Le marché global de performance énergétique à paiement différé : nouvel outil contractuel pour la rénovation des bâtiments publics

Laurent BIDAULT
Avocat Associé
NOVLAW Avocats

Comme l’ont relevé les députés à l’origine de la loi n°2023-222 du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique, les bâtiments publics de l’État et des collectivités locales représentent 380 millions de m², soit 37 % du parc tertiaire national et ils sont dans le même temps responsable de 76 % de la consommation énergétique des communes.

La rénovation énergétique des bâtiments publics s’inscrit donc dans les objectifs d’économie d’énergie et de neutralité carbone à l’horizon 2050, mais elle constitue également un facteur de relance de l’économie, en particulier du secteur du BTP, par la demande publique.

Afin d’encourager la réalisation de travaux de rénovation énergétique des bâtiments publics, la loi du 30 mars 2023 a ouvert la possibilité pour l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements de recourir au marché global de performance énergétique avec un paiement différé (MGPEPD ou MGPE-PD).

Très schématiquement, il s’agit d’inclure dans le cadre d’un marché global de performance énergétique « classique », un mécanisme de tiers financement, le coût de l’investissement n’est alors pas supporté immédiatement par l’acheteur public.

Outre ce texte, plusieurs actions sont en parallèle initiées afin de favoriser le recours au MGPEPD, en particulier celle de l’ADEME et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) qui ont lancé très récemment un programme de financement et d’accompagnement pour la préparation et la passation de ce marché[1].

Le marché global de performance énergétique « classique » et l’interdiction du paiement différé

Il faut tout d’abord rappeler que le marché global de performance permet à un acheteur d’associer l’exploitation et/ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations, en particulier de travaux, afin de remplir des objectifs chiffrés de performance énergétique[2].

Ces objectifs sont définis contractuellement en termes de niveau d’activité, de qualité de service, d’efficacité énergétique ou d’incidence écologique notamment[3].

Bien que dérogeant à certaines des règles applicables aux marchés publics, notamment l’obligation d’allotissement des prestations, le marché global de performance énergétique est soumis à l’interdiction de paiement différé.

Dès lors, le maître ouvrage ne peut donc pas différer le paiement du coût des travaux confiés au titulaire du contrat sur la phase d’exploitation, notamment.

De même, le maître d’ouvrage ne peut pas faire appel à tiers qui réaliserait l’investissement lié aux coûts des travaux, avant de rembourser à ce tiers l’avance et les intérêts associés à compter de la date de livraison des travaux.

C’est à cet égard que les députés auteurs de la proposition de loi du 30 mars 2023 ont identifié cette interdiction comme constituant un frein pour les acheteurs publics de réaliser des travaux de rénovation énergétique des bâtiments publics qui constituent des investissements importants (notamment les établissements scolaires).

L’instauration du marché global de performance énergétique à paiement différé

Le MGPEPD, issu de la loi du 30 mars 2023, est un marché global de performance qui a pour objet la rénovation énergétique d’un ou de plusieurs bâtiments.

Comme évoqué, le recours à ce marché est limité à l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements.

L’objet du contrat est également limité à la réalisation de travaux de rénovation énergétique d’un ou de plusieurs des bâtiments de ces derniers.

On notera enfin que ce dispositif est instauré à titre expérimental pour une durée de cinq ans à compter du 31 mars 2023 et qu’il doit faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation de la part de l’État, au moyen d’un rapport sur les contrats conclus qui sera remis au Parlement[4].

Les dispositions financières propres au marché global de performance énergétique à paiement différé

Ce contrat déroge donc à certaines des dispositions du code de la commande publique en matière d’exécution financière : en particulier, celles relatives donc à l’interdiction du paiement différé, mais également celles portant sur le versement des avances et des acomptes, sur le régime des paiements, ou encore celles relatives aux garanties et cessions ou nantissements des créances.

Par ailleurs, l’article 1er de la loi du 30 mars 2023 prévoit que pour le calcul de la rémunération du titulaire du MGPEPD, le contrat doit préciser les conditions dans lesquelles sont prises en compte et identifiées :

  • Les coûts d’investissement, en particulier les coûts d’études et de conception, les coûts de construction, les coûts annexes à la construction et les frais financiers intercalaires ;
  • Les coûts de fonctionnement, notamment les coûts d’entretien, de maintenance et de renouvellement des ouvrages et des équipements ;
  • Les coûts de financement ;
  • Le cas échéant, les revenus issus de l’exercice d’activités annexes ou de la valorisation du domaine.

S’agissant plus précisément du financement et des conditions dans lesquelles l’acheteur peut les apprécier au stade de l’analyse des offres, l’acheteur peut prévoir que les modalités de financement indiquées dans l’offre finale des soumissionnaires présentent un caractère ajustable[5].

Cependant, ces ajustements ne peuvent porter que sur la composante financière du coût global du contrat et ne peuvent pas être qu’uniquement fondés sur la variation des modalités de financement.

De plus, ces ajustements ne peuvent avoir pour effet ni de remettre en cause les conditions de mise en concurrence en exonérant l’acheteur de l’obligation de respecter le principe du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ni de permettre au titulaire pressenti de bouleverser l’économie de son offre.

Par ailleurs, le soumissionnaire auquel il est envisagé d’attribuer le contrat doit présenter le financement définitif dans un délai fixé par l’acheteur.

À défaut, le contrat ne peut lui être attribué et le soumissionnaire dont l’offre a été classée immédiatement après la sienne peut être sollicité pour présenter le financement définitif de son offre dans le même délai.

L’encadrement du recours au marché global de performance énergétique à paiement différé

Sans entrer dans les détails sur ce point, le MGPEPD est un marché global de performance, de sorte que ce sont les règles de publicité et de mise en concurrence applicables à ce dernier qui s’appliquent.

Néanmoins, la loi du 30 mars 2023 impose à l’acheteur la réalisation d’études préalablement au lancement de la procédure de passation, à l’instar des études réalisés en amont du marché de partenariat.

Obligatoirement avant le lancement de la procédure de passation du MGPEPD, l’acheteur doit réaliser une étude préalable dont l’objet de démontrer l’intérêt du recours à ce montage contractuel, ainsi qu’une étude de soutenabilité budgétaire, laquelle doit pouvoir permettre d’apprécier les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits.

Un décret n°2023-913 du 3 octobre 2023[6] précise les conditions de réalisation et le contenu de ces études.

Pour conclure, on peut signaler l’initiative de la Mission d’appui au financement des infrastructures (Fin Infra) qui a élaboré un guide d’accompagnement pour la réalisation de ces études[7].

L’étude préalable

L’étude préalable doit comprendre tout d’abord une présentation générale du projet (caractéristiques, équilibre économique, enjeux), des compétences de l’acheteur (en particulier ses capacités financières) et des éléments permettant d’apprécier la performance énergétique du projet[8].

L’étude préalable doit également intégrer une analyse comparative des montages contractuels de la commande publique conduisant au recours à un marché global de performance énergétique à paiement différé. Cette analyse comparative peut notamment se fonder sur les objectifs de performance retenus par l’acheteur, le périmètre des missions susceptibles d’être confiées au titulaire, la répartition des risques ou encore la structure de financement[9] et son incidence sur le coût du projet.

L’étude préalable est ensuite soumise pour avis à l’organisme expert constitué pour évaluer le recours au marché de partenariat[10].

Cet avis est rendu dans un délai d’un mois à compter de sa saisine. À défaut de réponse à l’issue de ce délai, l’avis est réputé favorable.

En outre, l’étude préalable est soumise pour l’État à l’autorisation des autorités administratives compétentes et pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, présentée à l’assemblée délibérante ou à l’organe délibérant, qui se prononce sur le principe du recours à un marché global de performance.

Notons que le cas échéant cette étude peut être mutualisée entre les acheteurs concernés.

L’étude de soutenabilité budgétaire

L’étude de soutenabilité budgétaire doit prendre en compte tous les aspects financiers du projet de marché global de performance énergétique à paiement différé[11].

Elle inclut notamment, sans être exhaustif, le coût prévisionnel du contrat pour le ou les acheteurs concernés, la part que le coût prévisionnel représente par rapport à la capacité d’autofinancement annuelle de l’acheteur, et son effet sur sa situation financière, l’impact du contrat sur l’évolution des dépenses obligatoires de l’acheteur, une analyse des coûts prévisionnels pouvant résulter d’une rupture anticipée du contrat ou encore une appréciation des principaux risques du projet.

L’étude de soutenabilité budgétaire est soumise au ministre chargé du budget qui doit émettre un avis motivé sur cette étude.

Le ministre se prononce dans un délai d’un mois suivant sa saisine et à défaut, son avis est réputé favorable.

L’encadrement spécifique pour l’État et ses établissements publics

Pour conclure, il faut relever que, s’agissant des projets portés par l’État et ses établissements publics, tant le lancement de la procédure de passation du marché que la signature de celui-ci doivent faire l’objet d’une autorisation de la part des ministres chargés du budget et de l’économie, voire le cas échéant du ministre de tutelle[12].

Néanmoins, l’accord de ces derniers est réputé acquis à défaut de réponse expresse dans un délai d’un mois à compter de la réception des études ou du projet de contrat.

[1] https://programme-cee-actee.fr/programmes/appel-a-projets-amo-cpe-actee-ademe/

[2] Article L. 2171-3 du code de la commande publique.

[3] À tous égards, on peut signaler les clausiers types réalisés sous l’égide notamment de la FNCCR pour le marché global de performance énergétique « classique » et le marché global de performance énergétique à paiement différé.

[4] L’article 3 de la Loi du 30 mars 2023 précise l’objet et le périmètre de ce rapport.

[5] Article 2 de la loi du 30 mars 2023

[6] Décret n° 2023-913 du 3 octobre 2023 relatif aux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé.

[7] https://www.economie.gouv.fr/fininfra

[8] Articles 1 à 3 du décret n° 2023-913 du 3 octobre 2023

[9] Étant précisé que le paiement différé ne peut constituer le seul argument de recours à ce marché.

[10] Article L. 2212-2 du code de la commande publique

[11] Articles 4 à 6 du décret n° 2023-913 du 3 octobre 2023

[12] Articles 7 à 8 du décret n° 2023-913 du 3 octobre 2023