du candidat à exécuter le contrat.

L’autorité peut limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre.

Indication, le cas échéant, du rejet des candidatures. Cette notification précise les motifs du rejet et doit respecter un délai minimal de 16 jours avant la signature du contrat (ramené à 11 en cas de transmission électronique). À noter que cette règle vaut également pour les contrats portant sur les services sociaux ou spécifiques d’un montant supérieur à 5 186 k€.

 

OFFRES
Procédure simplifiée Procédure formalisée
Offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques du DCE sont rejetées. Sur demande en ce sens, l’autorité concédante aura 15 jours à compter de la réception de la demande pour informer le soumissionnaire du rejet de son offre.L’autorité concédante indique dans l’avis de concession, tout autre document de la consultation ou, le cas échéant, dans l’invitation à présenter une offre, les critères de sélection des offres et leur description. À noter que la pluralité de critères est obligatoire. Offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques du DCE sont rejetées. Les soumissionnaires écartés en sont avertis dans les mêmes conditions que celles prévues pour le rejet des candidatures.L’autorité concédante indique dans l’avis de concession, tout autre document de la consultation ou, le cas échéant, dans l’invitation à présenter une offre, les critères de sélection des offres et leur description. Elle indique également leur hiérarchisation, par ordre décroissant d’importance. À noter que la pluralité de critères est obligatoire.

L’autorité dispose, à titre exceptionnel et sous conditions, de la possibilité de modifier l’ordre des critères pour tenir compte du caractère innovant d’une solution présentée dans une offre.

 

NÉGOCIATIONS
Procédure simplifiée Procédure formalisée
L’autorité concédante peut décider d’organiser une négociation avec les soumissionnaires. La négociation ne peut pas porter sur l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. L’autorité concédante peut décider d’organiser une négociation avec les soumissionnaires. La négociation ne peut pas porter sur l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation.

 

ACHÈVEMENT DE LA PROCÉDURE
Procédure simplifiée Procédure formalisée
Sur demande à cette fin, l’autorité concédante communique à tout soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre, ainsi que le nom du ou des attributaires du contrat de concessions, dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la demande.Sauf offre inappropriée ou ne respectant pas les conditions et caractéristiques indiquées dans les documents de la consultations, et sur demande en ce sens, l’autorité concédante est tenue d’indiquer les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, sous 15 jours à compter de la réception de la demande.ATTENTION : strictement, les dispositions de l’article 28 du projet de décret afférentes au délai de standstill renvoient uniquement aux concessions passées selon la procédure formalisée (et aux contrats portant sur les services sociaux ou spécifiques d’un montant supérieur à 5 186 k€). La doctrine et la fiche d’impact du décret paraissent toutefois considérer que l’obligation d’un délai de standstill trouverait à s’appliquer y compris en procédure simplifiée.Envoi d’un avis d’attribution selon les mêmes modalités que l’avis de concession.L’autorité concédante doit mettre sur son profil acheteur un accès libre, direct et complet aux données essentielles du contrat de concession. L’autorité concédante notifie le rejet de leurs offres aux soumissionnaires et précise les motifs du rejet (délai minimal de 16 jours avant la signature du contrat, ramené à 11 en cas de transmission électronique).La notification précise également le nom du ou des attributaires et les motifs qui ont conduit au choix de l’offre.

Sauf offre inappropriée ou ne respectant pas les conditions et caractéristiques indiquées dans les documents de la consultations, et sur demande en ce sens, l’autorité concédante est tenue d’indiquer les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, sous 15 jours à compter de la réception de la demande.

À noter que ces règles s’appliquent aux contrats portant sur les services sociaux ou spécifiques d’un montant supérieur à 5 186 k€.

Envoi d’un avis d’attribution dans les 48 jours à compter de la notification du contrat de concession, selon les mêmes modalités que celles de l’avis de concession. À noter que cette règle s’applique aux contrats portant sur les services sociaux ou spécifiques d’un montant supérieur à 5 186 k€ (mais ces contrats peuvent aussi faire l’objet d’un avis global chaque trimestre, au plus tard 48 jours après la fin de chaque trimestre).

La notification du contrat comporte l’indication de la durée du délai de suspension que l’autorité s’impose entre la notification et la signature du contrat.

L’autorité concédante doit mettre sur son profil acheteur un accès libre, direct et complet aux données essentielles du contrat de concession.

 

RENONCEMENT À LA PROCÉDURE
Procédure simplifiée Procédure formalisée
L’autorité concédante informe, dans les plus brefs délais, les candidats ou soumissionnaires des motifs de sa décision de ne pas attribuer le contrat ou de recommencer la procédure. L’autorité concédante informe, dans les plus brefs délais, les candidats ou soumissionnaires des motifs de sa décision de ne pas attribuer le contrat ou de recommencer la procédure.

Enfin, il est à noter que l’harmonisation procédurale s’étend aux exceptions à la mise en concurrence, les projets d’ordonnance et de décret consacrant les dérogations telles qui la quasi-régie (qui renvoie à l’exception anciennement connue sous l’expression in house), la coopération horizontale, l’existence de droits exclusifs ou encore les exceptions sectorielles.

En conclusion, les projets d’ordonnance et de décret constituent en l’état une progression évidente vers l’harmonisation des procédures préexistantes et permettent une clarification bienvenue des contrats de la commande publique, et de leurs modalités de passation.

Reste qu’en l’état, cette harmonisation continue à soulever des interrogations, notamment s’agissant des délégations de service public ou des concessions d’aménagement qui constituent des particularismes français. Gageons que la concertation publique dans un premier temps, et la pratique et le juge administratif dans un second, sauront concilier harmonisation et spécificité.

Pour plus d’informations sur le sujet, inscrivez-vous aux Journées du BJCP les 2 et 3 décembre prochains à Paris.

[1] L’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics exclut en effet désormais que tout bail emphytéotique administratif ou toute autorisation d’occupation du domaine public ait pour objet notamment la gestion d’une mission de service public ou la prestation de services (articles 101).

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