Le marché global, outil privilégié du plan de relance

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

François Tenailleau
Avocat Associé
CMS Francis Lefebvre Avocats

Le plan de relance

Le plan « France Relance » présenté par le Gouvernement le 3 septembre 2020 prévoit une enveloppe de 6,7 milliards d’euros dédiée à la rénovation énergétique des bâtiments publics et privés et des logements, dont 4 milliards pour la rénovation des bâtiments publics de l’État et des collectivités territoriales. Ce financement doit notamment permettre d’atteindre les objectifs déjà fixés par le « décret tertiaire » du 23 juillet 2019[1] qui oblige les bâtiments tertiaires, publics ou privés, de plus de 1 000 m² à réduire leur consommation d’énergie finale d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à 2010 ; 2,7 milliards sont plus particulièrement consacrés à la rénovation énergétique du parc immobilier de l’État. À l’issue de deux appels à projets, 4214 dossiers, portant sur des bâtiments du ressort des administrations de l’État ou de ses établissements publics, ont été sélectionnés sur leur objectif de performance énergétique.

La circulaire du 21 janvier 2021

Une circulaire du Premier ministre du 21 janvier 2021, relative aux outils et instructions à l’usage des porteurs de projets immobiliers de l’État[2] incite à privilégier les marchés globaux pour la mise en œuvre du plan de relance. Elle s’accompagne d’un guide pédagogique établi par la Direction de l’Immobilier de l’État (DIE), qui va dans le même sens. En effet, les marchés relatifs aux 4214 projets retenus devront avoir été obligatoirement notifiés avant décembre 2021 et être achevés au plus tard le 31 décembre 2023. Or, les marchés globaux nécessitent une seule procédure pour choisir un groupement associant la maîtrise d’œuvre et tous les corps d’état nécessaires. En outre, ils s’avèrent généralement plus efficient en phase d’exécution que les marchés allotis pour garantir les coûts, les prestations et les délais.

Cette incitation à recourir aux marchés globaux participe d’un mouvement plus général en faveur des contrats globaux à financement public, notamment grâce développement des marchés globaux de performance, facilité lors de la réforme de la commande publique de 2015-2016 mais aussi par l’extension qui semble – presque – sans limite des marchés globaux sectoriels dans et hors Code la commande publique.

Qu’est-ce qu’un marché global ?

Pour rappel[3], les marchés globaux sont des contrats à objet composite, par lesquels un acheteur confie à un opérateur économique une mission globale comportant des prestations de nature différente (conception et réalisation d’un investissement ou conception et/ou réalisation, exploitation – maintenance, voire d’autres types de prestations) moyennant le paiement d’un prix ou de tout équivalent. Ces marchés globaux constituent donc une exception à la règle de l’allotissement, mais également, le cas échéant, au principe de séparation de la conception et de la réalisation des travaux. En l’absence de dérogation à l’interdiction de paiement différé, les marchés globaux ne comportent pas en règle générale de mission de financement, mais cela reste une possibilité pour les acheteurs non soumis à ladite interdiction. Trois types de marchés globaux sont expressément identifiés par le Code de la commande publique. Ils figurent au chapitre Ier du titre VII du livre Ier de la deuxième partie du dit Code (articles L. 2171-1 et s.) : il s’agit des marchés de conception-réalisation, des marchés globaux de performance et des marchés globaux sectoriels. D’autres marchés globaux existent cependant : marchés globaux figurant dans des textes non intégrés dans le code de la commande publique ou marchés à objet composite dérogeant à l’obligation d’allotir.

Loi ASAP et marchés globaux

Parmi les développements récents, on peut noter que la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (dite « Asap ») a créé un nouveau cas de marché global sectoriel et étendu les possibilités offertes pour un autre. Ainsi, son article 143 complète l’article L. 2171-4 du Code de la commande publique : un 5° (nouveau) prévoit la possibilité de recourir à ce type de marché pour la conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien des infrastructures linéaires de transport de l’État. Son article 144, modifie, à nouveau, les dispositions relatives aux marchés globaux sectoriels auxquels la Société du Grand Paris peut avoir recours, prévues à l’article L. 2171-6 (la précédente modification datant de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, dite « LOM »). Il s’agit notamment de permettre que les titulaires de ces contrats puissent participer à la construction et à la valorisation des immeubles connexes aux gares. Ces nouvelles extensions des marchés globaux, qui montrent leur succès, n’ont donné lieu à aucune remarque du Conseil constitutionnel saisi de la loi ASAP, alors même que les marchés globaux constituent, dans une certaine mesure, des contrats dérogatoires au droit commun de la commande publique (décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003).

Les trois catégories de marchés globaux visées à l’article L. 2171-1 du code de la commande publique voient leur régime en matière d’accès des PME s’aligner sur celui des marchés de partenariat. L’article 131 de la loi Asap pérennise ainsi le dispositif prévu par l’ordonnance n° 2020-738 du 17 juin 2020 modifiée, portant sur l’adaptation du régime des contrats publics à la crise sanitaire. Il prévoit que le titulaire de marchés globaux doit confier à des PME ou des artisans une quote-part minimale des prestations, fixée par décret (l’ordonnance prévoyait 10%, comme pour les marchés de partenariat), cette quote-part constituant par ailleurs un critère d’attribution. Là encore le Conseil constitutionnel n’a apparemment rien trouvé à redire à ce quota de PME sous-traitantes, auquel, il y a quelques années, le Conseil d’État avait pourtant paru réticent (CE, 9 juillet 2007, n° 297711, publié au Recueil). Cela étant, comme le rappelle le guide de la DIE joint à la circulaire du 21 janvier 2021, les marchés globaux ne portent pas nécessairement sur des opérations immobilières importantes, en pratique réalisées par des entreprises également importantes. Même si le cas est relativement peu fréquent, compte tenu de l’acceptation stricte de la notion de PME par la réglementation, celles-ci pourraient donc être titulaires (ou co-titulaires) de marchés globaux. On peut penser que dans ce cas la part détenue par la PME titulaire devrait avoir vocation à entrer dans le calcul du quota.

L’échec à relativiser de la loi de finances pour 2021 pour élargir le champ des marchés globaux

L’article 243 de la loi de finances prévoyait de déroger au principe de séparation de la conception et de la réalisation des travaux pour des opérations de rénovation énergétique financées par le plan « France Relance ». Cette disposition aurait permis de recourir aux marchés de conception-réalisation pour les opérations de réhabilitation d’un ouvrage ou d’un ensemble d’ouvrages, d’un montant égal ou supérieur à un millions d’euros, dès lors qu’elles comportaient des travaux visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments. Considérée comme un cavalier budgétaire, disposition n’ayant pas sa place dans une loi de finances, cette mesure a été déclarée non conforme par le Conseil constitutionnel (n° 2020-813 DC du 28 décembre 2020).

À vrai dire, la censure de cette disposition n’est pas un obstacle dirimant au recours aux marchés globaux pour la mise en œuvre du plan de relance en matière de rénovation énergétique, comme le montre le guide pratique de la DIE précité. En premier lieu, si le projet a vocation à satisfaire un objectif de performance mesurable dans le temps en matière d’efficacité énergétique, il peut être recouru aux marchés globaux de performance, prévus par l’article L. 2171-3 du code de la commande publique. Il s’agit dans cas de véritables contrats de performance énergétique[4], comportant un engagement de diminution des consommations énergétiques réelles de l’ouvrage, vérifiée et mesurée dans la durée. En second lieu, un marché de conception-réalisation, tel que défini par l’article L. 2171-2 du Code de la commande publique peut être utilisé si un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique peut être obtenu. Le respect de l’engagement, vérifié à l’achèvement des travaux, porte alors sur un niveau de performance théorique.

Ainsi, le développement des contrat globaux à financement public, abondé par les fonds du plan France Relance semble promis à un bel avenir en matière de rénovation énergétique des bâtiments publics, spécialement lorsqu’il s’agit de l’État et de ses établissements publics. Il ne faudrait pas pour autant oublier que d’autres outils existent qui, à moyen terme, pourraient permettre de relayer dans ce domaine l’effort financier public, sans doute pas illimité, alors que les engagements internationaux de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre paraissent encore difficiles à atteindre. Dans ce domaine, le recours aux contrats globaux à financement privé total ou partiel ne doit pas être systématiquement écarté. On se priverait sinon de l’effet de levier engendré par l’apport des capitaux privés et du caractère vertueux de cet apport pour la bonne réalisation du projet, dans le délai et le budget.

[1] Décret en vigueur depuis le 1er octobre 2019, codifié aux articles R. 131-38 à R. 131-44 du Code de la construction et de l’habitation. Voir aussi ses arrêtés d’application : arrêté du 10 avril 2020 dit « Méthode » et arrêté du 24 novembre 2020 dit « Valeurs Absolues » publié au JORF du 17 janvier 2021.

[2] Circulaire non publiée à ce jour.

[3] F. Tenailleau, Marchés globaux, JurisClasseur Contrats et Marchés Publics Fasc. 65

[4]F. Tenailleau, Contrats de performance énergétique, JurisClasseur Contrats et Marchés Publics Fasc. 650.