Passerelle entre appel à projets et contrat de la commande publique : gare à ne pas franchir le rubicon !

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

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L’avis du Conseil d’État du 22 janvier 2019

Les initiatives novatrices de la Ville de Paris jouent, on le sait, un rôle majeur dans l’évolution récente du droit de la commande publique. Qu’il s’agisse à titre d’exemples du vélib’ – concept précurseur des nouvelles mobilités – et de son incidence sur la portée des avenants[1], ou de l’utilisation du mobilier urbain – support du service public d’information municipale – et de son impact sur le régime prétorien[2]des conventions provisoires[3], force est de constater que le territoire parisien est devenu tout à la fois le réceptacle et le ferment de jurisprudences contribuant au renouveau du droit des contrats publics, parfois aux dépens de l’exécutif parisien.

C’est cette fois-ci la Seine et ses passerelles qui servent de décor pittoresque à une prise de position du Conseil d’État – attendue – sur les appels à projets, expression polysémique dont la dénomination est le fruit de la pratique administrative française, même si elle n’est pas sans résonance avec des concepts connus au plan international, tel que l’appel à manifestation d’intérêts (Expression of interestou EOI), forme de publicité préalable à la conclusion d’un contrat relatif à un projet d’ouvrage ou d’infrastructure public.

Le Conseil d’État était en l’espèce saisi par le Gouvernement d’une demande d’avis portant sur les conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine, projet lancé sous forme de concours urbain par la Ville de Paris dans le cadre d’un appel à projets international dénommé à dessein « Reinventing Cities ». Ce concours reposait sur deux volets, d’une part la conception et la réalisation de diverses passerelles implantées dans six arrondissements de Paris, d’autre part l’élaboration d’un projet d’animation touristique autour de ces passerelles et des quais attenants, avec le développement d’activités récréatives, de loisirs, de restauration et commerciales.

Compte tenu de l’occupation par les passerelles de dépendances domaniales appartenant à – ou gérées par – diverses personnes publiques (État, Ville de Paris, Port autonome de Paris (PAP) et Voies navigables de France), la Ville de Paris avait conçu un appel à projets reposant sur la délivrance au lauréat de titres d’occupation du domaine public constitutifs de droits réels.

C’est dans ce contexte que le Gouvernement a interrogé le Conseil d’État sur les risques de requalification d’un tel montage. Le Gouvernement demandait en particulier si, compte tenu du degré de définition de ses besoins propres par la Ville de Paris, la délivrance de ces titres était exposée à un risque de requalification en contrat de concession et, en cas de réponse positive, si la procédure en cours devait être abandonnée ou pouvait être poursuivie. Le Conseil d’État était également interrogé sur le point de savoir si les dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) imposant une procédure de sélection préalable à la délivrance de titres d’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique étaient applicables en l’espèce ; il devait également préciser si le fait que les titres à délivrer par les différentes autorités à l’issue d’une procédure mise en œuvre par une autre autorité (en l’espèce la Ville de Paris) contrevenait aux dispositions précitées.

Derrière la diversité de ces questions se dessinait en toile de fond l’appréhension par le Conseil d’État du concept d’appel à projets, « objet juridique non identifié » (1), dont il résulte de l’avis un risque élevé de requalification en contrats de la commande publique lorsqu’il tend à la délivrance de titres d’occupation domaniale (2).

L’APPEL À PROJETS, UN « OBJET JURIDIQUE NON IDENTIFIÉ »

 

Une large utilisation dans des domaines variés

 

Réfractaire aux classifications, l’appel à projets regroupe sous un même vocabulaire une myriade d’objets aux caractéristiques variées, et autant de procédures organisées et calibrées au gré des besoins de leurs auteurs.

Son succès, dont témoigne la large utilisation qui en est faite par les personnes publiques, repose sur les avantages indéniables que présente l’appel à projets, qui permet à la fois de stimuler l’initiative privée tout en bénéficiant d’une grande souplesse dans l’organisation de la procédure, sous réserve de respecter une certaine transparence dans le choix du ou des projets retenus et, le cas échéant, soutenus.

Et il est vrai qu’à l’instar de l’appel à manifestation d’intérêts, l’appel à projets repose d’abord et avant tout sur une procédure transparente mise en œuvre par une ou des personnes publiques pour sélectionner un ou plusieurs lauréats en vue de leur attribuer des droits particuliers ou des fonds publics pour mener un projet participant, le plus souvent, de l’intérêt général ou contribuant à la mise en œuvre d’une politique publique, fût-elle de promouvoir un secteur économique.

Ainsi l’appel à projets est-il fréquemment utilisé par les personnes publiques. À titre d’exemple, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie publie régulièrement et depuis de nombreuses années des appels à projets, parfois en partenariat avec des collectivités territoriales, pour accompagner le développement de projets notamment dans le domaine des énergies renouvelables, pour le stockage ou la conversion d’énergie, ou encore pour la sélection de territoires à énergie positive dans le cadre de la transition énergétique.

Il en va de même du secrétariat général pour l’investissement (succédant au commissaire général à l’investissement) chargé de veiller à la cohérence de la politique d’investissement de l’État qui, au titre de ses missions, se voit notamment confier le soin de coordonner la préparation des cahiers des charges accompagnant les appels à projets, et de vérifier leur cohérence avec l’action du Gouvernement en matière d’investissements d’avenir (programme d’investissements d’avenir) et de réforme des politiques publiques.

Signe de la variété des domaines d’application, l’appel à projets est également utilisé dans le cadre de la délivrance d’autorisations administratives, notamment dans le secteur médical[4], ou encore dans le contexte de transfert d’autorisations administratives, telles celles propres aux établissements et services accueillant des personnes handicapées[5].

Toujours en matière d’autorisations administratives, les personnes publiques propriétaires ou gestionnaires du domaine public recourent de plus en plus fréquemment à l’appel à projets en vue de la délivrance de titres – le plus souvent contractuels – d’occupation, afin d’assurer la meilleure valorisation de leur domaine. L’appel à projets a ainsi été utilisé pour sélectionner le titulaire de titres d’occupation en vue de l’implantation d’une base de loisirs sur le domaine public[6]ou aux fins d’aménagement du domaine public maritime[7].

Dans cette dernière espèce relative à la création d’une terrasse au-dessus du terminal voyageurs d’une gare maritime, le Conseil d’État a néanmoins précisé que si la procédure d’appel à projets visant l’occupation du domaine public est susceptible d’aboutir à la conclusion d’une convention d’occupation du domaine public ou d’une délégation de service public (DSP), il convient d’appliquer la procédure la plus rigoureuse, en l’espèce la procédure de DSP[8].

Cette solution demeure applicable comme le relève le Conseil d’État dans l’avis du 22 janvier 2019, nonobstant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017 soumettant à une procédure de sélection préalable la délivrance de titres d’occupation du domaine public en vue d’une exploitation économique.

 

L’absence de définition et de régime juridique homogène

 

En dépit des quelques décisions rappelées supra, le régime juridique de l’appel à projets demeure assez rudimentaire, ce qui s’explique sans doute par l’absence de définition dans les textes et par la diversité des objets sur lesquels il peut porter.

L’appel à projets échappe en effet à toute définition, tout au moins au plan juridique, dès lors qu’il n’existe pas de texte qui, à l’image du Code de la commande publique pour les marchés publics et les contrats de concession, définirait la notion ou en fixerait les principales caractéristiques.

Certes, une forme de définition a, un temps, figuré dans la circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations (conventions d’objectifs et simplification des démarches relatives aux procédures d’agrément) : « Pour pouvoir prétendre bénéficier d’une subvention, une association doit être à l’initiative du projet qu’elle porte, ce qui recouvre deux cas de figure (…) b) Le projet développé par l’association s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets lancé par une collectivité publique : En pareille hypothèse, la collectivité lance un appel à projets qui lui permet de mettre en avant un certain nombre d’objectifs lui paraissant présenter un intérêt particulier. Il s’agit de définir un cadre général, une thématique. Les associations sont invitées à présenter des projets s’inscrivant dans ce cadre. Mais ce sont bien elles qui prennent l’initiative de ces projets et en définissent le contenu. Dans le cadre des appels à projets, la collectivité publique a identifié une problématique mais n’a pas défini la solution attendue. L’appel à projets ne préjuge en rien de l’ampleur des propositions qui seront formulées ou encore de leur contexte. Cela le différencie d’un marché dont le besoin est clairement identifié (il ressort ainsi de la jurisprudence qu’une étude précisément déterminée, réalisée pour le compte d’une collectivité et donnant lieu à une rémunération spécifique, constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux) ».

Néanmoins, d’une part cette « définition » n’est plus d’actualité, la circulaire précitée ayant été abrogée par celle du 29 septembre 2015 relative aux nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations, d’autre part elle appréhendait la notion d’appel à projets uniquement sous l’angle de la dispense de subventions, alors qu’on l’a vu, l’appel à projets ne se limite pas à l’attribution de ce type de soutien financier et se décline sous d’autres formes.

La doctrine a d’ailleurs tenté de dessiner les contours de l’appel à projets en le définissant, de façon plus générale, comme « le dispositif en vertu duquel une personne publique définit un certain nombre d’objectifs et invite des tiers à présenter des projets y répondant en leur laissant l’initiative de leur contenu et de leur mise en œuvre »[9].

Il reste que c’est souvent en vue de l’octroi d’un soutien financier que sont lancés les appels à projets, ce qui est du reste corroboré par la définition de subventions : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent »[10](souligné par nos soins).

L’appel à projets se présente ainsi, dans un tel cadre, comme une mesure préparatoire à la conclusion d’une convention de subventionnement, comme l’a jugé le Conseil d’État[11].

Or, on le sait, la frontière peut être ténue entre une convention de subventionnement et un contrat de la commande publique, le juge administratif recourant à la méthode du faisceau d’indices pour distinguer la première du second en tenant compte notamment de l’initiative du projet, de l’exécution – ou non – de prestations par le bénéficiaire de la subvention, de l’éventuel lien entre le montant de la subvention et les prestations réalisées, et de l’avantage que retire l’organisme subventionnant des prestations réalisées par l’organisme bénéficiaire. À la lumière de la jurisprudence, deux critères sont décisifs pour faire basculer le contrat objet de l’appel à projets dans l’une ou l’autre catégorie, celui de l’initiative du projet[12], et celui du versement d’un prix (ou de l’abandon de recettes) en contrepartie de la satisfaction d’un besoin propre.

Dans l’hypothèse où l’appel à projets vise la délivrance de titres d’occupation du domaine public, la nature du contrat à la conclusion duquel il est susceptible d’aboutir peut là aussi s’avérer délicate à déterminer, compte tenu de la difficulté à distinguer dans certains cas convention d’occupation domaniale et contrat de la commande publique, comme en témoigne une jurisprudence abondante et casuistique[13].

À la lumière de l’avis du Conseil d’État, deux critères devront désormais être pris en compte pour effectuer ce départ et éviter un risque de requalification qui apparaît toutefois élevé[14].

UN RISQUE ÉLEVÉ DE REQUALIFICATION EN CONTRATS DE LA COMMANDE PUBLIQUE DES APPELS À PROJETS TENDANT À LA DÉLIVRANCE DE TITRES D’OCCUPATION DOMANIALE

 

L’interprétation extensive des critères de qualification des contrats de la commande publique

 

Afin de déterminer si les titres domaniaux devant être délivrés à l’issue de l’appel à projets de la Ville de Paris sont susceptibles d’être requalifiés en contrats de la commande publique, le Conseil d’État procède à une analyse fondée sur la réunion des critères de finalité et d’onérosité du contrat, conformément à la définition figurant désormais à l’article L. 2 du Code de la commande publique.

En cohérence avec la jurisprudence interne[15]et européenne[16], cette analyse repose sur les questions suivantes : au titre du premier critère, le contrat a-t-il pour objet de répondre à un besoin de la personne publique ou, pour reprendre le vocabulaire de la CJUE, présente-t-il un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur ? Au titre du second critère, existe-t-il une contrepartie onéreuse aux prestations demandées ?

 

L’analyse du premier critère est l’occasion pour le Conseil d’État de faire une interprétation somme toute assez souple de la notion de « réponse à des besoins de la personne publique ».

 

En effet, le Conseil d’État s’appuie d’abord sur la destination des passerelles objets du concours pour considérer que, même si elles seront affectées à plusieurs usages, elles seront utilisées comme axe de déplacement et de franchissement de la Seine et constitueront, ce faisant, une nouvelle voie de communication piétonne participant à la satisfaction d’un besoin public.

Il innove ensuite en se fondant sur une « forme de présomption », sans doute conçue pour l’occasion, selon laquelle les ponts figurant sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » sont présumés répondre à un besoin de la personne publique. Sur ce point, le Conseil d’État relève que pour les ouvrages, tels que les ponts, figurant sur ladite liste, il n’est pas requis que l’acheteur exerçant une influence déterminante sur leur nature ou leur conception ait fixé ses exigences, à la différence des ouvrages ne figurant pas sur la liste pour lesquels la définition d’exigences est au contraire requise[17]. Une autre lecture des dispositions de l’ordonnance « marchés publics » et de l’ordonnance « concessions »[18]consistant à voir dans cette liste de simples catégories standards de travaux (et non d’ouvrage) était pourtant permise.

Pour fermer tout débat sur la « forme de présomption » ainsi créée, le Conseil d’État ajoute qu’en tout état de cause, la Ville de Paris a fixé ses exigences concernant les passerelles dans le cahier des charges de l’appel à projets. En effet, elle a précisé le programme attendu des candidats pour chaque site en distinguant selon les zones (au-dessus du fleuve ou au niveau des quais hauts), et a imposé des prescriptions techniques relatives, pour certaines aux contraintes d’urbanisme et de sécurité, et pour d’autres au maintien d’activités économiques ou industrielles préexistantes (fondées sur des titres d’occupation délivrés par le PAP). Le Conseil d’État relève, en outre, que le règlement de la manifestation d’intérêt comprend une série de « dix défis[d’ordre écologique]à relever » qui permettent de compléter l’expression du besoin des personnes publiques associées au projet, achevant de convaincre que, compte tenu des missions de ces personnes publiques, le contrat objet de l’appel à projets répond a minima aux besoins de la Ville de Paris.

 

L’analyse du second critère traduit, elle aussi, une conception extensive de la notion d’onérosité.

 

En effet, se fondant sur les documents constitutifs de l’appel à projets (règlement de phase d’expression d’intérêt et cahier des charges), le Conseil d’État considère que la seule référence dans ces derniers aux éléments financiers (proposition financière et montage financier) et au modèle économique à remettre par les candidats à l’appui de leur offre suffit à démontrer le caractère onéreux de l’opération. Selon le Conseil d’État, le lauréat a vocation à recevoir une contrepartie à ses prestations, qu’il s’agisse d’un prix ou du droit d’exploiter l’ouvrage, même si les termes de l’équilibre financier du contrat final demeurent inconnus à ce stade de la procédure.

Il y a là une approche particulièrement extensive du critère de l’onérosité du contrat et corrélativement une conséquence des plus sévères sur les appels à projets ayant pour objet la délivrance de titres d’occupation du domaine public.

En effet, il est bien rare que les projets à remettre par les candidats ne comportent pas une partie dans laquelle ils sont invités à présenter les conditions financières dans le cadre desquelles ils entendent mettre en œuvre le projet qu’ils proposent en réponse aux objectifs poursuivis par la personne publique. Est-ce à dire que tous seront condamnés à une nécessaire requalification en contrats de la commande publique ? Pas forcément, l’éventuelle requalification dépendra du degré de définition de leurs objectifs, besoins ou exigences par les personnes publiques. Mais, il y a fort à parier que, compte tenu de l’interprétation extensive de la notion de « réponse à des besoins de la personne publique » par ailleurs retenue par le Conseil d’État, un certain nombre de projets encourront un risque de requalification.

Les deux critères étant en l’espèce réunis, le Conseil d’État conclut à la qualification de contrats de la commande publique des titres d’occupation domaniale sans, pour autant, se prononcer ni sur la nature précise (marché ou concession) des contrats en l’espèce – faute de connaître l’équilibre économique sur lequel ils reposeront –, ni sur leur objet principal (travaux ou services) – faute de connaître la répartition entre les différentes prestations –. En d’autres termes, à la lecture de l’avis du Conseil d’État, on sait ce que les contrats objets de l’appel à projets ne sont pas (en l’occurrence des conventions d’occupation du domaine public), mais on ne sait pas encore ce qu’ils sont !

 

Les conséquences de la requalification sur l’appel à projets de la Ville de Paris

 

Comme on peut s’y attendre en pareille hypothèse, les conséquences de la requalification sont particulièrement radicales pour la Ville de Paris qui est « invitée » par le Conseil d’État soit à renoncer à l’appel à projets en cours, soit à engager une nouvelle procédure.

Au plan pratique, l’alternative proposée devrait avoir un impact limité sur la procédure, opportunément suspendue par la Ville de Paris peu après le dépôt des premières expressions d’intérêt par les candidats (phase de présélection).

Au plan théorique en revanche, l’avis du Conseil d’État éclaire utilement sur plusieurs points :

En premier lieu, même si le contrat objet de l’appel à projets demeure indéfini dans sa nature (marché ou concession) et dans son objet principal (travaux ou services), les mesures de transparence mises en œuvre par la Ville de Paris s’avèrent, selon le Conseil d’État, insuffisantes au regard des dispositions applicables du Code de la commande publique. En effet, la publicité préalable consistant à mettre à disposition des potentiels candidats le dossier d’informations sur le site internet dédié « Reinventing Cities » et une communication sur les réseaux sociaux ne peuvent être regardées comme une des procédures de publicité prévues par le Code. Le Conseil d’État ne précise pas, en revanche, si une telle procédure aurait été suffisante au regard des dispositions du CGPPP en l’absence de requalification des titres d’occupation domaniale en contrats de la commande publique.

En second lieu, en cas d’abandon du projet, la Ville de Paris pourrait voir sa responsabilité engagée par le candidat établissant un préjudice direct causé par l’abandon, nonobstant les dispositions du règlement de phase d’expression d’intérêt excluant toute indemnisation pour la participation à l’appel à projets.

En troisième lieu, faute d’abandonner le projet, le Conseil d’État laisse entendre que la Ville de Paris pourrait soit lancer une nouvelle procédure, soit préciser l’appel à projets en cours de façon à rendre la procédure conforme aux dispositions du Code de la commande publique.

Dans le premier cas, conformément à la jurisprudence précitée[19], elle ne pourrait recourir qu’à la procédure la plus rigoureuse prévue par le Code, en l’occurrence l’appel d’offres propre aux marchés publics, compte tenu de l’indéfinition du contrat (marché/concession, travaux/services) à conclure.

Dans le second cas, il lui appartiendrait de définir la procédure applicable en fonction des modifications apportées à l’objet du contrat et au mode de rémunération du cocontractant.

Le Conseil d’État souligne utilement que, dans les deux cas, les principes généraux du droit de la commande publique (liberté d’accès, égalité de traitement et transparence des procédures) devront être observés, afin que les candidats ayant participé à l’appel à projets ne soient pas avantagés par rapport à d’autres candidats, eu égard aux informations dont ils ont pu bénéficier dans le cadre de l’appel à projets.

En quatrième lieu, les contrats envisagés dans le cadre de l’appel à projets relevant de la commande publique et étant à ce titre soumis, pour leur passation, aux dispositions du Code de la commande publique, il n’y a pas lieu de mettre en œuvre la procédure de sélection préalable imposée par le CGPPP en vue de la délivrance des titres d’occupation du domaine public[20].

Il résulte de cet avis des conditions assez difficiles à remplir pour lancer, de façon juridiquement sécurisée, des appels à projets visant la délivrance de titres d’occupation domaniale. S’il demeure naturellement possible de recourir à l’appel à projets à cette fin, les modalités y afférentes se trouvent singulièrement contraintes par le risque de requalification en contrats de la commande publique. Tout l’enjeu pour les personnes publiques sera d’être en mesure d’énoncer en termes suffisamment généraux les objectifs qu’elles entendent poursuivre, sans tomber dans le travers d’une expression de besoins trop précise de nature à entraîner une requalification.

 

[1] CE Sect. 11 juillet 2008, Ville de Paris, req. n°312354.

[2] CE 4 avril 2016, Société Caraïbes Développement, req. n°396191.

[3] CE 5 février 2018, Ville de Paris c/ Société Clear Channel France et société Exterion France, req. n°416581.

[4] L’appel à projets introduit par la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, forme la procédure de droit commun pour la délivrance de l’autorisation des projets de création, de transformation et d’extension d’établissements ou services sociaux et médico-sociaux faisant appel à des financements publics (cf. article L. 313-1-1 du Code de l’action sociale et des familles).

[5] CAA Versailles 19 juillet 2016, Département du Val d’Oise, req. n°15VE03156.

[6] CAA Marseille 10 mai 2016, Société le Royaume des arbres, req. n°14MA03197.

[7] CE 10 mars 2006, Société Unibail management, req. n°284802 ; voir également CE 19 janvier 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre, req. n°341669.

[8] CE 10 juin 2009, Port autonome de Marseille, req. n°317671.

[9] B. Koebel, Appel à projets : gare à la requalification !, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n°34, 27 août 2012, n°2270.

[10] Cf. article 9-1 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

[11] CE 29 novembre 1999, Fédération de la formation professionnelle, req. n°202685.

[12] CE 30 juillet 2003, Commune de Lens, req. n°223445 ; CE 26 mars 2008,Région de la Réunion, req. n°284412 ; CE 23 mai 2011, Commune de Six Fours les Plages, req. n°342520. La personne publique doit être à l’initiative du subventionnement et non à l’initiative du projet pour ne pas encourir de critiques et de risques de requalification en contrat de la commande publique. Il lui appartient ainsi de ne pas énoncer les moyens à mettre en œuvre pour la réalisation du projet, de laisser une large liberté d’action aux porteurs de projets, et d’énoncer des règles générales d’attribution de la subvention.

[13] CE 10 mars 2006, Société Unibail management, préc. ; CE 19 janvier 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre, préc. ; CE 23 mai 2011, Commune de Six Fours les Plages, préc. ; CE 3 décembre 2014, Etablissement public Tisséo, req. n°384170.

[14] Cf. article L. 1100-1.2° et L. 1100-1.3° du Code de la commande publique.

[15] CE 10 mars 2006, Société Unibail management, préc. ; CE 3 décembre 2014, Établissement public Tisséo, préc.

[16] CJUE 25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08.

[17] Cf. articles L. 1111-2 (marchés publics de travaux) et L. 1121-2 (contrat de concession de travaux) du Code de la commande publique.

[18] Désormais codifiées aux articles L. 1111-2 et L. 1121-2 du Code de la commande publique.

[19] CE 10 juin 2009, Port autonome de Marseille, préc.

[20] Cf. article L. 2122-1-2 du CGPPP : « L’article L. 2122-1-1 n’est pas applicable (…) 2° Lorsque le titre d’occupation est conféré par un contrat de la commande publique ou que sa délivrance s’inscrit dans le cadre d’un montage contractuel ayant, au préalable, donné lieu à une procédure de sélection ».[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »10px »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][ultimate_heading alignment= »left » el_class= »extra-height-bloc-citation »]

Jacques Dabreteau
Avocat à la Cour
Ashurst

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