Cession foncière avec charges et marché public

Laurent BIDAULT
Avocat à Cour
Novlaw Avocats

La cession foncière avec charges est un contrat de vente immobilière aux termes duquel la personne publique propriétaire du bien immobilier va céder celui-ci à un tiers en contrepartie du versement d’un prix et de la réalisation d’aménagements qui seront imposés par elle.

Ces charges, qui s’imposent donc à l’acquéreur et conditionnent la vente peuvent notamment consister en la réalisation d’aménagements et d’équipements répondant à l’intérêt général : réalisation d’infrastructures routières, de parkings ou par exemple des logements sociaux, de bureaux ou encore de locaux d’activité.

Ce montage immobilier constitue donc un outil souple pour la personne publique afin de valoriser son patrimoine : vente d’un bien tout en imposant la réalisation d’équipements. Et cela, sans publicité ni mise en concurrence pour les personnes publiques autres que l’État.

Le risque de requalification de la cession foncière avec charges en marché public est néanmoins réel.

Objet et intérêt de la cession foncière avec charges pour la personne publique

La cession foncière avec charges s’avère un outil souple et efficace pour la personne publique. Ainsi, comme il a été exposé ci-dessus, dans le cadre de ce montage, la personne publique va céder un bien immobilier appartenant à son domaine privé à un tiers, en contrepartie du versement d’un prix et de charges, à savoir la réalisation d’aménagements qu’elle va imposer à l’acquéreur.

Dans ce cadre, le prix de cession du bien pourra alors être inférieur au prix du marché afin de « compenser » les charges imposées à l’acquéreur.

Rappelons en effet qu’une personne publique a la possibilité de céder un bien à un prix inférieur à sa valeur réelle (c’est-à-dire de consentir une libéralité), dès lors que cette cession est justifiée par des motifs d’intérêt général et qu’elle s’accompagne de contreparties suffisantes pour la personne publique[1].

C’est notamment le cas de l’engagement du cessionnaire de réaliser des équipements publics en faveur de la personne publique[2].

En définitive, par le biais de ce montage et de cette cession, la personne publique valorise son patrimoine en bénéficiant tout à la fois du versement d’un prix et d’équipements d’intérêt général qui seront à réaliser par l’acquéreur en contrepartie de la vente.

Pour les personnes publiques autres que l’État[3], son recours présente en outre l’avantage (et non des moindres) de ne pas être encadré par des règles de publicité et de mise en concurrence préalables, comme peuvent l’être les contrats de la commande publique[4], ce qui offre une relative souplesse pour les collectivités territoriales ou les sociétés publiques d’aménagement en particulier.

Cette dernière doit néanmoins respecter les règles afférentes à la vente immobilière des biens des personnes publiques : notamment l’obligation de désaffectation et de déclassement du bien s’il appartient au domaine public, l’avis du représentant de l’État sur la vente et ses conditions, ou encore l’éventuelle autorisation de signature du contrat de vente par l’assemblée délibérante.

Le risque principal de la cession foncière avec charges : la requalification en marché public

Le risque principal auquel s’exposent les personnes publiques qui recourent à la cession foncière avec charges est la requalification de celle-ci en marché public.

Ainsi, elle est susceptible d’être qualifiée de marché public de travaux, principalement, dans le cas où la personne publique agirait non pas en qualité de « simple » vendeur, mais en qualité d’acheteur public (au sens du code de la commande publique).

À cet égard, le juge recherche si l’objet principal du contrat de cession n’est pas de confier à l’acquéreur la réalisation de travaux en vue de la construction, selon des spécifications précises imposées par la personne publique, d’ouvrages qui, même destinés à des tiers, répondent à un besoin d’intérêt général défini par celle-ci[5].

Le contrat de cession abrite alors en réalité un marché public.

Ces considérations sont à rapprocher de l’article L. 1312-1 du code de la commande publique qui prévoit que lorsqu’un acheteur conclut un contrat unique destiné à satisfaire des besoins, « objectivement indissociables », qui, d’une part, relèvent du droit commun des marchés publics et, d’autre part, ne relèvent pas du code de la commande publique, ce contrat est soumis aux dispositions applicables à son objet principal[6].

En d’autres termes, lorsque le montage contractuel a pour objet, à la fois, une opération immobilière et la réalisation de travaux publics, si ces derniers sont accessoires à « l’objet principal » de la cession et indissociables à celle-ci, alors il s’agit d’un contrat immobilier relevant du droit privé, et non pas un marché public.

Des charges imposées par la personne publique dans l’intérêt de l’opération

Pour éviter que la cession foncière soit regardée comme un marché public, il faut donc que les charges imposées par la personne publique soient avant tout dans l’intérêt de l’opération (et pas uniquement dans l’intérêt général).

Par exemple, la « charge » consistant en la réalisation d’équipements routiers (nouvelle voirie, carrefour) par l’acquéreur de parcelles du domaine privé, répond à l’intérêt propre de celui-ci pour l’exploitation du centre commercial projeté, la réalisation de ces équipements ne constitue pas l’objet principal du contrat[7].

C’est également le cas lorsque les charges imposées résident en la demande d’une commune au cessionnaire de modifier la taille des appartements qu’envisage de réaliser ce dernier sur le terrain cédé par la commune[8] ou qu’elles constituent des orientations très générales données par la commune[9], l’opération ne répond pas à un besoin de la personne publique.

Pour conclure, on peut relever que lorsque les travaux « exigés » par la personne publique ne constituent qu’une modalité de paiement d’une partie du prix de vente, ne représentant qu’un quart de ce prix[10], la cession foncière n’est pas regardée comme un marché public.

En définitive, tout est donc une affaire d’espèce.

Et chaque opération de cession foncière tout comme la nature des charges éventuellement imposées à l’acquéreur doivent donc être appréciées au cas par cas au regard de l’intérêt général et de l’intérêt de l’opération, afin d’apprécier si elle ne dissimule pas en réalité un marché public.

[1] CE, 14 octobre 2015, Commune de Châtillon-sur-Seine, n°375577 ; CAA Nancy, 8 février 2018, SCI Les Grands champs, n°16NC01226.

[2] Par exemple : CAA Douai, 25 octobre 2012, Société Immobilière Carrefour, n°11DA01951.

[3] Article R. 3211-2 du Code général de la propriété des personnes publiques.

[4] CE, 27 mars 2017, Sociétés Procedim et Sinfimmo, n° 390347 ; CE, 16 avril 2019, n°420876 ; « Aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à une personne morale de droit public autre que l’État de faire précéder la vente d’une dépendance de son domaine privé d’une mise en concurrence préalable » ; CAA Bordeaux, 18 juillet 2016, n°15BX00192. La personne publique peut cependant faire le choix de soumettre la cession de son bien dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence, mais elle devra alors respecter cette procédure (par exemple : CAA Nancy, 23 juillet 2020, n° 18NC02029).

[5] Voir particulièrement en ce sens : CAA Marseille, 25 févr. 2010, Commune de Rognes, n°07MA03620 : « Aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux collectivités locales de faire précéder la simple cession d’un immeuble du domaine privé de mesures de publicité et d’organiser une mise en concurrence des acquéreurs éventuels; que, toutefois, la conclusion par ces personnes publiques de contrats emportant cession d’un immeuble de leur domaine privé dont l’objet principal est de confier à un opérateur économique la réalisation de travaux en vue de la construction, selon des spécifications précises imposées par lesdites personnes publiques, d’ouvrages qui, même destinés à des tiers, répondent à un besoin d’intérêt général défini par lesdites collectivités, est soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique » ; CAA Bordeaux, 18 juillet 2016, n°15BX00192 ; CAA Nancy, 22 juin 2021, n° 19NC02745.

[6] Article L. 1312-1 du Code de la commande publique.

[7] CAA Douai 25 octobre 2012, n° 11DA01951 ; Voir également en ce sens : CAA Nantes, 19 avril 2013, n° 12NT00071

[8] CAA Nancy, 22 juin 2021, n° 19NC02745.

[9] CAA Bordeaux, 18 juillet 2016, n°15BX00192.

[10] CAA Nantes, 19 septembre 2014, n° 12NT02593.