Le retour des VEFA publiques ?

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

[vc_row][vc_column][vc_column_text]Depuis trois ans, les évolutions des textes de droit interne relatifs à la commande publique ont apparemment tordu le cou aux VEFA dites publiques, c’est-à-dire celles permettant l’acquisition d’équipements publics spécifiques par les personnes publiques. Le bilan que l’on peut aujourd’hui en tirer laisse penser qu’une réintroduction de ces VEFA publiques dans notre droit positif pourrait être une solution. 

L’impact de l’ordonnance du 23 juillet 2015 sur les VEFA publiques

Cette évolution trouve sa source dans l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui, en supprimant la condition de maîtrise d’ouvrage publique dans la définition des marchés publics de travaux au sens du droit interne, a eu pour effet d’étendre le champ d’application des règles de passation et d’exécution des marchés publics aux VEFA que les personnes publiques avaient l’habitude de conclure pour l’acquisition d’équipements publics imbriqués dans des ensembles immobiliers plus vastes dont elles n’étaient pas à l’origine de la conception.

Cette pratique était ancrée dans notre droit positif puisque le Conseil d’État, après avoir confirmé la liberté contractuelle des personnes publiques et leur faculté de recourir au contrat de droit privé que constitue la VEFA, avait concilié cette pratique avec la loi MOP du 12 juillet 1985 en soustrayant à l’obligation de maîtrise d’ouvrage publique les acquistions d’équipements publics imbriqués, quand bien même des spécifications techniques étaient imposées par la personne publique dans le cadre de cette acquisition (cf. CE, avis, 31 janvier 1995, n°356 960) : « Il en va ainsi alors même que l’État demanderait que soient prises en compte au stade de la conception du bâtiment des spécifications techniques particulières relatives aux besoins de ses services de police »). Partant, en l’absence de maîtrise d’ouvrage publique, ces opérations étaient exclues du champ des marchés publics de travaux au sens du droit interne, puisque le code des marchés publics retenait comme condition de définition d’un marché public de travaux le fait que la personne publique soit maître d’ouvrage desdits travaux.

Elles devaient toutefois être soumises aux procédures de passation prévues par les directives communautaires lorsque l’opération était qualifiée de marché public de travaux, au sens des directives et que le montant des travaux dépassait le seuil des procédures formalisées, ou au principe de transparence lorsqu’elles présentaient un intérêt transfrontalier.

À présent ces opérations d’acquisition ou de baux en l’état futur d’achèvement de volumes imbriqués dans un ensemble immobilier complexe entrent dans le champ des marchés publics de travaux, au sens de l’article 5 de l’ordonnance, puisque, comme nous l’avons déjà indiqué, celle-ci a complétement transposé les directives européennes en supprimant la condition de maîtrise d’ouvrage publique de la définition des marchés publics de travaux.

Certaines VEFA publiques demeurent légales en dehors du champ de la commande publique

Comme l’ont déjà noté les professeurs Llorens et Soler-Couteaux (« Le sort des VEFA « publiques » après le décret du 25 mars 2016, CMP, mai 2016, Repère p. 1), il faut immédiatement réserver certaines certaines hypothèses dans lesquelles les acheteurs publics peuvent recourir à la vente ou au bail d’immeuble à construire demeurent inchangées.

C’est le cas d’abord lorsque les constructions acquises ou louées peuvent être considérées comme juridiquement entamées lors de la conclusion du contrat (CJUE, 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti & C.SpA c/ Commune de Bari – aff . C-213/13), du fait par exemple de l’obtention d’un permis de construire (cf. Fatôme et P. Terneyre « À propos des règles de passation des contrats publics à objet à la fois immobilier et de travaux » AJDA 2009. 1868. V. également : E. Fatôme et L. Richer, « Contrats à objets immobiliers et de travaux : le critère de l’objet principal, critère second », AJDA 2015, p. 1577).

C’est aussi le cas lorsque le contrat porte sur des constructions qui ne sont pas juridiquement entamées (et sont donc des contrats de travaux et non des marchés de services) dès lors que l’acheteur public n’exerce aucune influence déterminante sur la conception de l’ouvrage (cf. arrêt précité CJUE, 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti & C.SpA c/ Commune de Bari – aff. C-213/13 ; v. cependant les doutes subsistant quant à l’application des principes généraux de transparence et d’égalité de traitement : v. E. Fatôme et L. Richer, loc. cit., AJDA 2015, p. 1577).

 

C’est enfin le cas lorsque la réalisation d’un équipement pour le compte de l’acheteur public n’est qu’une partie d’un contrat à objet mixte, partie inséparable et accessoire de l’autre objet du contrat qui ne relève pas du champ de l’ordonnance du 23 juillet 2015 (cf. art. 22 et 23 de ladite ordonnance).

Mais d’autres hypothèses, ne sont pas couvertes car, en elles-mêmes, elles entrent pleinement dans le champ de la commande publique.

Les besoins laissés sans solution par l’ordonnance n°2015-899

Cette évolution du droit a donc immédiatement soulevé la question des conditions dans lesquelles, désormais, les acheteurs publics pourront confier à un opérateur dans une partie minoritaire ou indissociable d’un immeuble, la réalisation selon leurs spécifications d’un ouvrage et répondant à ses besoins ou à ceux d’un autre acheteur, ainsi que les modalités de transfert de la propriété dudit ouvrage et de son assiette.

Car la réalisation d’équipements publics imbriqués dans des programmes immobiliers plus vastes répond à une véritable nécessité, tant pour des raisons techniques impliquant que de telles opérations soient placées sous une maîtrise d’ouvrage unique, que pour des raisons de politiques publiques qui peuvent être relatives à la meilleure valorisation du foncier public, à la bonne gestion des deniers publics lorsqu’une telle façon de procéder permet des économies substantielles, ou encore aux enjeux de mixité des usages et de lutte contre l’étalement urbain.

Dans de telles conditions, le recours à un marché public après publicité et mise en concurrence serait pour le moins difficilement conciliable avec l’initiative essentiellement privée de la majeure partie du projet de construction, dont la conception relève de l’opérateur auprès duquel l’acheteur public se porte acquéreur d’une partie minoritaire et indissociable.

Un remède imparfait mis en place par le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics

Pour répondre à ce besoin persistant malgré la fin annoncée du recours à la VEFA par les personnes publiques pour l’acquisition d’équipements publics spécifiques, le gouvernement a introduit une disposition devant permettre aux acheteurs publics de conclure des marchés publics négociés, sans publicité ni mise en concurrence préalables (art. 30 du décret) : « 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : (…)  b) Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ; (…). »

Le dernier alinéa précise, conformément à la lettre des directives, que cette dérogation ne s’applique que lorsqu’il n’existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public.

Le pouvoir réglementaire a ainsi remédié aux conséquences de la modification de la définition des marchés publics de travaux en droit interne qui aurait pu, sans cet article 30, 3°, b) du décret du 25 mars 2016, empêcher toute réalisation d’équipement public dans des ensembles immobiliers plus vastes.

Ce texte a donc confirmé la possibilité de contracter de gré à gré dans ce type de situation et a apporté à cet égard deux avancées majeures. D’abord, il a déconnecté le recours au gré à gré du seuil des procédures formalisées. C’est désormais pour un motif objectif, fondé sur les directives et sur l’absence de solution alternative raisonnable, que les acheteurs publics pourront poursuivre ce type d’opération et non plus comme auparavant du fait d’une définition spéciale des marchés de travaux, reposant sur la maîtrise d’ouvrage publique, qui conduisait à conclure des contrats pour l’acquisition des équipements publics de gré à gré, dès lors que l’on se trouvait en dessous des seuils des procédures formalisés et que l’opération ne présentait aucun intérêt transfrontalier. Ensuite, en mettant en exergue le fait que ces opérations relèvent en principe du champ de la commande publique, ce texte a permis aux acheteurs publics de prêter davantage attention à leurs pratiques et à la définition de leurs besoins et de conclure, ainsi, des contrats plus équilibrés.

Cependant, la dérogation prévue à l’article 30, 3°, b) du décret du 25 mars 2016 ne répond qu’imparfaitement aux besoins opérationnels des acheteurs publics, pour aux moins trois raisons (V. pour plus de précisions, E. Fatôme, L. Richer, M. Raunet, Contrats et marchés publics, 2017, p. 7).

La première tient au fait que ce texte inclut les opérations en cause dans le champ d’application des règles d’exécution des marchés publics, alors même qu’elles ne sont pas imposées par le droit de l’Union européenne et qu’elles ont été conçues pour des cas dans lesquels les acheteurs publics conservaient la maîtrise d’ouvrage des travaux. De nombreuses règles semblent devoir être exclues, même si rien, en l’état actuel des textes et de la jurisprudence, ne permet à notre connaissance de s’en assurer : c’est le cas par exemple des règles sur la sous-traitance qui ne devraient pas s’appliquer, notamment quant au paiement direct.

La deuxième difficulté est relative au fait que ce texte ne traite pas de la question du transfert de propriété sur l’assiette de l’ouvrage réalisé pour les besoins de l’acheteur public. De fait, des pratiques très diverses voient le jour, un peu comme ce fût le cas dans les opérations privées avant la création en 1967 du contrat de VEFA (on se souvient de la méthode dite de Grenoble ou encore des sociétés d’attribution qui ont été les principales manières de sécuriser les ventes d’immeubles à construire, sans atteindre véritablement le résultat escompté), et alors même que les opérations concernées, du fait notamment de leur quantité très importante, ont besoin de repères stables et de la plus grande sécurité juridique.

Enfin, le dernier manque qui apparaît immédiatement à la lecture de ce texte est son silence sur l’hypothèse, pourtant très fréquente, dans laquelle l’opérateur privé a préalablement acquis le terrain sur lequel il entend réaliser son opération de la collectivité publique ou de l’aménageur qui lui a imposé, comme condition sine qua non de la cession, de réaliser l’équipement public imbriqué dans une partie minoritaire de l’immeuble à construire. Or cette situation présente un certain nombre de problématiques particulières tenant par exemple aux conditions de la cession, au degré de définition de l’équipement à ce stade, au régime domanial des biens ou encore à l’application de la loi MOP.

Le retour possible des VEFA publiques dans notre droit interne ?

Sans revenir sur le fondement même de l’exception introduite par le pouvoir réglementaire, il nous semble donc important de simplifier et de rendre plus efficaces les acquisitions d’équipements publics imbriqués dans des immeubles à construire plus vastes en partant des trois difficultés précédemment évoquées.

En premier lieu, il s’agirait donc d’éviter que le contrat en cause, sans lui faire perdre sa nature de marché public au sens du droit de l’Union européenne, ne se trouve soumis aux règles d’exécution issues de l’ancien code des marchés publics qui ont été écrites pour des hypothèses dans lesquelles les acheteurs publics assuraient la maîtrise d’ouvrage des opérations.

À notre sens, cela relève d’une simple volonté du législateur dans la mesure où le droit de l’Union européenne n’impose en aucune manière le type de contrat devant être conclu. La notion de marché public au sens du droit de l’Union est en quelque sorte une « méta-qualification » donnée à diverses natures de contrats : outre le contrat d’entreprise, un mandat (v. CE, 5 mars 2003, UNSPIC, req. n°23332) ou  une cession via une vente (CJCE, 8 janvier 2007, Jean Auroux c/ Commune de Roanne, aff. C-220-05) peuvent ainsi être qualifiés, au sens du droit de la commande publique, de marchés publics, sans pour autant perdre leur nature de mandat ou de vente.

Rien n’empêcherait donc qu’une acquisition via un contrat de vente conserve sa nature de vente tout en étant qualifiée de marché public au sens du droit de l’Union et respecter, à ce titre, les dispositions des directives, transposées en droit interne, sans avoir à appliquer les règles d’exécutions prévues uniquement en droit interne pour les hypothèses dans lesquelles les acheteurs publics sont maîtres d’ouvrage.

En deuxième lieu, pour tenir compte du fait que ces acquisitions d’équipements publics imbriqués dans des opérations de constructions plus vastes présentent un double objet, à la fois « contrat de travaux » et « contrat d’acquisition », il est nécessaire de trouver un outil contractuel efficace quant aux nombreuses interactions possibles entre ces deux objets. Or, puisque rien n’empêcherait de qualifier une vente de marché public au sens du droit de l’Union, pourquoi ne pas réfléchir tout simplement à autoriser les acheteurs publics, dans des cas déterminés, à recourir au contrat de VEFA qui, depuis 1967, a largement démontré son efficacité ?

Enfin, il serait opportun que le recours à cette dérogation aux procédures de publicité et de mise en concurrence s’agissant de l’acquisition de l’équipement public imbriqué puisse être précisé lorsque le terrain d’assiette du programme immobilier a initialement été acquis auprès de la collectivité publique ou de l’aménageur concerné par la réalisation dudit équipement, afin que les modalités de cette cession et les conditions de sa combinaison avec la dérogation prévue quant au régime de passation du contrat d’acquisition de l’équipement public soient davantage sécurisées.

Une réappropriation de ce sujet par le législateur serait ainsi l’occasion de mettre en exergue plus largement les différentes situations concernées et de donner aux acheteurs publics les clefs d’une utilisation vertueuse de la VEFA publique relative à l’acquisition d’équipements publics spécifiques.

 

Retrouvez Raphaël Leonetti lors de la conférence VEFA publique organisée par EFE le 9 octobre à Paris.

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Notaire associé
Cheuvreux

 

 

 

Raphaël Leonetti
Juriste-Manager
Cheuvreux

 

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